« Apprendre des expériences étrangères » #6 : Assainir les finances publiques françaises en suivant le modèle danois ?

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« Apprendre des expériences étrangères » #6 : Assainir les finances publiques françaises en suivant le modèle danois ?

Publié le 17 août 2024
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En matière de finances publiques, le Danemark apparaît un peu comme l’anti-France car elle était en situation d’excédents budgétaires (+0,8 %) en 2023 et son ratio de dette publique était de 30,9 % du PIB en 2022. Ses marges de manœuvre budgétaire en matière financière en cas de nouvelles crises sont beaucoup plus importantes que celles de la France.

 

Cette situation est la conséquence de quasiment trente années, entre 1995 et 2022, d’une baisse d’environ 14 points du ratio dépenses publiques sur PIB. Avec la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, l’Irlande, mais aussi la Suisse, la Suède et la Norvège, le Danemark est un pays qui a contenu la hausse historique de son ratio de dépenses publiques. C’est cette expérience danoise que cet article souhaite présenter.

Une première section compare l’évolution des ratios de dépense de la France et du Danemark et met en évidence l’appauvrissement relatif des Français vis-à-vis des Danois.
Une seconde section rappelle dans ses grandes lignes l’histoire politique du Danemark.
Une troisième section constate que, comme pour la Suède, les deux principaux postes de dépenses qui ont diminué relativement au PIB sont les dépenses de sécurité sociale et les services généraux.

 

Comparaison des dépenses publiques et du niveau de développement de la France et du Danemark

Comme la Suède et tous les pays ayant freiné la croissance des dépenses publiques par des politiques publiques appropriées, le Danemark voit son PIB par habitant croître beaucoup plus vite que la France. La conséquence est une divergence de développement entre les deux pays.

En 1995, le PIB par habitant français représente 75 % du PIB danois.
En 2022, il ne représente plus que 60 % du PIB danois (Figure 1). Il y a bien un décrochage français.

 

Figure 1

Histoire comparée du ratio dépenses publiques sur PIB de la France et du Danemark (1995-2022) et du PIB par habitant

Sources : EUROSTAT. General Government by function COFOG. Dépenses publiques totales sur PIB en % (Government expenditure percent of GDP. Pour les données PIB par habitant (GDP per capita) utilise le site de la Banque Mondiale. Lien (consulté le 13/06/2024)

Dans le même temps, le Danemark a réduit son ratio de dépenses publiques d’environ 14 points de PIB, alors que la France l’a augmenté de 4 points (Figure 1). Avec un ratio de dépenses publiques de 45 % en 2022, le Danemark reste un pays très interventionniste, mais contrairement à la France, les gouvernements ont réussi à juguler sa hausse.

 

Le rôle du Parti libéral

Comme pour la Suède, à l’origine de cette baisse, il y a l’avènement au pouvoir du Parti libéral, et malgré l’alternance social-démocrate, une certaine continuité entre les choix des différents gouvernements.

C’est ce qui explique la tendance à la baisse du ratio dépenses publiques sur PIB.

La décennie 1982-1993 est marquée par des gouvernements de centre droit.
De 1993 à 2001, la social-démocratie reprend le pouvoir pour le laisser en 2001.
Sur la période 1995-2022 le Parti libéral a gouverné quasiment autant d’années que les sociaux-démocrates aujourd’hui au pouvoir (15 années pour les socio-démocrates contre 14 années pour le Parti libéral et ses coalitions).

La qualité des finances publiques danoises est en ce sens l’expression d’un consensus politique et d’une certaine continuité d’un gouvernement à l’autre, même si chaque sensibilité politique a pris des mesures qui lui sont propres.

 

Tableau 1. Les gouvernements danois depuis 1993

Chef du gouvernement Années Orientation politique
Mette Frederiksen 2019 -2024 Parti social-démocrate
Lars Lokke Rasmussen 2015-2019 Parti libéral
Helle Thorning-Schmidt 2011-2015 Parti social-démocrate
Lars Lokke Rasmussen 2009-2011 Parti libéral
Anders Fogh Rasmussen 2001-2009 Parti libéral
Poul Nyrup Rasmussen 1993-2001 Parti social-démocrate

Les quatre principales raisons de la baisse des dépenses publiques sont :

  1. Lois budgétaires strictes
  2. Indexation historique de l’âge de départ à la retraite sur l’espérance de vie
  3. Introduction d’une dose de capitalisation d’un régime de retraite historiquement par répartition
  4. Flexisécurité

 

Il y a aussi une raison secondaire : la pratique systématique de la revue de dépense.

 

Des lois budgétaires strictes

Le Danemark dispose de lois budgétaires strictes. Elles autorisent un dépassement de la limite du déficit budgétaire structurel de 0,5 % du PIB dans les circonstances exceptionnelles, fixent des plafonds de dépenses pour quatre années, prévoient des sanctions pour les communes et les régions qui les dépassent, et indexent l’âge légal de la retraite sur l’espérance de vie (OCDE Danemark 2016).

Les plafonds de dépenses couvrent quasiment toutes les dépenses y compris les transferts sociaux (pensions de retraite de l’État, prestations préretraites, bourses d’études, aides au logement, etc.) et les dépenses de fonctionnement. En revanche, ils excluent les allocations chômage et toutes les aides au retour à l’emploi, afin de maintenir le principe des stabilisateurs automatiques. Cela signifie que toute dépense de transferts ou de fonctionnement qui croît au-delà du taux qui a été fixé par le Parlement doit être réduite sous peine de sanctions. Par ailleurs, une baisse de dépenses dans un domaine ne peut pas être compensée par une hausse dans un autre domaine. Il n’y a pas de compensation entre les budgets qui sont plafonnés. Depuis 2010, toutes les communes qui dépassent leur enveloppe budgétaire sont sanctionnées.

 

Indexation de l’âge légal des retraites sur l’espérance de vie et capitalisation

La qualité du régime des retraites est l’une des conditions de la baisse des ratios de dépenses publiques danois. D’une part, parce que la politique danoise a conduit à augmenter la population active en repoussant l’âge de la retraite, et d’autre part parce qu’elle a introduit la capitalisation.

Depuis les lois de 1956, le système de retraite danois prévoit une indexation de l’âge de départ sur l’espérance de vie. Comme cette dernière ne cesse d’augmenter depuis les années 1950, l’âge de départ à la retraite ne cesse de reculer.

La conséquence est une hausse régulière de l’âge légal de départ à la retraite. Cela limite la durée moyenne des retraites d’État et les dépenses. L’âge de la retraite devrait être relevé de huit ans entre 2018 et 2060 pour passer de 65 à 73 ans.

L’autre conséquence, qui est cette fois favorable à la croissance de la production, c’est la hausse du taux de seniors qui travaillent (taux d’emploi des personnes âgées de 55 ans à 65 ans). Il atteint désormais 73 % de la population active au Danemark, contre 57 % en France.

À cette loi historique de l’État-providence danois s’ajoute l’introduction de la capitalisation dans le régime de retraite. À partir de 1989 puis en 1991, les gouvernements de centre droit vont encourager la création de fonds de pensions. Cette initiative explique une bonne part de la baisse du ratio de dépenses durant les années 1990 [1]. La capitalisation viabilise sur le long terme les finances publiques et répond au choc du vieillissement. Le régime des retraites danois sert une pension de base financée par l’impôt. Il prévoit ensuite que chacun assure sa retraite par son épargne (capitalisation). En 2018, il a rendu l’épargne-retraite obligatoire pour tous.

Le Danemark a donc pris des mesures qui lui permettent de faire face au vieillissement de sa population sans déficit ni dette excessive. Même si l’indexation de l’âge légal de la retraite sur l’espérance de vie relève de fait mécaniquement l’âge effectif de la retraite et impose aux seniors de travailler.

 

À lire aussi : 

Leçons sur les expériences de baisse des dépenses publiques dans les pays développés

La flexisécurité

La dernière raison de la baisse du ratio de dépenses publiques est la flexisécurité mise en œuvre au milieu des années 1990[2].

La flexisécurité donne la flexibilité aux patrons. Les coûts de licenciement sont très faibles, mais en contrepartie, les revenus des salariés sont sécurisés. Le droit du travail ne cherche pas à protéger l’emploi, à interdire le licenciement. Il cherche à protéger le salarié d’un risque, celui de la perte d’emploi. Mise en œuvre en 1994 par un gouvernement social-démocrate et à la suite d’un accord avec les partenaires sociaux, elle a permis au Danemark de considérablement baisser le taux d’inactivité de sa population. La hausse du taux d’emploi des seniors et la baisse du taux de chômage réduisent les dépenses d’allocation chômage et de pensions et baissent ainsi le ratio de dépenses publiques.

 

Figure 2

Comparaison des taux de chômage de la France et du Danemark (1995-2022)

Source : OCDE Taux de chômage. Lien (consulté le 14/05/2024) et taux d’emploi des 55-64 ans.

Le taux d’emploi d’une classe d’âge se mesure en fonction du nombre des actifs occupés d’un âge donné rapporté à l’effectif total de cette classe d’âge. Les actifs occupés sont les personnes de 15 ans et plus qui, durant la semaine de référence, déclarent avoir effectué un travail rémunéré pendant une heure au moins ou avoir occupé un emploi dont elles étaient absentes. Cet indicateur est désaisonnalisé et est mesuré en pourcentage de l’effectif total de la classe d’âge.

On comprend ainsi mieux l’évolution de la structure des dépenses publiques au Danemark sur la période 1995-2022 (Figure 3) et le creusement des écarts entre la France et le Danemark.

Les évolutions du régime de retraite expliquent la baisse de six points des dépenses de sécurité dans le PIB. Les lois budgétaires strictes bloquent les déficits et l’accumulation de dette publique. Ce qui réduit la hausse du poste “charge d’intérêt de la dette” et diminue la part des services généraux dans le PIB danois. Comme il s’agit d’un ratio, réduire le nombre des individus qui vivent du travail des autres soutient la croissance de la production et réduit le ratio de dépenses publiques.

 

Figure 3

Histoire comparative de l’évolution de la structure des dépenses publiques en France et au Danemark (1995-2022)

Leçons pour la France

La principale leçon de l’histoire des finances publiques au Danemark est qu’il est possible d’avoir des finances publiques équilibrées sans démanteler l’État social. Il faut juste, et ce n’est pas rien, s’assurer que si quelqu’un reçoit quelque chose (un revenu public), il doit donner quelque chose. Les dépenses sont financées par l’impôt, et l’impôt est payé par une population qui est au travail, qui est active. La solidarité n’est pas le don. Pour recevoir il faut donner.

Cette philosophie de la responsabilité est inscrite d’ailleurs dans la Constitution danoise du juin 1953 qui prévoit en son article 75 que « dans l’intérêt du bien commun, il convient de s’efforcer à ce que tout citoyen apte au travail ait la possibilité de travailler dans des conditions propres à assurer son existence ».

Toutes les réformes danoises s’inspirent de ce principe. Elles reposent sur l’idée que l’individu doit se prendre en charge et ne doit pas être un fardeau pour les finances publiques (Ketscher 2007[3]).

La sécurité sociale n’a pas ici vocation à être redistributive. Elle doit seulement protéger des risques de la vie. L’indexation des retraites sur l’espérance de vie et la politique de flexisécurité reposent sur ce principe.

De bonnes institutions réduisent la part des inactifs dans la population. Elles baissent le nombre des « parasites », de ceux qui vivent au crochet des autres. Elles augmentent ainsi le niveau de la production. Davantage de travail, c’est plus de production. Elles réduisent le montant des dépenses. Le problème de la France n’est plus seulement de vouloir sanctuariser le modèle social issu de l’équilibre politique de 1946. Il est d’adopter un principe simple : chacun reçoit quelque chose parce qu’il a donné quelque chose.

Autrement dit, qu’il n’est pas possible en ce monde d’avoir quelque chose sans rien faire. On n’a rien sans rien.

 

https://www.telos-eu.com/fr/economie/finances-publiques-baisser-les-depenses-ou-augment.html

[1] OCDE 2008. Chapitre 6. Épargne-retraite et fiscalité du capital. Études économiques de l’OCDE, 2, 193-221. https://www.cairn.info/revue–2008-2-page-193.htm

[2] Tuchszirer, C., 2007. Le modèle danois de flexicurité. L’improbable copier-coller. Informations sociales, 142, 132-141.

[3] Ketscher, I.E., 2007. Contrasting legal concepts of active citizenship : Europe and the Nordic Countries, in Hvinden B. and al. (dir.), Citizenship in Nordic Welfare State, New York, Routledge.

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