Les libéraux : ennemis de toujours de l’antisémitisme

La pensée libérale porte dans son ADN même la défense des opprimés. C’est au nom de cet individualisme libéral qu’elle s’est toujours opposée à l’antisémitisme.

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Gustave de Molinari

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Les libéraux : ennemis de toujours de l’antisémitisme

Publié le 29 octobre 2023
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On peut être libéral et faire preuve de sympathie pour la cause d’un peuple persécuté qui lutte pour sa liberté avec des moyens répréhensibles.

Gustave de Beaumont, au XIXe siècle, a passé sa vie dans cet équilibre. Revenu de son voyage américain en compagnie de Tocqueville, il a défendu avec chaleur les indigènes ou Indiens, dont les pratiques guerrières n’étaient pas exactement humanitaires, plutôt que les Américains qui prenaient leurs terres et poussaient à leur extinction finale. Quatre ans plus tard, il publia deux volumes sur l’Irlande, opprimée par les Anglais, et qui se révoltait avec fureur et sans discernement, dans des effusions de haine et de violence.

Que les esclaves américains, que les serfs russes ou polonais se présentent comme des hommes dégradés, qui se comportent comme des brutes, cela n’étonne aucun auteur. Car les libéraux français l’ont toujours reconnu : il est dans la nature même de l’oppression, d’où qu’elle vienne, et quelque forme qu’elle prenne, de déshumaniser et d’abrutir progressivement sa victime. (Œuvres complètes de Tocqueville, t. III, vol. I, p. 45 ; Charles Comte, Traité de législation, 1827, t. IV, p. 248-249 ; Œuvres complètes de Benjamin Constant, t. IV, p. 412.)

Aussi, une sympathie pour la cause palestinienne peut s’entendre, dans l’optique du libéralisme. L’antisionisme même a des précédents : Yves Guyot, grand défenseur des Juifs, grand acteur de la défense de Dreyfus, a écrit contre le projet de formation d’un État juif en Palestine (Le Siècle du 4 juillet 1899). Mais dans l’histoire du libéralisme, l’antisémitisme proprement dit ne se rencontre pas, et au contraire tous les auteurs se rejoignent pour le combattre.

Ne nous payons pas de mots. Quand l’idéologue Volney parle de « ce peuple privilégié, dont la perfection consiste à se couper un petit morceau de chair », ce sont les moqueries d’un athée en campagne, et qui en réserve bien d’autres, et plus virulentes, contre ceux qui, par exemple, admettent « un premier homme qui perd tout le genre humain en mangeant une pomme », etc. (Les Ruines, 1792, p. 95)

En privé, Mme Leroy-Beaulieu peut bien s’emporter auprès de son mari contre Maurice Block, cet « affreux Juif » qui est prêt de lui ravir une place à l’Académie des sciences morales et politiques, ce sont des invectives gratuites, sans portée théorique aucune. (Archives privées du château de Cazilhac, lettre du 19 juin 1878.)

Au contraire, lorsqu’il est sérieusement question des Juifs et de leur place dans la société moderne, les libéraux sont unanimes pour défendre leur cause.

Ainsi, s’ils se sont adonnés au commerce et aux métiers de la banque, c’est à la suite d’une injustice, car il leur fut rarement permis d’exercer une autre activité. (Adolphe Blanqui, Histoire de l’économie politique en Europe, 1837, t. I, p. 203 ; Joseph Garnier, Notes et petits traités, 1865, p. 292) Ils n’y excellent d’ailleurs que par leurs talents, ne s’y enrichissent que par un service rendu ; s’ils ont des ennemis, ce ne sont que des concurrents jaloux, ou des socialistes de diverses sensibilités, qui ont la richesse et les capitaux en exécration, et qui ont fait de l’antisémitisme « une branche du socialisme ». (Gustave de Molinari, préface aux Conséquences de l’antisémitisme en Russie, par N. Chmerkine, 1897.)

On accuse encore les Juifs de faire bande à part, de ne pas se fondre dans la masse de leurs concitoyens. C’est leur droit, clame Alphonse Courtois, un pilier de la Société d’économie politique.

« Qu’ils pratiquent leurs devoirs civiques, qu’ils soient patriotes, qu’ils obéissent aux lois, on n’a rien à leur reprocher. » (Réunion de la Société d’économie politique du 5 juin 1893.)

Naturellement, lorsque la célèbre affaire Dreyfus éclata, à la toute fin du XIXe siècle, la position de tolérance des libéraux français avait déjà été maintes fois réaffirmée, et leur mobilisation dreyfusarde ne devait surprendre personne. Gustave de Molinari, Yves Guyot, Frédéric Passy, figurent parmi les signataires des protestations publiées par le journal L’Aurore, en 1898.

Ce soutien public s’accompagne d’ailleurs d’un engagement privé, dont des archives inédites peuvent rendre compte. Gustave de Molinari, par exemple, envoie une marque d’attention à Édouard Grimaux, professeur à l’École Polytechnique, et qui vient d’être mis à la retraite à l’occasion du procès Émile Zola. (Archives de l’Institut, Ms. 4631, pièce n° 61)

Lorsque les occasions s’en présentent, le camp du libéralisme se retrouve donc à l’unisson pour défendre ce qu’il considère être ses valeurs. Au besoin, on fabrique ces opportunités de toutes pièces, comme en 1900, lorsque la publication du supplément au Nouveau dictionnaire d’économie politique, dirigé par Léon Say et Joseph Chailley-Bert, voit l’insertion d’un article fort étendu sur l’antisémitisme, rédigé par un dreyfusard très engagé, Bernard Lazard. La raison d’un article sur ce thème, dans un dictionnaire d’économie politique, n’est pas évidente : elle est la preuve d’un engagement très fort.

Qu’on ne soit pas surpris, donc, que pendant plusieurs années Yves Guyot ait délaissé son œuvre de défense de la liberté en tout pour soutenir la cause du capitaine Dreyfus, et qu’après L’Aurore, Le Siècle, qu’il dirigeait, ait constitué l’avant-garde de la cause dreyfusarde : car combattre l’antisémitisme, pour lui, c’était encore défendre la liberté.

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  • Qu’est ce que l’antisémitisme ? Du racisme à l’état pur . L antisémite se fout de la religion dudit sémite , il ne regarde que l ADN pour trier le bon grain de l ivraie (le raciste aime trier simplement les êtres). Quel est l’objet de l’article ? Dire que les libéraux n’ont jamais été dans le camp des antisémites , des racistes ? La doctrine libérale va effectivement à l’encontre de ces travers funestes . Maintenant , les individus sont ce qu’ils sont et font ce qu’ils peuvent . Gardons nous de nous attribuer le monopole de la bonne conduite , on a vu où cela a mené les gauches .

  • un libéral peut avoir des préjugés, mais il refuse de discriminer devant la loi..

    et c’est ce qui importe..

  • “Faire preuve de sympathie pour la cause d’un peuple persécuté” en parlant des Palestiniens !
    Ne tombons pas dans cette fable qui n’a rien à voir avec le sujet de l’antisémitisme.
    Les dirigeants palestiniens ont eu à plusieurs reprises la possibilité de trouver un statut digne pour leurs population.
    Sans même remonter au plan Peel de 1937 ou au plan de partage de 1947, tous intégralement refusés, souvenons-nous des accords de Madrid et d’Oslo en 1993/95 qui avait créé l’Autorité Palestinienne. Qu’en ont-ils fait ?
    En 1999, une large majorité d’Israéliens a élu un gouvernement mandaté pour trouver un accord final avec l’Autorité Palestinienne qui devait créer un véritable état. Le gouvernement israélien (Ehud Barak) a alors proposé des concessions allant bien au-delà de celles pour lesquelles la population israélienne l’avait mandaté. Il a même proposé de céder une partie du territoire israélien d’avant 1967 pour compenser les implantations en Cisjordanie !
    Résultat : le déclenchement de la seconde Intifada qui fut pendant 3 ans une guerre d’une cruauté inimaginable et fit 8000 morts et des milliers de blessés dans les deux populations.
    C’est alors que la majorité des Israéliens ont compris que la paix ne serait pas pour leur génération et que l’Etat palestinien était une chimère.
    Autre opportunité : le retrait intégral des Israéliens de la bande de Gaza en 2005. En pleine liberté, Gaza deviendra-t-il un nouveau Singapour ? Le résultat, on le voit aujourd’hui.
    Alors ne qualifions pas les Palestiniens de “peuple persécuté”. Lorsqu’il aura la maturité de se doter d’un gouvernement responsable, ses dificultés disparaitront comme par enchantement.

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