La capacité à reconnaître le statut de victime du Juif, un marqueur républicain ?

Les réactions de LFI et de la gauche antisioniste en général montrent à nouveau à quel point il est difficile pour eux de considérer le statut de victime des Juifs.

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La capacité à reconnaître le statut de victime du Juif, un marqueur républicain ?

Publié le 28 octobre 2023
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La capacité – ou non – pour un personnel politique de voir l’antisémitisme dans la société et de le dénoncer peut bien souvent servir de marqueur de son attachement aux valeurs républicaines et de sa capacité à traiter les faits de manière objective. L’actualité nous en a de nouveau donné une preuve, en excluant par là même une partie de la classe politique du champ républicain. La réaction de la France Insoumise à l’épisode du bombardement de l’hôpital sud de Gaza est à cet égard très représentative.

Dans la nuit du 17 au 18 octobre 2023, un missile israélien aurait visé volontairement un hôpital du sud de Gaza, dans lequel les autorités israéliennes avaient pourtant poussé les civils à aller se réfugier pendant des attaques au nord.

Les chiffres du ministère de la Santé de Gaza commencent à tomber : 500 ; 700 ; 1000 morts. La plupart étant du personnel médical, des blessés, des femmes et des enfants. Les condamnations tombent.

 

La gauche antisioniste

Dès 23 heures, Ersilia Soudais, vice-présidente insoumise du groupe d’étude contre l’antisémitisme à l’Assemblée nationale, a eu des mots forts :

« Israël a violé le droit humanitaire international, mais ne l’assume pas, alors que les preuves sont là ».

Les réactions de son groupe et de son parti sont du même acabit.

La réaction du député de la France Insoumise Thomas Portes s’inscrit dans un récit bien connu de la gauche antisioniste, les Israéliens ont une fâcheuse tendance à mentir :

« Les agents de propagande israéliens organisent une opération de communication car ils n’assument pas le bombardement d’un hôpital à #Gaza. Aucune surprise, cela fait des années qu’Israël utilise cette même stratégie. »

Pourtant, une conférence de presse organisée le 18 octobre au petit matin par le gouvernement israélien, en présence du président américain qui l’a avalisée, a apporté des preuves multiples allant dans le sens, non pas d’une attaque israélienne, mais d’une erreur d’un groupe terroriste palestinien. Si aucune enquête indépendante n’a été menée, les données OSINT de géolocalisation, les photos prises au matin par les sources locales montrant l’absence de cratère caractéristique des frappes aériennes et des dégâts mineurs, les enregistrements audios, des vidéos nombreuses et de sources diverses montrant une roquette tombant du ciel gazaoui vont en faveur de la version israélienne.

Par ailleurs, il est extrêmement difficile de ne pas noter l’empressement des Insoumis d’attribuer sans preuves ce bombardement d’un hôpital à Israël, surtout en le comparant à leur refus global de qualifier de terroristes les pogrom du 7 octobre ayant fait plus de 1300 morts, malgré les exactions perpétrées.

De la même manière, il devient complexe de ne pas lire un tel comportement à la lumière des paroles du NPA (visé depuis par une enquête pour apologie du terrorisme) ou de mouvements de gauche considérant le Hamas comme représentant légitime du peuple palestinien, et ses exactions comme une action de résistance comme une autre.

D’un côté, certaines populations seraient victimes par essence, de l’autre, elles seraient criminelles par essence. Le plaquage d’une construction théorique au réel prend le pas sur une analyse des faits.

Une telle conception philosophique essentialiste trouve son paroxysme dans la gestion de la question juive, dernière digue de l’universalisme.

 

Survivance des préjugés antisémites

Car en effet, de l’extrême gauche à l’extrême droite traditionnelle ou antivax, les justifications pour faire souffrir les Juifs sont pléthore.

De la crucifixion du Christ au Protocole des sages de Sion, en passant par l’empoisonnement des puits, la juiverie nationale ou internationale a toujours été une raison suffisante pour justifier les violences. Trop communautaires, aux pratiques barbares, vénaux, duplices, les Juifs n’ont, historiquement, jamais été considérés comme victimes, malgré les siècles d’horreurs traversés.

Indéniablement, une présence fantasmée à des postes clés, potentiellement justifiée par une obsession juive de l’intégration dans leur pays d’exil et à une valorisation juive des valeurs de travail et de réussite intellectuelle, ont pu jouer un rôle dans le refus de ce statut. Comment imaginer un peuple survivant aux siècles et continuant à réussir malgré les violences comme correspondant à l’idéal type de la victime ?

Par la suite, des sociologues spécialistes de la question, comme Nonna Mayer, ont montré l’importance nouvelle de la théorie de la « double allégeance » selon laquelle les Juifs en diaspora seraient toujours plus attachés à Israël qu’à leur pays. [1]

Évidemment, l’assignation identitaire, la croyance selon laquelle des caractéristiques identitaires d’un individu dictent son comportement, ne sont pas réservées aux Juifs.

Mais il est à noter que si de nombreuses assignations sont à la fois négatives et victimaires, aucune vision, sauf pour les Juifs, ne reconnaît des stéréotypes négatifs existant sans accepter que la cible de ces stéréotypes soit une victime. Entendons-nous, les stéréotypes négatifs associés autrefois à, par exemple, l’immigration arabo-musulmane en France, les Indiens d’Amérique, ou les Afro-Américains aux États-Unis, s’accompagnent aujourd’hui d’une reconnaissance victimaire de cette oppression.

Malgré des millénaires d’oppression, le Juif n’est jamais vu comme une victime potentielle.

Dans Les Juifs, angle mort de l’antiracisme, Illana Weizman traite par exemple de cette impossibilité de reconnaissance victimaire. Le Juif, trop intégré, trop occidentalisé, trop blanc, ne peut se prévaloir du statut d’opprimé, car par sa puissance dans les institutions et son intégration, il fait partie du système oppresseur.

La République, universaliste, avec ses principes d’égalité, de fraternité et de laïcité, a aspiré à éliminer toutes les formes de discrimination. Mais parmi tous les préjugés qui ont persisté dans la société, ceux concernant les Juifs sont particulièrement tenaces. Historiquement, les stéréotypes antisémites ont montré une résilience effroyable, résistant aux évolutions sociopolitiques et culturelles. L’Affaire Dreyfus a montré en particulier que les préjugés antisémites peuvent survivre, même au sein des institutions les plus respectées de la République. Même si Dreyfus a finalement été innocenté, l’affaire a révélé un antisémitisme profondément enraciné dans la société française.

Par ailleurs, dans Permanence et renouveau de l’antisémitisme en France, Nonna Mayer met en avant l’idée selon laquelle les préjugés antisémites sont les plus ancrés, partent le plus difficilement, et que par ailleurs, ils sont ceux qui reviennent le plus vite. La possibilité même de reconnaître aux Juifs le statut de victimes lié aux violences qu’ils vivent devient alors un marqueur global d’universalisme et d’inscription dans le champ républicain.

 

La destruction des préjugés est-elle allée suffisamment loin pour qu’on puisse accepter que le Juif puisse avoir ce statut de victime sans qu’il en soit responsable, et ce, malgré son statut fantasmé ? C’est à cette question qu’a répondu par la négative une partie de la classe politique.

Bien entendu, il faut admettre un antisémitisme latent chez beaucoup d’antisionistes fervents, souvent d’ailleurs silencieux sur la question des droits de l’Homme quand elle ne concerne pas Israël. Il faut voir un antisémitisme latent quand des personnages politiques français ramènent des Juifs français à leur origine lorsqu’ils s’expriment politiquement, ou quand il leur est reproché d’instrumentaliser la Shoah à des fins victimaires.

Mais rien ne peut plus être tenu en mépris que l’idée selon laquelle les Juifs sont toujours en quelque sorte responsables de leur sort. Idée simple, mais qui pourtant pousserait à ne pas penser qu’égorger des enfants, même contre l’État juif, n’est jamais un acte de résistance, que d’éventrer des femmes enceintes et de pendre leur bébé mort-né n’est pas un moyen de lutte, que les Israéliens ne s’amusent pas à détruire des hôpitaux, et qu’ils ne fondent pas toute leur politique sur le mensonge.

Il résulte de cette vision biaisée un réel danger pour les Juifs, lorsque des députés de la République leur mettent une cible sur le dos en considérant que l’État juif est intrinsèquement menteur, et qu’une mort juive n’a pas tant d’importance que ça.

Partout en Europe, le discours anti-israélien fondé sur les poncifs antisémites provoque d’ailleurs des nouvelles violences contre le peuple déicide.

[1] Nonna Mayer, IV. Permanence et mutations des préjugés antisémites en France in L’antisémitisme contemporain en France (2022)

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  •  » La possibilité même de reconnaître aux Juifs le statut de victimes lié aux violences qu’ils vivent devient alors un marqueur global d’universalisme et d’inscription dans le champ républicain. »
    C’est le même cheminement intellectuel que le racisme systémique des wokes.
    On est victime d’une agression, d’un fait, mais pas victime parce que noir ou juif.
    Cette vision de choses abouti à l’inverse du but recherché, le juif n’est pas un français comme les autres alors que la DDHC déclare l’inverse, « Tout les hommes sont égaux »
    PS Bien entendu si un juif est agressé, il faut que la justice statue sur cette agression.

  • Bien des gens se moquent d’être des bons républicains. Peut-être vaudrait-il mieux s’interroger pour savoir si on est un honnête homme et un homme honnête.

    • oui et non.. tout le monde n’en a pas la même définition..
      républicain est fallacieux….
      un bon républicain est ce une personne qui adhère à l’idéal républicain, liberté individuelle, état de droit, ou une personne qui ne commet pas de crime..

      un communiste est il un bon républicain?
      un liberal est il un bon républicain?

  • Si vous dites que tous les Juifs de France ou de pays autres qu’Israël préfèrent ce dernier au leur, c’est faux. Mais à consulter certains sites, on se dit qu’il y a au moins un sentiment de solidarité marqué.

  • Mais la France insoumise n’a que faire de la vérité. Elle ne cherche qu’à conserver ses électeurs. Les places de ses députés (et donc les financements du parti par l’état qui va avec) sont à ce prix. Quand on a compris cela, inutile d’écouter ses discours. La seule différence avec les autres partis politiques, c’est que la France insoumise ne se préoccupe pas des préjugés qui nuiraient à des électeurs potentiellement changeants. Son socle d’électeurs lui suffit. Et LFI a raison, elle est sûr de le conserver et, compte tenu de sa démographie, de voir le nombre de ses députés augmenter.

  • Je me rappelle, il y a de cela 20 ans, Dieudonné avait lancé en région parisienne la « Liste Antisioniste ». Cela avait fait grand émoi, et elle avait finalement (après les élections…) été interdite. Dieudonné, à l’époque considéré extrême gauche (car artiste noir?), avait immédiatement été classé à l’extrême droite, et essentiellement mis au rebus, et interdit (en pratique) de toute représentation par le monde du spectacle (qui était et est toujours très à gauche).
    Qu’en serait il maintenant? Je pense que l’antisémitisme est devenu tolérable à gauche, et qu’il n’aurait pas été classé à l’extrême droite. Repensons au spectacle du « rabin nazi », je pense même que cela plairait en ce moment.

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