(II/IV) L’IA va-t-elle accentuer les inégalités de revenus, entre une élite surpayée et le reste des actifs sous-payés ?

Alors que l’ère numérique a érodé la classe moyenne, l’avènement de l’IA pourrait-il présenter un tournant surprenant en faveur des moins privilégiés sur le marché du travail ?

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(II/IV) L’IA va-t-elle accentuer les inégalités de revenus, entre une élite surpayée et le reste des actifs sous-payés ?

Publié le 24 octobre 2023
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Cet article fait partie d’une série. Dans l’article précédent, nous avons couvert les deux points suivants :

  1. L’IA va-t-elle augmenter notre productivité ?
  2. L’IA va-t-elle conduire à un chômage de masse ?
Dans la partie 3 et la partie 4, nous nous pencherons sur ceux-ci :
  • L’IA sera-t-elle monopolisée par Google et OpenAI ?
  • Et quid du jour où l’IA et les machines pourront faire tout ce que savent faire les humains ?

 

Admettons que le chômage de masse ne soit pas pour tout de suite, quel impact de l’IA sur la qualité des emplois, leur rémunération et répartition ?

 

Le tableau à ce jour

Les économistes nous disent que passés les abus des débuts, dans les pays occidentaux, l’ère industrielle et les progrès techniques qui l’ont accompagnée ont largement profité à tous et contribué à constituer de solides classes moyennes.

Par contre, depuis près de 40 ans, les preuves s’accumulent pour démontrer que la révolution informatique semble avoir conduit à une polarisation des emplois affaiblissant la classe moyenne : les tâches répétitives, manuelles et surtout cognitives, ont pu être abondamment automatisées, laissant, pour schématiser, d’un côté les emplois techniques et de services difficiles à robotiser mais souvent mal payés, et de l’autre les emplois les plus qualifiés toujours mieux rémunérés. Les inégalités de salaires ont augmenté sur cette période, surtout aux États-Unis.

Faisons abstraction un instant des bienfaits du progrès technique pour les consommateurs qui profitent de biens et services plus divers, moins chers et de meilleure qualité dans les secteurs assez ouverts à la concurrence, mais assez réglementés pour éviter les abus. Si on se concentre sur le seul volet de l’emploi, à ce jour, il faut reconnaître que les entreprises de la tech ont contribué à accroître les inégalités de salaires en ce sens qu’elles détruisent plus d’emplois dans les industries disruptées qu’elles n’en créent directement.

Un bon exemple est la comparaison entre Kodak qui employait 145 000 personnes à son apogée et Instagram, 13 employés lors de son acquisition par Facebook en 2012 (19 000 aujourd’hui).

On n’a pas pour autant assisté (aux États-Unis du moins) à une explosion du chômage, car beaucoup de ceux qui ont perdu leur emploi dans les secteurs disruptés ont pu en retrouver un, très souvent moins payé, dans d’autres secteurs pas encore bouleversés par la tech, dont la productivité reste faible et n’augmente que très peu. Les économistes expliquent que l’offre de travail, par les actifs, est inélastique, c’est-à-dire peu sensible aux variations de salaires, les gens ont besoin de travailler, surtout dans les pays à protection sociale réduite.

Bien sûr, le secteur de la tech est de plus en plus productif, avec une part croissante dans l’économie. Certes, il crée des emplois bien payés, mais pas tant que cela. Cela explique pourquoi la productivité totale au niveau macroéconomique ces dernières décennies augmente bien plus lentement qu’on n’aurait pu espérer.

Si beaucoup de la valeur des récents progrès est assez largement capturée par les consommateurs, le reste l’est en bonne partie par les entreprises de la tech et ses employés qualifiés, pendant que de plus en plus d’actifs se retrouvent dans des emplois moins productifs et moins bien payés qu’avant : les inégalités de salaires se creusent.

Enfin, c’est le tableau à ce jour, la question est maintenant de savoir si l’IA va amplifier cette polarisation de l’emploi.

 

Et pour la suite ?

Il est trop tôt pour trancher, mais il est très intéressant de noter que de récentes études pointent vers le contraire.

Les moins expérimentés et diplômés seront possiblement avantagés dans certains cas, comme le montre cette étude de 2023 de l’université de Stanford et du MIT :

« L’accès aux outils d’IA générative augmente la productivité, mesurée par le nombre de problèmes résolus par heure, de 14 % en moyenne, avec le plus grand impact sur les travailleurs novices et peu qualifiés, et un impact minimal sur les travailleurs expérimentés et hautement qualifiés. »

Dans une autre étude de 2023, des chercheurs du MIT ont testé l’usage de ChatGPT sur diverses tâches d’écriture. Leur conclusion :

« Les inégalités entre travailleurs diminuent car ChatGPT fait davantage augmenter la productivité des personnes moins qualifiées et expérimentées ».

Et dans cette étude de 2023, des chercheurs des universités de Princeton, Pennsylvanie et New York montrent que « les emplois de cols blancs hautement qualifiés et bien rémunérés pourraient être les plus exposés à l’IA générative ».

Cette étude de septembre 2023 encore, réalisées auprès de consultants BCG :

« L’IA fonctionne comme un niveleur de compétences. Les consultants qui ont obtenu les pires résultats lorsque nous les avons évalués au début de l’expérience ont vu leurs performances augmenter le plus, soit une augmentation de 43 %, lorsqu’ils ont commencé à utiliser l’IA. Les meilleurs consultants ont quand même bénéficié d’un coup de pouce, mais moins important. »

Comme disait Sam Altman récemment, il y a encore 5 ans, tout le monde pensait que l’IA achèverait d’automatiser en priorité les tâches à la portée du plus grand nombre, comme la conduite, et ne toucherait qu’en dernier les tâches créatives, d’analyse et de synthèse. Sauf que c’est l’inverse qui est en train de se produire. L’IA générative peut résumer des textes, décrire des graphiques, inventer des images et des chansons, mais elle ne sait toujours pas conduire (à ma décharge, j’écrivais en 2017 cette tribune dans le JDN « Dans moins de 20 ans l’IA saura générer un épisode de Game of Thrones en une seconde »).

Si ces enseignements devaient se confirmer et se généraliser à des pans plus complets de l’économie, cela pourrait bien inverser le creusement des inégalités.

Non pas parce que les actifs moins qualifiés seraient nécessairement mieux payés cependant, mais plutôt car ceux qui l’étaient très bien jusque-là le seraient potentiellement moins.

Prenons un exemple un peu extrême.

Imaginons qu’avec une IA spécialisée une infirmière puisse remplacer un médecin. L’infirmière n’aurait pour cela pas besoin d’étudier plus longtemps qu’avant. Pensez-vous que l’infirmière serait alors payée autant qu’un médecin aujourd’hui ? A priori non, elle gagnerait à peu près autant qu’avant, quand le médecin devrait accepter une baisse de salaire ou se reconvertir. Ce serait le public qui y gagnerait le plus, en profitant d’expertise médicale plus accessible. Si toutefois, face à la baisse du coût d’accès à la médecine, la demande en infirmières explose plus vite qu’on ne peut en former, alors le temps que cela se stabilise, le salaire des infirmières pourrait augmenter tant que cela reste moins cher que ne coûtent les médecins aujourd’hui.

Un médecin qui voit 4 patients par heure, 8 heures par jour, aura tenu près de 250 000 consultations en 30 ans. C’est sans doute un maximum, mais comment rivaliser avec une IA qui, dès son entrée en service, aura eu accès à des dizaines de millions de cas lors de son entraînement, et qui en parallèle aura en mémoire toutes les dernières études ?

 

L’empathie, dernier rempart ?

Certains dirons que le médecin l’emportera toujours pour l’empathie, mais c’est une qualité qu’une infirmière peut maîtriser tout aussi bien, voire mieux.

Et par ailleurs, il n’est pas dit que l’IA ne puisse pas en faire preuve également. Une étude de 2023 montre que ChatGPT est parvenu à répondre à des questions de patients avec autant de précision, mais plus d’empathie que des médecins.

Et le New York Times rapportait en juin 2023 que « des médecins demandaient à ChatGPT de les aider à communiquer avec les patients de manière plus compatissante ».

Il y a aussi ces exemples de personnes âgées en maison de retraite qui préfèrent se confier à un robot humanoïde qui ne les jugera pas plutôt qu’au personnel, ces étudiants qui préfèrent interagir avec un tuteur virtuel à la patience infinie plutôt que de prendre le risque de poser des questions bêtes à un humain, ou encore cette étude qui montre que « 60 % des répondants en France préfèreraient parler de leurs problèmes de stress et d’anxiété au travail à un robot plutôt qu’à leur manager ». Sans oublier ces utilisateurs qui confiaient au chatbot Replika leurs fantasmes sexuels, et ont basculé dans la déprime quand la startup a désactivé ces sujets de conversation.

On aurait ainsi pu penser que l’IA permettrait aux meilleurs d’un domaine de capter une part encore plus grande des revenus, mais peut-être qu’au contraire, elle permettra un rééquilibrage. Ce sera sans doute tranché au cas par cas, secteur par secteur, domaine par domaine.

Voir les commentaires (6)

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  • moi si une inégalité de revenus est injuste..donc qu’il ya une spoliation, rente ou vol..alors je dis non..
    sinon…
    AI ou pelle.. pareil..

  • « Imaginons qu’avec une IA spécialisée une infirmière puisse remplacer un médecin. »
    Et patient, vous feriez la même confiance pour les mêmes choses à une infirmière+IA qu’à un médecin+IA ? Vous avez déjà été patient ?

  • « MichelO était un navigateur et ingénieur français né en 1944 et décédé en 2020. Il a passé la majeure partie de sa vie en mer, naviguant sur des voiliers et des bateaux à moteur, parcourant les océans du monde entier.
    En 1988, il a fondé sa propre entreprise, Alu Marine, qui a construit des bateaux en aluminium pour des clients du monde entier. » — ChatGPT
    Sûr que ça en jette ! Un humain n’aurait fait aussi bien, comme bio. Mais,à part moi, qui va dire que je ne suis pas encore mort, que mon dernier embarquement date de 1977, et que je n’ai pas fondé Alu Marine ?

  • C’est déjà le cas, c’est également un principe dans la république, des millions de travailleurs du privé qui cotisent pour les retraites très élevés des fonctionnaires très hauts placés plus tous les migrants qui cherchent un travaillent en France se sera encore pire

    • Je vois surtout des migrants qui cherchent des aides, pas beaucoup qui cherchent un travail.
      Et les millions de travailleurs du privé rejettent avec vigueur la capitalisation, en particulier individuelle, et adorent imposer l’épargne : ils n’ont que ce qu’ils méritent.
      Les IA ne font que suivre les masses, ce sont des adeptes du pas de vagues et du ne changeons rien. Donc il ne faut pas compter sur elles pour sortir du nivellement par la base.

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