(I/IV) L’IA va-t-elle augmenter notre productivité et conduire à un chômage de masse ?

Alors que ChatGPT conquiert le monde, l’inquiétude monte : sera-t-il l’architecte d’un chômage massif ou le catalyseur d’une productivité sans précédent ? Plongée dans les méandres de cette révolution technologique.

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(I/IV) L’IA va-t-elle augmenter notre productivité et conduire à un chômage de masse ?

Publié le 23 octobre 2023
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Cet article est le premier d’une série de 4. Voici les liens vers la partie 2, la partie 3 et la partie 4 (prochainement publiée).

Depuis le succès fou de ChatGPT lancé en novembre dernier, on ne compte plus les articles qui partagent des exemples d’utilisation plus impressionnants les uns que les autres, conduisant certains à dire qu’une vague sans précédent de destruction d’emplois se profile à l’horizon, que cela ne pourra que favoriser les plus éduqués et expérimentés, et qu’enfin ce sera encore un moyen pour les géants américains de la tech de cimenter toujours plus leur emprise sur notre monde.

Rien n’est moins sûr, et dans pareilles circonstances il semble indiqué de détailler les raisons de penser le contraire afin de mieux appréhender cette révolution annoncée de toutes parts.

Nous allons nous pencher sur le sujet en cinq temps :

  1. L’IA va-t-elle augmenter notre productivité ? (partie I)
  2. L’IA va-t-elle conduire à un chômage de masse ? (partie I)
  3. L’IA va-t-elle accentuer les inégalités entre une élite surpayée et le reste des actifs sous-payés ? (partie II)
  4. L’IA sera-t-elle monopolisée par Google et OpenAI ? (partie III)
  5. Et quid du jour où l’IA et les machines pourront faire tout ce que savent faire les humains ? (partie IV)

 

L’IA va-t-elle augmenter notre productivité ?

Il y a beaucoup de raisons de le croire. Voici quelques études concluantes :

Cette étude de 2023 réalisée par des chercheurs d’OpenAI et de l’Université de Pennsylvanie nous dit qu’environ 80 % de la main-d’œuvre américaine pourrait voir au moins 10 % de ses tâches professionnelles affectées par l’introduction des large language models (derrière des outils comme ChatGPT), tandis que cela pourrait concerner 50 % des tâches de 19 % des travailleurs.

Cette autre étude de 2022 constate que les ingénieurs peuvent coder jusqu’à deux fois plus vite en utilisant un outil appelé Codex, dérivé du large language model GPT-3

Celle-ci, de 2023, conclut que de nombreuses tâches d’écriture peuvent également être effectuées deux fois plus vite grâce à l’IA générative.

Cette expérience d’un professeur américain relate qu’il a réussi à condenser plusieurs jours de travail qualifié en 30 minutes en utilisant l’IA pour créer un site web, une campagne email, un logo, un visuel, une vidéo, des campagnes social media.

Cette autre étude de 2023 tend à montrer, sur la base de 25 cas d’usage, que les économistes peuvent être 10 à 20 % plus productifs en utilisant les large language models.

Cette étude de septembre 2023 réalisées auprès de centaines de consultants BCG : les consultants utilisant l’IA ont terminé 12,2 % de tâches en plus en moyenne, ont terminé les tâches 25,1 % plus rapidement, et ont produit des résultats de qualité 40 % supérieure à ceux qui n’en avaient pas.

Citons aussi cet article d’OpenAI datant de mai 2023 :

« Il est concevable qu’au cours des dix prochaines années, les systèmes d’intelligence artificielle dépassent le niveau de compétence des experts dans la plupart des domaines et réalisent autant d’activités productives que l’une des plus grandes entreprises d’aujourd’hui. »

 

Ces dernières innovations en IA se démocratisent à une vitesse inédite.

ChatGPT est devenu le premier produit, toutes catégories confondues, à atteindre les 100 millions d’utilisateurs deux mois seulement après son lancement. N’importe qui, même avec un smartphone à bas prix, peut accéder à la version gratuite, et l’interface de tchat rend l’utilisation facile et intuitive, y compris pour les enfants et les seniors habituellement peu à l’aise avec la technologie. Cette révolution se fait depuis la base, en mode bottom up. Ethan Mollick, professeur à l’université de Wharton, explique qu’il ne compte plus les retours qu’il reçoit d’employés qui utilisent ChatGPT en secret sans le dire à leur patron.

Il semble donc très probable que la productivité augmente dans une série de tâches, emplois et secteurs, et sans doute au niveau de l’économie toute entière, au sens de produire plus ou mieux par heure travaillée.

 

Tempérons toutefois ce propos en soulignant certains vents contraires :

Si l’IA générative peut nous produire du divertissement sur mesure toujours plus additictif, certains ne seront-ils pas encore plus distraits au travail qu’ils ne le sont déjà du fait des réseaux sociaux ?

L’IA générative ne va-t-elle pas rendre le spam plus difficile à détecter ? Ne courons-nous pas de ce fait vers un monde où il y aura toujours plus de bruit et de difficulté à discerner des signaux utiles ? Comment cela ne pourrait-il pas nuire au développement économique ?

Les banques, entre autres, ne vont-elles pas devoir dépenser plus pour se protéger des risques accrus de fraudes ? Induisant une hausse de leurs frais, autant de frictions de plus dans les échanges, et réduction du pouvoir d’achat des consommateurs ?

Si l’IA générative permet de générer des plaintes et réclamations en justice bien plus facilement que jusque-là, et pour bien moins cher, ne risquons-nous pas d’assister à un judiciarisation croissante de l’économie causant toutes sortes de frictions susceptibles de la ralentir ?

Le journal The Economist citait Preston Byrne de Brown Rudnick, un cabinet d’avocats.

« Dans les années 1970, vous pouviez conclure une transaction de plusieurs millions de dollars en 15 pages parce que tout refaire à la machine à écrire était un casse-tête. L’IA nous permettra de couvrir les 1000 cas les plus probables dans le premier projet, puis les parties se disputeront pendant des semaines. »

 

L’IA va-t-elle conduire à un chômage de masse ?

En 1900 aux États-Unis, l’agriculture employait près de 42 % de la main-d’œuvre. Grâce aux progrès techniques elle n’en représentait plus que 2 % en l’an 2000. Cela n’a pas entraîné pour autant un chômage généralisé. Une étude montre qu’aujourd’hui, aux États-Unis, 60 % des emplois n’existaient pas il y a 80 ans.

Est-ce que ce sera différent cette fois-ci avec l’IA ? Allons-nous assister à du chômage de masse ? C’est a priori ce que peuvent laisser penser des annonces comme celle de British Telecom en mai 2023 qui prévoit de licencier 55 000 personnes d’ici à 2030, dont jusqu’à 20 % remplacées par l’IA.

Pour dire les choses simplement : non, du moins pas tant que l’IA et les machines ne parviennent pas à remplacer TOUT ce que font les humains, ce qui nous laisse beaucoup de répit. Ce n’est pas parce qu’on pourrait soudainement produire autant qu’avant avec bien moins d’employés qu’on assisterait en net à de vastes destructions d’emplois.

En effet, dans une économie relativement concurrentielle, produire une quantité donnée avec moins d’employés signifie qu’on vend moins cher, si bien que d’une part, on vend beaucoup plus en général, ce qui limite voire évite les pertes d’emplois dans le secteur en question ; et d’autre part, les économies faites par les consommateurs peuvent être dépensées dans d’autres secteurs, y créant de l’emploi en compensation. Ainsi, rien ne dit que le progrès technique doit nécessairement détruire massivement des emplois en net, tant que l’IA et les machines ne peuvent pas entièrement nous remplacer, précision importante.

 

Détaillons quelque peu

Si les employés d’un secteur deviennent collectivement bien plus productifs grâce aux nouveaux agents conversationnels intelligents (du type ChatGPT) et à l’IA en général, et cela, rapidement et sans grand investissement en formation, cela implique que le coût de production d’un bien/service dans ce secteur doit baisser à qualité égale, ou sa qualité augmenter à coût égal, voire un mélange des deux. Autrement dit, on peut produire plus et/ou mieux à coût total égal.

Dans un monde relativement concurrentiel qui est celui des économies prospères et innovantes comme la nôtre, cela signifie que le prix de vente finit par baisser à qualité égale, ou rester constant voire augmenter, mais avec un meilleur rapport qualité/prix (voire un mélange de meilleur prix et meilleure qualité). Les consommateurs apparaissent ainsi comme les grands gagnants.

S’il existait une demande latente pour ces biens/services, alors la consommation explose jusqu’à saturation. C’est ce qu’on appelle l’effet rebond, défini par Wikipedia comme « l’augmentation de consommation liée à la réduction des limites à l’utilisation d’une technologie, ces limites pouvant être monétaires, temporelles, sociales, physiques, liées à l’effort, au danger, à l’organisation ».

Si toutes les tâches ne sont pas encore automatisables, cela signifie que l’emploi peut même augmenter dans ce secteur pour un temps (et non pas nécessairement seulement pour les plus diplômés, tout dépend de ce que la machine/l’IA n’arrive pas encore à faire, voir section suivante).

L’exemple typique est celui des distributeurs de billets, qui, loin de détruire des emplois en banque, en ont en fait créé de nombreux d’après cette étude : si les succursales bancaires nécessitaient moins d’agents, elles devenaient du même coup moins chères à opérer. Les banques en ont donc ouvertes davantage. Le personnel en agence s’est aussi moins concentré sur le comptage des espèces, et davantage sur la relation client et la vente de produits comme les cartes de crédit.

Les progrès en IA devraient aussi permettre de proposer de nouveaux biens et services qui jusque-là étaient inconcevables ou non rentables. Si toute la production n’est pas encore automatisable, encore une fois, cela crée de l’emploi. Et on peut faire confiance à Homo sapiens pour s’inventer de nouveaux besoins sitôt satisfaits tous les autres. Nous vivons objectivement dans un monde d’abondance en France. Si on compare à il y a 300 ans, finies les famines, mais pourtant la plupart des gens continuent de ressentir des besoins à beaucoup de niveaux. L’appétit pour la nouveauté semble intarissable, on ne compte plus ces applications ou appareils dont nous nous étions bien passés jusque-là, mais qui nous deviennent indispensables.

En théorie, si l’on figeait l’offre de biens et services du moment en qualité et quantité produites par an, une productivité accrue permettrait de fournir autant, mais avec moins d’heures de travail. On aurait alors effectivement moins besoin de travailler, il y aurait moins de travail, et donc moins de revenus du travail, mais parallèlement biens et services coûteraient moins chers. En agrégat on profiterait des mêmes biens et services en travaillant moins. Nos revenus baisseraient, mais pas notre niveau de vie qui augmenterait, puisqu’on profiterait d’autant en échange de moins d’efforts.

Et en pratique, nouveauté, meilleure qualité et meilleurs prix offerts par l’IA (et le progrès technique en général) permettent aux consommateurs de consommer plus et/ou mieux et/ou de faire des économies à dépenser dans d’autres secteurs. Quand le prix d’un bien/service baisse par exemple, davantage de consommateurs peuvent en profiter, certains de ceux qui achetaient déjà en achètent davantage, et d’autres profitent des économies pour consommer d’autres biens et services, permettant le maintien voire le développement de l’emploi en agrégat, tant que tout ne peut pas être automatisé.

Il est probable aussi que le temps de travail moyen continue de diminuer.

D’après l’OCDE, il était d’environ 60 heures par semaine en moyenne à la fin du XIXe siècle en France, et en dessous de 40 heures aujourd’hui. En 1930, déjà, John Maynard Keynes écrivait dans Economic Possibilities for our Grandchildren qu’en 2030 on ne travaillerait que 15 heures par semaine grâce au progrès technique.

Je parle en agrégat, mais dans les faits il y aura évidemment un certain nombre de personnes pour qui ces transitions seront compliquées, les États vont avoir plus que jamais un rôle à jouer pour les accompagner.

Et bien sûr, le jour où l’IA et les machines peuvent faire tout ce qu’un humain peut faire, cela change tout, nous y reviendrons en toute dernière partie.

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  • Augmenter la productivité n’a de sens que s’il s’agit de production de biens ou de services pour lesquels il y a des clients. Pisser du code, je peux le faire depuis 40 ans, personne ne me l’achèterait. En revanche, concevoir une application utile d’exploitation d’une base données, ça oui ça se vend. Mais 95% du boulot est dans les deux mots « concevoir » et « utile », et l’IA n’y peut rien qu’amener des fausses pistes et de la confusion dans l’analyse du problème. Donc disons que ça ramène les 5% à 0.5% et que ça pousse les 95% à 110-120%…

  • « Dans un monde relativement concurrentiel qui est celui des économies prospères et innovantes comme la nôtre ». L’auteur vit il vraiment en France?
    Il ne me semble pas que les administrations aient été rendues plus efficaces avec l’informatisation. Cela ne sera pas le cas non plus avec l’IA.
    Enfin, je veux bien croire que l’IA peut être utile pour en mettre plein la vue, genre publicités, sites web, marketing. Mais lorsqu’il s’agit de sérieux, là j’ai des doutes. L’IA n’innove pas, elle récupère des connaissances déjà crées, ses résultats ne peuvent qu’être bibliographiques ou superficiels. Bref, on verra bien…

  • et si ça amenait du chomage de masse… on aurait le droit d’interdire???

    vous devriez faire un article avec montenay…

    « Et bien sûr, le jour où l’IA et les machines peuvent faire tout ce qu’un humain peut faire, cela change tout, nous y reviendrons en toute dernière partie. »

    ça change des trucs mais pas tout.

    regardez le monde il ya encore des gens qui font des choses que des machines peuvent faire.. pour moins cher..
    car ils ont pauvres et se contentent de peu..
    ;

    • sinon quoi exercice de spéculation?
      le chomage est un problème individuel…
      qui se résout par une approche individuelle..

  • Mais arrêtez avec l’IA… C’est uniquement une bulle. Tout le monde n’est pas analyste financier ou banquier… Vous pensez que c’est l’IA qui va bâtir vos maisons et vous amener de l’électricité ? La blague ! Vous faire à manger peut être ? Mmmmmmh. lol quoi, à part remplacer notre service public administratif (ouf) c’est juste ce à quoi c’est capable ! Tous nos téléphones soit disant gavés à l’IA sont juste bons à afficher des pubs pour des produits une fois achetés sur Amazon. Tu parles d’intelligence. C’est ridicule cette histoire.

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