(VI/VI) Raymond Aron : le souhaitable et le possible

À l’occasion des 40 ans de la mort de Raymond Aron, Contrepoints republie cette série d’articles consacrée au plus célèbre des spectateurs engagés.

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(VI/VI) Raymond Aron : le souhaitable et le possible

Publié le 23 octobre 2023
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Première partie de cette série ici.

Seconde partie de cette série ici.  

Troisième partie de cette série ici.

Quatrième partie de cette série ici.

Cinquième partie de cette série ici.

 

Entre raison et passion la lutte continue

Après la publication du Spectateur Engagé, Michel Contat, un proche de Sartre a estimé dans un article du quotidien Le Monde que le dialogue entre Sartre et Aron n’a jamais cessé :

« Ces deux pensées antagonistes malgré leur communauté de culture (la phénoménologie, le marxisme) sont les deux pôles entre lesquels se tend jusqu’au déchirement le débat intellectuel du siècle […] C’est dans nos têtes que […] s’affrontent les deux voix fraternellement ennemies, nos deux voix : celle qui énonçant le souhaitable, le désirable pose un projet indéfini et celle qui, lui opposant raisonnablement le possible, la réalité têtue, met en garde… »

Au partisan enflammé et partial que fut Sartre s’oppose l’analyste dépassionné mais qui prend aussi position que fut Aron. Comme beaucoup d’autres aujourd’hui, je suis convaincu qu’il vaut mieux avoir raison à la manière d’Aron que tort à la manière de Sartre.

Réfléchir avec Aron c’est en effet réfléchir sur l’essentiel, sur ce qui est au fondement des attitudes politiques et des systèmes de pensée qui influencent les actions des hommes, sachant que parmi ces systèmes certains sont mortifères et ont fait la preuve des terribles dangers dont ils sont porteurs, alors que d’autres sont stériles et paralysent l’action. C’est ce deuxième danger qui aujourd’hui menace l’Europe lorsqu’elle prend des décisions dangereuses qui semblent conformes à ses valeurs mais sont contraires à ses intérêts de long terme.

Alors que partout dans le monde s’exacerbent les tensions géopolitiques, il pourrait bien se révéler fructueux de s’inspirer de la posture d’Aron pour analyser plus froidement les implications de la guerre en Ukraine.

 

Les sanctions contre la Russie au filtre de la méthode aronienne

Pour reprendre les termes de Raymond Aron :

Entre la tentation totalitaire et les aspirations libérales, la bataille continue, elle se poursuivra aussi loin devant nous que porte notre regard. Les libertés dont nous jouissons gardent la fragilité des acquis les plus précieux de l’humanité.

Sans risque de se tromper, on peut affirmer que le système poutinien est d’essence totalitaire et met en danger nos fragiles libertés. Après avoir annexé la Crimée puis envahi une partie de l’Ukraine, son régime menace aujourd’hui l’Occident en général et l’Europe en particulier dont il cherche à détruire la cohésion.

Il faut donc combattre cet agresseur avec la plus grande fermeté. La question de fond est de savoir avec quelles armes il convient de le faire.

La voie d’un soutien militaire sans faille semble s’imposer. L’Occident est fondé à fournir massivement les systèmes de défense les plus modernes à l’Ukraine et de mettre à sa disposition toutes les données l’aidant à résister à son envahisseur. L’enjeu est de créer un rapport de force favorable lorsque sera venu le temps de la négociation de manière à ne pas subir les conditions de l’ennemi.

Mais les six trains de sanctions économiques sans précédent prises par l’UE servent-ils cette cause ? Leurs initiateurs ont-ils bien mesuré leurs effets pervers lorsqu’ils les ont adoptés ? Ces mesures ne sont-elles pas en train de leur infliger bien plus de dommages qu’ils n’en infligent à la Russie ? On est légitimement fondé à se poser ces questions.

Dès aujourd’hui il est nécessaire d’établir un bilan de leur efficacité et de ne pas se borner à s’indigner des propos de madame Le Pen disant « qu’elles ne servent à rien ». Si l’UE les atténuait ou les mettait entre parenthèses troquerait-elle son honneur « contre un plat de lentilles » comme le prétend Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique ? Cela aussi est à examiner sérieusement car tout montre que le coût de ces mesures pour l’Europe pourrait être catastrophique. Déjà l’inflation s’envole, les pénuries menacent et l’industrie allemande hier si prospère tremble sur ses bases.

Certes on peut honnir l’ex-chancelier Schröder mais pas le contredire lorsqu’il déclare aux média allemands :

« Beaucoup de gens pensent que c’est bien qu’il y ait encore quelqu’un qui garde ouverts les canaux de discussion avec la Russie dans le conflit actuel ».

Faire parler les morts est toujours périlleux. Il n’en reste pas moins qu’il est plus que jamais vital de faire preuve de raison et de dépassionner l’analyse des évènements en cours comme nous y invite Raymond Aron. Il nous aurait peut-être aussi incité à faire preuve de lucidité en réalisant que les adeptes de la décroissance sont aussi à la manœuvre. Par l’entremise des sanctions, l’occasion est trop belle de rationner les addicts aux énergies fossiles que nous sommes avec l’espoir de changer durablement nos comportements.

 

Pour aller plus loin

Ce qu’on peut écouter

 

Ce qu’on devrait lire

 

Sources

  • Le Spectateur engagé (livre d’entretiens), Paris, Julliard, 1981
  • Mémoires, 50 ans de réflexion politique, 2 volumes, Paris, Julliard, 1983
  • Revue Commentaire, N° 28, Paris, Julliard, 1985
  • Le siècle des intellectuels, Michel Winock, Paris, Seuil, 1997

Publié initialement le 16 aout 2022.

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