L’Europe à la dérive : et si on revenait aux sources ordolibérales ?

De ses débuts ordolibéraux à son tournant écologique, l’UE semble avoir dévié de sa trajectoire originelle. Est-il temps de revenir aux fondamentaux pour contrer la montée des extrêmes ?

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L’Europe à la dérive : et si on revenait aux sources ordolibérales ?

Publié le 18 octobre 2023
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Dans son discours prononcé à la fin du mois d’août devant les ambassadeurs français réunis à Paris, la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, avait prôné la construction d’un projet européen « positif et ambitieux » pour contrer la montée de l’extrême droite et des populistes, et appelé à « rendre l’Europe la plus concrète possible ». Ne faudrait-il pas déconstruire (c’est à la mode !) ce qu’elle est devenue pour la reconstruire telle que l’avaient imaginée ses fondateurs ?

 

Un projet économique…

Le traité instituant la Communauté économique européenne lui avait assigné pour mission de créer un marché commun entre les six États signataires, et d’ainsi favoriser un développement économique harmonieux et le relèvement du niveau de vie dans l’ensemble de la Communauté, garantissant à ses membres une expansion continue grâce à une stabilité accrue, et des relations plus étroites entre eux.

Ce traité fut précédé par celui créant en 1951 la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), et il fut signé en même temps que celui instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA ou Euratom, 1957) par les mêmes six États (Allemagne, France, Italie et les trois pays du Benelux). L’accent était clairement mis sur l’économie, l’industrie et l’énergie, et empreint d’ordolibéralisme, à savoir de pensée libérale selon laquelle l’État a pour tâche de pourvoir un cadre normatif permettant la concurrence libre et non faussée entre les acteurs économiques, dans l’intérêt général.

C’était, en tout cas, prendre le contrepied du communisme, nonobstant tout le bien qu’en disaient de grands sachants de l’époque tels que Sartre (« Tout anticommuniste est un chien »), et donner à la France l’opportunité d’enfin se détourner du colbertisme, bien que la Constitution française de 1958 en ait promptement apporté le démenti. La CEE fut élargie au Danemark, au Royaume-Uni et à l’Irlande en 1973, et aux anciennes dictatures, la Grèce en 1981, l’Espagne et le Portugal en 1986, doublant le nombre des États membres, sans toutefois dénaturer le projet d’origine.

Ont suivi l’Autriche, la Finlande et la Suède (1995), dix nouveaux États majoritairement issus de l’ancien bloc communiste (2004), la Bulgarie et la Roumanie (2007), la Croatie (2013), avant qu’en 2020 le Royaume-Uni ne quitte ce qui entretemps était devenu l’Union européenne avec le traité de Maastricht (1992) et la création de l’Union économique et monétaire, avec pour but de renforcer le marché commun par la création d’une monnaie commune.

 

… détourné par l’écologisme

L’objectif restait économique et partait d’un bon principe, mais il fut détourné.

Ce fut une autre occasion manquée pour la France et d’autres pays de mettre leurs affaires en ordre. Par contre, les crises financière, budgétaire et sanitaire aidant, la Banque centrale européenne n’a pas manqué, avec ses programmes d’achats d’obligations sur le marché, de s’attribuer un pouvoir que même la Cour constitutionnelle allemande a jugé ultra vires, exorbitant du mandat qui lui avait été conféré. (la Cour de justice de l’UE a nié qu’il en fût ainsi.)

Le traité modificatif de Lisbonne (signé en 2007, entré en vigueur le 1er décembre 2009) changea la donne.

Le pouvoir du président de la Commission européenne, désigné à la majorité qualifiée, et non à l’unanimité par le Conseil européen, et élu à la majorité par le Parlement européen, ainsi que le rôle de celui-ci, s’en trouvèrent considérablement augmentés. En effet, le Conseil choisit les membres de la Commission d’un commun accord avec son président élu avant que le Parlement n’en approuve la composition en tant que collège à la majorité, et que le Conseil ne la nomme à la majorité qualifiée. Par la suite, la Commission dispose du monopole de l’initiative législative et n’est plus responsable devant le Conseil européen, mais uniquement devant le Parlement européen.

À peine élue en 2019, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté un plan pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’UE pour 2030 d’au moins 50 %, voire 55%, par rapport aux niveaux de 1990.

Le plan consiste à revoir chaque loi sur la base de ses vertus « climatiques » et à faire adopter des directives liantes sur le plan économique et pour la rénovation des bâtiments, la biodiversité, l’agriculture et l’innovation, « le communisme par d’autres moyens », comme le disent ceux qui voient dans ce plan une résurgence du planisme économique, une attaque contre la propriété privée, et une ingérence dans l’existence de tout un chacun dès lors que comme l’a déclaré Richard Lindzen, le physicien de l’atmosphère et ancien professeur à l’Université Harvard et au MIT : « Controlling carbon is a bureaucrat’s dream. If you control carbon, you control life. »

Qui plus est, lors de la conférence « Beyond Growth » (Au-delà de la croissance) qui s’était déroulée dans l’enceinte du Parlement européen à Bruxelles du 15 au 17 mai 2023, dans son discours d’ouverture de cet événement organisé par le groupe des Verts/Alliance libre européenne et les écologistes d’autres partis afin de mettre en cause « la focalisation néfaste sur la croissance économique » (la croissance du PIB) comme base de notre modèle économique, la présidente de la Commission européenne avait déclaré :

 

« En effet, si l’on remonte en arrière, il y a un peu plus de 50 ans, le Club de Rome et un groupe de chercheurs du MIT publiaient le rapport intitulé « Les limites à la croissance », dans lequel ils décrivaient les interactions entre croissance démographique, économie et environnement. Et, il y a 50 ans, leur conclusion était sans appel : il faut arrêter la croissance économique et démographique, ou notre planète n’y arrivera plus.

[…]

Je voudrais aujourd’hui m’arrêter sur un seul point, un point sur lequel le rapport avait indubitablement vu juste : je veux parler de l’affirmation claire et nette selon laquelle un modèle de croissance fondé sur les combustibles fossiles est tout bonnement obsolète. Ce constat a depuis été confirmé à de multiples reprises. Le dernier rapport en date du GIEC n’est que le rappel le plus récent du fait que nous devons décarboner nos économies le plus vite possible. Et c’est précisément pour cette raison que nous avons lancé notre pacte vert pour l’Europe. »

 

Revenir aux fondamentaux

En doutiez-vous encore, telle est l’idéologie dont s’inspire la politique de la Commission européenne.Tout le monde ne partage pas, loin s’en faut, cette vision idéologique de la Commission européenne.

Nous sommes loin de l’ordolibéralisme et de la prospérité pour tous.

Nous sommes loin du principe de subsidiarité, voire même de l’Europe de la taille des concombres et de la courbure des bananes. Le décroissantisme est l’opposé de la vision des « pères fondateurs de l’Europe ». Force est toutefois de constater que le Parlement européen adhère majoritairement à l’idéologie de la Commission, à l’exception des partis populistes, nationalistes et d’extrême droite.

Faut-il dès lors s’étonner que ceux qui rejettent la pensée unique et le dirigisme de la Commission se rabattent vers les partis qui s’y opposent ? À y regarder de plus près, en matière économique notamment, c’est effarant, mais c’est ainsi.

Aussi, si, au moment où le choc des civilisations se fait plus violent, madame Colonna a l’intention de promouvoir la renaissance du projet européen tel qu’il était à l’origine, libéral, fût-ce ordolibéral, de débureaucratiser, décentraliser et démocratiser l’Europe, elle mérite nos encouragements et notre soutien.

Encore faudrait-il que le peuple français soit prêt à accepter les réformes que cela impose. Pour qui a été chef de petite et moyenne entreprise en France, cela paraît moins évident, mais c’est à ce prix que l’on évitera un déclin fatal et le pire. C’est l’enjeu des prochaines élections européennes, mais pas seulement.

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  • L’Europe est devenue un vaste bazar, où l’on s’occupe de tout et où l’on n’arrive à rien.
    Ce n’est plus qu’une affaire de politique entravée par un écologisme forcené.
    Revenons aux fondamentaux: l’économique et le social. Une politique des frontières et une écologie positive.

    • Avec ça, on serait toujours dans le même bateau. Cessons de nous préoccuper des frontières pour nous contenter de rendre nos territoires agréables pour nous et peu accueillants pour ceux qui ne nous ressemblent pas. Cessons de faire de l’écologie pour nous concentrer sur l’économie, l’écologie n’étant qu’une manière de conduire les actions et certainement pas un but.

  • Tous les députés européens et les fonctionnaires associés souhaitent garder le status quo actuel. Bien pratique pour ceux qui y sont pour y faire rentrer leurs enfants.
    Madame Colonna, comme les autres, dit aux français ce qu’ils veulent entendre. Et, comme les autres, ni ne le pense, ni ne le fera.
    Les promesses n’engagent que ceux qui les croient.

  • « Encore faudrait-il que le peuple français soit prêt à accepter les réformes que cela impose. Pour qui a été chef de petite et moyenne entreprise en France, cela paraît moins évident, mais c’est à ce prix que l’on évitera un déclin fatal et le pire »

    Tout à fait, ayant été gérant de société pendant 20 ans, et souvent en butte aux tracasseries de l’administration, ce qui est évident, c’est qu’il faut virer la moitié des fonctionnaires, redonner aux autres les seules tâches (régaliennes) utiles au fonctionnement du pays, et dire m***e aux fonctionnaires de Bruxelles en reprenant au minimum notre liberté quant à la façon de mener nos affaires économiques, sociétales et réglementaires, et se fixer des objectifs certes ambitieux, mais atteignables! Et donc abandonner cette stupide lutte climatique contre le CO2 et « pour la planète » qui ne s’en portera que mieux!

  • Un projet européen « positif et ambitieux ». Je ne sais pas si le projet européen fut jamais si ambitieux, mais il avait le mérite d’être clair et simple. Faciliter les échanges, c’est à dire qu’il y ait moins de réglementations, moins de taxes, moins de formulaires à remplir pour pouvoir commercer en Europe. Dès la création de l’UE, il y avait un lièvre. la création du parlement européen, sous tendant la création de lois, prédisait que cette facilitation des échanges aurait désormais une contrepartie, une augmentation des lois (normalisation etc).
    Puis l’uniformisation est devenue la priorité (je dirais après 2000), comme si la facilitation des échanges nécessitait cela. Au fond, peut être était on déjà arrivé à la libéralisation maximale de l’UE, les différents états (ni les populations) ne voulant pas, au fond, de commerce international totalement libre. Simplement que le peuple européen n’existe pas, et le projet d’aller toujours plus loin se heurte aux populations, qu’il faut alors faire courber par autoritarisme.
    Quid de suspendre la commission et le parlement européen sine die, et voir comment les peuples y réagissent? On sait que ce ne sera jamais même envisagé…

  • l’ue n’a encre que e pouvoir qu’on lui donne. le brexit l’a prouvé..

    le risque est pour la souveraineté du peuple français.. quelque soit le projet européen.
    en gros SE laisser la porte de sortie paisible ouverte de l’ue.

    alors certes son voit la stratégie des gens favorable à une gouvernance européenne pourvu qu’ils puissent imaginer être à la tète.. .. ne pas en faire promotion mais la rendre effective via l’usine à gaz et la multiplicité des accords..
    Laisser la porte ouverte mais entasser tout un tas de truc rendant l’acccès à la sortie onéreux.

    c’est l’ue politique la question.. pas sa direction..

    • lue porte en elle une contradiction…

      dès le départ..

      le libre échange … serait à la fois une bonne chose pour les pays et une mauvaise chose pour les pays selon avec qui on le fait.. , L’ue protège..du vilain libre échange…
      le libre échange est par nature entravé par le politique..lui confier le role de le défendre est périlleux. surtout quand ce politique ne vous représente que peu..

      c’est en fait une ode vicieuse au protectionnisme et à la fin de la pertinences poiltiques des peuples..

      c’est aussi passer d’un monde libre à un mode de sempiternelles demandes d’autorisations..

      l’intention initiale je m’en fiche..je e veux pas faire de procès d’intention..

      • l’ue libére certes mais aussi enferme…et interdit l’accès..

        et , ce qui devrait inciter à sortir à mon opinion , crée des conditions pour rendre la sortie pénible… d’autant plus qu’ne meme temps elle conditionne l’appartennce à des trucs non prévus au départ..  » jai pas signé pour ça »…

        elle n’interdit pas la souveraineté , elle la fait payer… la mettant en balance avec l’interet d’apprtenir à lue..

        ce n’est pas un hasard si tous les antibrexit insistent sur la perte économique… comme si la souveraineté d’un pays ne valait rien…

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