Le spectroscope, notre clef pour déchiffrer le message des étoiles

Les spectroscopes, sont devenus extraordinairement raffinés. Grâce à eux on peut non seulement analyser la lumière des étoiles proches.

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Le spectroscope, notre clef pour déchiffrer le message des étoiles

Publié le 24 septembre 2023
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Au début, il n’y a pas si longtemps au regard de l’histoire, l’astronome ne disposait que de l’intensité de la lumière et de ses propres yeux pour tenter de comprendre les astres qu’il contemplait la nuit.

Après une série de progrès dans la réflexion scientifique et de progrès technologiques, les spectroscopes, ces instruments dont nous disposons aujourd’hui pour décomposer la lumière, sont devenus extraordinairement raffinés. Grâce à eux on peut, non seulement analyser la lumière des étoiles proches mais aussi les atmosphères d’exoplanètes qui n’émettent aucun rayonnement visible, ou connaître la vitesse d’éloignement, donc la distance, à laquelle évoluent les galaxies les plus lointaines.

C’est grâce à ces instruments merveilleux que nous avons pu passer de l’astronomie à l’astrophysique.

Pour que la Science ait pu avancer, il a fallu des hommes qui comprennent que les silex pouvaient devenir des outils plus efficaces s’ils étaient taillés ou, plus généralement (et récemment), qui puissent concevoir des instruments en fonction des effets dont ils voulaient comprendre les causes.

Dans le domaine considéré aujourd’hui, le premier de ces hommes fut Isaac Newton. En 1672 il décrivit son expérience du prisme avec tous les détails nécessaires à la compréhension et à la répétition, démontrant que la lumière « blanche » (ou « neutre ») était constituée de toutes les couleurs que l’œil humain pouvait discerner. Il constata à la sortie du prisme « un mélange hétérogène de rayons différemment réfrangibles », ce mélange étant ce qu’il nommera lui-même un « spectre ». En langage scientifique, on dit aujourd’hui que la lumière blanche est la résultante de radiations de fréquences différentes, et que le prisme en réalise la décomposition spectrale. Mais la description moderne était déjà implicite dans les termes employés par Newton. La porte permettant d’accéder au progrès dans cette branche de la Science avait été ouverte !

C’est ensuite au début du XIXe siècle que William Herschell puis Johann Ritter perçurent la présence de rayonnements non visibles de part et d’autre du spectre lumineux. Et en 1864, James Maxwell comprit que la lumière résultait, tout comme le son qui fut étudié en premier, d’une vibration électromagnétique. On réalisa ainsi que le spectre lumineux n’était seulement qu’une toute petite partie du spectre électromagnétique qui, dans toute son ampleur, s’étendait de part et d’autre jusqu’aux limites des possibilités physiques d’oscillations, des plus courtes au plus longues, des plus rapides au plus lentes, ou des plus serrées aux plus ouvertes, selon l’image que l’on préfère pour se le représenter.

Du côté des instruments, le spectroscope de Newton, un simple prisme, évolua considérablement également à partir du début du XIXe siècle.

La première évolution fut de placer une lentille-collimateur avant l’arrivée du flux lumineux sur le prisme, pour le rendre parallèle et orthogonal au plan du prisme défini par sa hauteur.

La seconde fut de remplacer le prisme par un « réseau de diffraction », c’est-à-dire une surface opaque percée de raies étroites qui produisait le même effet, tout en donnant une image plus nette. Ce fut l’idée de l’Américain David Rittenhouse en 1786 (avec des cheveux !) puis du maître verrier/opticien bavarois, Joseph von Fraunhofer en 1815 (avec des fils métalliques). On parla de « réseau en transmission ».

Mais la diffraction n’empêchait pas les interférences. On ajouta donc un autre prisme après le réseau pour éviter la superposition de deux franges de longueurs d’onde voisines. On peaufina par la suite le  réseau avec une surface de réception composée d’une multitude de petits plans inclinés (constituant des rayures ou, mieux dit, un « réseau en réflexion »), ou en croisant deux réseaux de diffraction afin d’obtenir une multitude de points (plutôt que de fentes ou de rayures) apportant chacun son information sur la lumière reçue (cf MUSE ci-dessous).

Une autre évolution concerne l’interprétation de la lumière reçue par le spectroscope.

Fraunhofer remarqua les discontinuités sombres présentes sur tout spectre de lumière solaire (les « raies de Fraunhofer »). Mais ce n’est qu’en 1849 que Léon Foucault (le Foucault du pendule) réalisa que ces raies correspondaient à l’absorption par la lumière d’un élément chimique présent dans l’émetteur lui-même, ou dans l’atmosphère traversée (ce dont on ne s’aperçut qu’un peu plus tard) et qui annulait en quelque sorte l’émission sur la longueur d’onde de l’élément chimique concerné.

En 1859, Gustav Kirchhoff remarqua que la source émettrice devait être plus chaude que la lame du réseau qui l’absorbe (d’où beaucoup de difficultés pour obtenir les spectres de rayonnements lointains et très froids). C’est le début de la découverte d’un nombre extrêmement élevé de raies qui permettent d’identifier très précisément une multitude d’éléments chimiques (simples ou composés) par leur longueur d’onde, et par leur position par rapport aux autres raies, un outil extraordinaire pour l’exploration spatiale car il est devenu extrêmement précis.

Une autre évolution concerne l’impression de l’image reçue (à fin de conservation et de comparaisons).

Au sortir d’un spectroscope, il faut un spectrographe (que souvent on ne distingue pas du spectroscope) pour capter l’image du spectre et obtenir un spectrogramme (le document). On est passé du simple dessin, transcrivant la vue sur écran, à l’impression photographique en noir et blanc puis couleur, et enfin à la capture du rayonnement reçu par capteur CCD (Charge Coupled Device), une matrice de photodiodes extrêmement petites, quelques microns, ce qui permet une précision extraordinaire, évidemment utilisée jusqu’à l’extrême pour décomposer les rayonnements les plus faibles du fait de leur distance ou de leur abondance.

L’un des premiers « développeurs » (dirait-on aujourd’hui) du spectroscope pour l’astronomie, fut le père jésuite italien Angelo Secchi (1818 – 1878) qui inventa le premier appareil spécialement conçu pour décomposer en raies la lumière des étoiles (et non plus seulement celles du Soleil, sur lequel il travailla principalement). Il utilisa cet instrument à partir de 1863, ce qui lui permit de publier en 1870 une classification en quatre couleurs des quelques 4000 différentes sources observées en les rapprochant des éléments chimiques dominant dans leurs raies spectrales.

On était alors dans le cadre d’un univers que l’on pensait statique, mais une autre porte fut ouverte en 1868 quand l’astronome britannique William Huggins, réalisa que le décalage vers le rouge du spectre de l’étoile Sirius, par rapport à celui d’autres étoiles, était explicable par le déplacement (effet Doppler-Fizeau ou « redshift » confirmé en 1848 par Hyppolyte Fizeau après sa découverte en 1842 par Christian Doppler). Il en conclut naturellement que l’intensité et le sens du décalage pouvaient servir à calculer la vitesse radiale des astres.

Le Vaudois Charles Dufour se servit de cette découverte pour calculer des parallaxes à des distances jamais tentées, à partir des bases constituées par le rayon de rotation des étoiles doubles (avec la Terre et non plus l’astre, comme pointe de l’angle) ainsi qu’il l’expose dans le bulletin n°10 de la Société Vaudoise de sciences naturelles en 1868 : au sein du couple d’une étoile double, la variation de vitesse indiquée par l’effet Doppler va permettre de calculer l’orbite de l’« étoile satellite » autour de l’étoile principale, donc son rayon. Ceci à condition bien sûr que la lumière des deux étoiles du couple puisse être dissociée l’une de l’autre (ce qui limite la distance à laquelle on peut utiliser le calcul). On aura ainsi la base du triangle, dont on pourra mesurer le côté de l’angle au sommet duquel se trouve la Terre en prenant la tangente de l’angle lié à cette base.1

Cette utilisation de l’effet Doppler sur le spectrogramme se faisait dans la continuation des calculs de parallaxe pour estimer la distance des astres de notre environnement plus ou moins proche. Mais avec la multiplication des observations dans un volume d’espace de plus en plus grand, permises par des télescopes de plus en plus puissants, on remarqua au début du XXe siècle (1929, Hubble) que les galaxies étaient affectées d’un redshift d’autant plus élevé que leur distance à notre Voie Lactée était grande. L’estimation de la distance calculée jusque-là par d’autres moyens, les « chandelles standards » (supernovas de « type Ia », entre autres), pouvait désormais être faite (ou confirmée) par le redshift (ce qui était d’ailleurs la seule solution pour les sources de rayonnements les plus lointains).

C’est cette constatation qui permit à l’abbé Lemaître, en remontant le temps, d’en déduire (1931) que l’univers était en expansion, ou plutôt de relier cette constatation à sa théorie plus ancienne (1927) de l’« atome primitif » qu’il avait élaborée à partir de considération théorique (et de calculs) reposant sur la structure de l’atome et les rayons cosmiques.

Depuis, on précise et on raffine sans cesse.

Le dernier instrument en date, MUSE (Multi Unit Spectroscopic Explorer)2, en service depuis 2014, est placé sur un des télescopes du VLT (Very Large Telescope) de l’ESO (European Southern Observatory).

C’est une application surtout intéressante pour l’observation des sources lumineuses les plus lointaines. Par croisement des réseaux, il apporte une vision différenciée et simultanée de chaque point de lumière. On obtient ainsi non seulement une image ponctuelle, mais aussi, grâce à l’effet Doppler-Fizeau, une vitesse d’éloignement, l’orientation du mouvement, et encore un spectre donnant la composition chimique du point observé. En même temps, on obtient une vue simultanée des autres sources lumineuses (et de leurs spectres) comprises dans le champ (on parle de « spectroscopie intégrale de champ »). Cela permet d’obtenir directement une véritable carte physico-chimique immédiate du ciel en 3D.

 

Nous voyons donc là un cheminement scientifique typique, fruit de beaucoup de réflexions, de travaux et de calculs, effectués dans divers domaines (physique, acoustique, optique, chimie, maîtrise de l’énergie, travail du ver et du métal, cryogénie, informatique) et qui parviennent à un résultat synthétique, un outil extraordinaire d’observation des étoiles les plus lointaines, dans leur contexte, permettant l’analyse la plus fine de la source et de son environnement.

À toute époque, dans un domaine quelconque, la science est le fruit de progressions à partir d’un état antérieur, et finalement d’une convergence avec les progressions effectuées parallèlement dans d’autres domaines, sans oublier toujours les mathématiques qui sont au-delà de la logique, la solution pour décrire sérieusement et précisément des phénomènes théorisés et observés (comme l’écriture est indispensable pour la littérature) et le socle sur lequel on s’appuiera pour réaliser ensuite d’autres progrès.

Sur le web

  1. Lire mon article sur le sujet, dans le Bulletin de la Société Vaudoise de Sciences Naturelles (Vol 99, 2020, pages 130 et suivantes) : « Un Vaudois contributeur majeur à l’astrométrie moderne ».
  2. Mais il y en a d’autres ! J’aurais aussi bien pu me référer à l’observatoire Gaia et ses deux télescopes dotés de spectroscope, lancé en 2013 au point de Lagrange Terre-Soleil L2 pour cartographier en 3D les étoiles proches.
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  • Certes.. toutefois la question qui se pose en filigrane et ce d’autant plus fortement que les détecteurs valent de plus en plus cher …même si l’auteur a a dessin évité cette question…

    la justification de coercition pour le financement de la science….

    La possibilité de « retombées » technologiques et économiques…. n’est pas valable car c’est le cas de tout investissement..et en matière de retombées ..une technologie nouvelle peut aussi vous faire perdre votre boulot..le bien commun est un concept douteux.
    reste l’espect militaire et la technologie tenue secrète en somme..

    Ceci dit la question est à adresser aux élus qui acceptent les budgets…bien entendu.. qui bien souvent n’y comprennent rien.. ce qui cause certains petits problèmes. qui pourront enfler jusque causer un rejet POLITIQUE et idéologique de la science.

    paye, crois et ferme ta bouche…avec en face la dégradation de l’esprit critique.. ça peut exploser.

    • Votre commentaire est surprenant Monsieur Lemiere. Il me semble totalement « à côté de la plaque ». Je vous parle de progrès, d’une branche de la science qui nous permet de mieux comprendre l’Univers…et vous commentez sur le coût des détecteurs!?
      Bien sûr, on aurait pu continuer à observer le ciel avec ses yeux, les pieds fermement posés au sommet de la pyramide. Personnellement je préfère que nos astrophysiciens le fassent avec des spectroscopes, même s’ils coûtent un peu d’argent.

      • Je pense pourtant que c’est une bonne remarque. La science a un cout de plus en plus élevé, avec un retour qui diminue. Son cout est socialisé, et même plus, ses résultats sont librement distribués à l’échelle de la planète.
        Pour les contribuables, il s’agit d’un don forcé pour le progrès de l’humanité. C’est, je pense, loin d’être la pire dépense de l’état, mais sur un site libéral, il faut se poser la question. L’autre option est le mécénat, qui a quasiment disparu. Pourquoi?

        • Je ne pense pas comme vous. Le retour que l’on a actuellement avec les investissements dans le domaine de l’astronomie ou de l’astrophysique est extraordinaire et n’a jamais été aussi productif. Prenez, par exemple, le JWST ou la mission Gaia.
          .
          Même en tant que libéral il est normal d’estimer que l’Etat doivent participer à la recherche fondamentale (non-immédiatement productrice de retours sur investissement). Par ailleurs, s’il y a moins de mécénat c’est, à mon avis, que nos « riches » préfèrent s’acheter des « œuvres d’arts » et surtout que l’état ponctionne à mort ses administrés, laissant un surplus seulement à quelques individus particulièrement bien situés dans une activité porteuse économiquement.

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