L’objectif déclaré de la politique monétaire dans la zone euro est un taux d’inflation de 2 % par an en moyenne sur le moyen terme.
La mesure utilisée est ce que l’on appelle l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH), qui est calculé chaque mois selon des normes uniformes dans tous les pays de l’UE. Mais ces normes conduisent-elles vraiment à un taux d’inflation objectif ? En aucun cas. Il ne peut pas y avoir d’évaluation objective de l’inflation des prix.
Cela n’est pas seulement dû au fait que les gens sont différents, et qu’il faudrait calculer une mesure de l’inflation individualisée pour chacun, en fonction de son propre comportement d’achat. Même pour une seule personne, nous ne pouvons pas calculer de manière irréprochable un taux d’inflation objectif. Cela est dû au fait que le comportement d’achat de chacun change au fil du temps. Les économistes parlent ici d’effets de substitution.
Peut-on réellement mesurer l’inflation de manière objective ?
Si le panier de biens et services achetés varie au fil du temps, la question se pose de savoir quel choix de biens et services peut fournir une base pertinente pour le calcul de l’inflation.
Imaginez la mesure de l’inflation d’une année à l’autre. Faut-il se baser sur le panier de la première année ou plutôt sur celui de la deuxième année ? Dans le premier cas, on calculerait ce que l’on appelle l’indice de Laspeyres. Dans le second cas, il s’agit de l’indice de Paasche. Les deux donnent des résultats différents, et il n’y a pas de raison impérieuse de privilégier l’un ou l’autre indice.
Le célèbre économiste américain Irving Fisher a donc proposé de calculer simplement la moyenne géométrique des deux indices. Il en résulte ce que l’on appelle l’indice de Fisher. Mais celui-ci ne fournit pas non plus une mesure objective de l’inflation.
La problématique de base peut être illustrée par un simple exemple chiffré.
Imaginons un scénario avec deux marchandises – des médaillons de veau et des bâtonnets de tofu. Supposons que le prix des médaillons de veau ait augmenté de 25 % d’une année à l’autre. Mais le prix des bâtonnets de tofu n’a augmenté que de 5 %. Comment faut-il pondérer ces différents taux de renchérissement ? La moyenne arithmétique simple donne une inflation de 15 %. Mais faut-il vraiment donner le même poids à ces biens ? Pas nécessairement.
Imaginons que pour un consommateur, la première année, 50 % des dépenses totales soient proportionnellement consacrées à des médaillons de veau et 50 % à des bâtonnets de tofu. Dans ce cas, l’indice de Laspeyres donnerait effectivement le même poids aux deux biens, et afficherait un taux d’inflation de 15 %.
Cependant, l’inflation hétérogène des prix de différents produits entraîne généralement des changements dans le comportement des consommateurs.
Imaginez qu’au cours de la deuxième année, les dépenses de consommation ne se répartissent plus de manière égale entre les deux produits, mais qu’au lieu de cela, seuls 20 % sont dépensés pour des médaillons de veau et 80 % pour des bâtonnets de tofu. Avec les dépenses proportionnelles de la deuxième année, on obtient donc une inflation moyenne pondérée de seulement 9 % (0,2*25 % + 0,8*5 %). L’indice de Paasche présente donc une inflation des prix nettement inférieure à celle de l’indice de Laspeyres.
L’indice de Fisher se situe exactement entre les deux, et afficherait une inflation des prix de 12% – 11,9598 % exactement, car il s’agit de la moyenne géométrique, qui est normalement légèrement inférieure à la moyenne arithmétique).
Il n’est pas possible de dire avec certitude quelle est la bonne mesure. Tout dépend des évaluations subjectives sous-jacentes du consommateur. Au fond, la mesure de l’inflation pose la question de savoir de combien un niveau donné de satisfaction des besoins, ou un niveau de vie donné, a renchéri.
Il faudrait donc déterminer si les paniers de biens de la première et de la deuxième année sont équivalents ou non du point de vue du consommateur.
Pour acheter le panier de biens de la première année également la deuxième année, le consommateur devrait dépenser 15 % de plus dans notre scénario. Il opte toutefois pour le panier de biens dont le prix n’a augmenté que de 9 % (20 % des dépenses totales pour le veau et 80 % pour le tofu). Si cette nouvelle combinaison de médaillons de veau et de bâtonnets de tofu satisfait aussi bien les besoins du consommateur que l’ancienne combinaison, alors la même satisfaction des besoins ne coûte en fait que 9 % de plus. L’indice de Paasche, qui indique 9 % d’inflation des prix, serait la bonne mesure.
Toutefois, si le consommateur préfère intrinsèquement la première combinaison, et n’achète la seconde que parce qu’elle est devenue moins chère, le changement de comportement d’achat s’accompagne d’une perte de satisfaction des besoins et les 9 % sous-estimeraient le taux d’inflation réel. Si le revenu reste constant et que les prix augmentent, c’est le cas normal : le consommateur doit se contenter de combinaisons de biens de moindre qualité, et le fait seulement parce que cela lui permet de maintenir l’augmentation des coûts à un niveau relativement faible. Il est donc naturel que les consommateurs achètent des biens dont l’inflation est relativement faible, plutôt que des biens dont l’inflation est relativement élevée.
C’est précisément cette observation qui a incité la commission Boskin aux États-Unis, au milieu des années 1990, à proposer un changement dans le calcul des indices de prix courants, qui s’est imposé jusqu’à aujourd’hui aux États-Unis et en Europe également.
L’argument était que les changements dans le comportement des consommateurs font que ces derniers n’achètent plus autant qu’avant les produits dont le prix a fortement augmenté, et qu’ils se tournent plutôt vers des alternatives moins chères. C’est pourquoi il faut adapter régulièrement les pondérations afin de ne pas surestimer l’inflation – selon la devise : si les produits fortement renchéris sont moins demandés, ils ne sont plus aussi pertinents pour les consommateurs et la mesure de l’inflation.
Au lieu de maintenir le panier de biens et services constant sur des périodes relativement longues (cinq années), on l’actualise désormais chaque année. D’un point de vue dynamique, l’IPCH, qui était à l’origine une sorte d’indice de Laspeyres, s’est ainsi rapproché de l’indice de Paasche. Cela a généralement pour conséquence que les taux d’inflation estimés sont plus bas qu’auparavant.
Il n’est pas possible de dire objectivement si ce changement conduit à une meilleure mesure de l’inflation.
Ce qui est clair, c’est que ce changement est dans l’intérêt de la politique. Les changements dans le calcul de l’inflation ont notamment fourni à la politique monétaire une raison d’augmenter encore plus la masse monétaire. Si l’on avait fait état d’une inflation plus élevée depuis la crise financière de 2008, ce qui aurait été le cas selon les anciennes normes de calcul, l’expansion de la masse monétaire aurait dû être limitée plus tôt. L’inflation élevée de ces derniers mois aurait été nettement plus faible et les ménages moyens auraient été épargnés par les dégâts qu’elle provoque.
Dans tous les cas, il est problématique qu’une valeur aussi floue que l’inflation des prix, qui ne peut pas du tout être appréhendée de manière objective, soit déclarée indicateur de la politique monétaire. Que vaut l’objectif de 2 % si 2 % d’inflation des prix n’ont aucune signification objective ?
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Merci à Monsieur Karl-Friedrich Israel pour cet article clair qui montre combien il est possible de tromper l’auditoire ou le lecteur avec des chiffres qui ne sont pas comparables . Sacha Guitry ne disait-il-pas d’ailleurs » J’ai trouvé plus menteur que ma femme ( Yvonne Printemps pour laquelle il avait une passion dévorante) , une statistique »!
Comment diable voulez vous comparer deux paniers composés de manière différente ?
Si l’honnêteté conduisait le débat il serait préférable ,à un panier de référence qui change au fil du temps , de raisonner sur la base d’un panier moyen composé par exemple de 15 % de viande , 25% de légumes 30%de céréales etc… représentant la consommation standard des ménages .
On objectera que cette consommation varie au gré de l’évolution des prix mais je ne crois pas que l’on puisse retenir cette remarque car il semble aisé de démontrer que le pouvoir d’achat des ménages pour avoir été comprimé de longue date par une fiscalité écrasante ne permet plus de réaliser que la stricte consommation vitale incompressible.
Nous aurions alors sur cette base nouvelle , une lecture vérifiable de l’évolution des prix . On devrait même créer des indices intermédiaires qui prendraient seuls en compte ces données « variables » qui embarrassent tant les pouvoirs publics et je parle là des prix de l’énergie , électricité , gaz, carburant, dont on sait qu’ils sont composés d’une part beaucoup trop importante de taxes dont le volume augmentant au gré des prix ne font que le bonheur de celui même qui mesure l’inflation , l’Etat.
Ajoutons à cela le tabac et les impôts ( de toute nature) et nous aurions enfin la vérité .
Brrrhhhh ! je viens de me réveiller d’un cauchemar .
la question est plutôt pourquoi produire des unités monétaires.
Le concept de pouvoir d’achat de la monnaie devrait aussi prendre en compte la capacité à payer son logement, voire même à épargner. En gros, tous les débouchés possibles pour X € de pouvoir d’achat. Partant de ce principe, l’effondrement du pouvoir d’achat des ménages des vingt dernières années sauterait aux yeux de tout le monde, et on aurait peut-être arrêté plutôt de subventionner ces bulles spéculatives improductives et même dévastatrices.
C’est pour ça que l’inflation des prix est un faux problème. On devrait se concentrer sur l’inflation de la masse monétaire, relative à la richesse totale. Le coté « satisfaction » (utilité) de la consommation étant capturé par la valeur du PIB. On aurait ainsi la variation du rapport entre les biens et services produits et la masse monétaire, et il n’est plus possible de maquiller les variation indues d’icelle… Et si de facto cette variation est faible ou négative, l’utilité agrégée de la consommation dans le pays sera stable ou en augmentation.
Mais la « capacité d’action » des politiciens et partant la richesse des journalistes (vecteurs essentiels de cette capacité d’action) sera contrainte. Donc ça n’arrivera pas de si tôt.