Remaniement – le bal des pantins

Le recours fréquent à des remaniements ministériels par le président Macron jette une lumière crue sur la dérive présidentialiste du pouvoir et la dévaluation des responsabilités ministérielles.

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Elisabeth Borne By: Jacques Paquier - CC BY 2.0

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Remaniement – le bal des pantins

Publié le 25 juillet 2023
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« Lorsqu’un président nomme quelqu’un ministre, il le fait parce qu’il pense que c’est bon pour son pays, pas pour en faire son obligé. »

Prononcée dans le cadre d’un entretien au groupe de presse Ebra paru le 22 avril 2016, cette phrase semble être celle d’un homme confiant dans un exécutif composé de personnalités fortes et aptes à représenter quelque chose dans le paysage politique national. Or, le fait est qu’elle fut prononcée par celui qui est aujourd’hui un des chefs d’État les plus autocrates que la France ait connu : Emmanuel Macron.

À l’époque, la phrase avait fait polémique. Dans le contexte du lancement d’En Marche, beaucoup voyaient les prémisses du futur coup de poignard dans le dos de François Hollande.

Amorçant un « retour du politique » pour le porte-parole du gouvernement Olivier Véran, ce remaniement marque surtout la fin de la fonction ministérielle comme autre chose qu’un écran de pions destinés à garantir la stabilité politique du président de la République.

 

Un gouvernement de continuité

En faire un non-événement. C’est sans doute ce qu’avait en tête le président de la République lorsqu’il a fait annoncer ce remaniement par communiqué envoyé par le secrétaire général du Palais Alexis Kohler dans l’après-midi de jeudi. Entre un mercredi consacré aux JO de Paris et un vendredi essentiellement porté par un déjeuner avec le président chilien et complété par une allocution en conseil des ministres, le chef de l’État a semble-t-il épousé une étonnante sobriété en matière de communication.

Maintenant, sans surprise, sa Première ministre maintenue dans ses fonctions, Emmanuel Macron a placé cette nouvelle mouture de Borne II sous les drapeaux de la continuité.

 

La fin d’une société civile évanescente

Exit Klein, Carenco, Darrieussecq, El Haïry, Rome, N’Diaye, Braun, Combe et Schiappa.

Les neuf ministres ont été remerciés ce jeudi par le chef de l’État. Si beaucoup de noms ne parleront pas aux Français, on ne peut oublier Jean-François Corenco, désormais ex-ministre des Outre-mer qui n’a pas su convaincre ses administrations, mais aussi, et surtout Pap N’Diaye et François Braun, évanescents ministres de l’Éducation et de la Santé, qui ont incarné une certaine société civile qui n’a pas su faire entendre sa voix au sein du gouvernement.

Il en est de même pour celui qui fut jusqu’à jeudi ministre des Solidarités, Jean-Christophe Combe, après un an de fonction. Le successeur de l’ex-LR Damien Abad aurait notamment payé son manque d’aisance à l’Assemblée.

Enfin, emportée par sa pose en couverture du magazine de charme Playboy et la polémique autour du fonds Marianne, Marlène Schiappa est sans surprise écartée de l’exécutif.

 

Des nominations déjà polémiques

Bonjour Agresti-Roubache, Vigier, Vergriete, Cazenave, Khattabi, Thevenot, Couillart, Bergé et Rousseau.

Parmi eux, huit ont été jusqu’à leur nomination députés de la majorité, dont certains sont des proches personnels du président de la République, comme Sabrina Agresti-Roubache, productrice de cinéma, députée des Bouches-du-Rhône et nouvelle ministre chargée de la Ville.

Sur les huit autres, certains font déjà l’objet de polémiques, à la manière de Philippe Vigier, remplaçant de Jean-François Corenco et attaqué par 18 députés ultramarins issus de la gauche dans un communiqué commun, reprochant le mépris du nouveau locataire de l’hôtel de Montmorin.

De son côté, Fadila Khattabi, ancienne professeure d’anglais encartée durant 13 ans au Parti socialiste, fait face à la remontée d’une condamnation aux prud’hommes le 23 juin dernier pour non-paiement d’heures supplémentaires d’une ex-collaboratrice parlementaire.

Nouveau ministre de la Santé, Aurélien Rousseau fait face, lui, à une controverse sur sa conjointe. L’ancien directeur de cabinet d’Élisabeth Borne à Matignon et patron de l’ARS Île-de-France durant le covid est marié à Marguerite Cazeneuve, sœur et fille de deux députés Renaissance et directrice déléguée à l’offre de soins de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie depuis mars 2021.

Si l’administration a rapidement donné son feu vert et que le ministre a accepté d’office de se déporter de toute décision concernant le Cnam, cette polémique amène à s’interroger sur la plénitude de fonctions du nouveau ministre.

 

Un marchepied pour Attal

Mais la nomination la plus audible reste sans doute celle de Gabriel Attal qui remplace Pap N’Diaye à l’hôtel de Rochechouart, lieu qu’il retrouve après avoir été secrétaire d’État entre 2018 et 2020. Ce fils d’un producteur de cinéma et conjoint du secrétaire général du parti présidentiel de seulement 34 ans est aujourd’hui l’étoile montante de la Macronie, au point que certains se prennent à voir dans son parcours des similitudes avec son mentor et des signes d’un possible avenir présidentiel.

Il faut dire que l’ex-apparatchik socialiste altoséquanais est pour l’aile gauche de la majorité ce que Gérald Darmanin est pour son aile droite : un mini-Sarkozy aux dents longues et au verbe fort et qui sera désormais chargé d’apporter une réponse aux émeutes qui ont frappé le pays fin juin.

Une promotion qui tranche avec un esprit de cour illustrant l’incroyable vide de la Macronie en matière de personnalités capables d’incarner la majorité en dehors du Prince.

 

Le retour de l’esprit de cour

Beaucoup voient dans ce remaniement la fin du gouvernement des experts, et donc d’une certaine forme de technocratie. En réalité, il n’est rien d’autre que le retour de l’esprit de cour dont Aurore Bergé est l’incarnation la plus pure.

Outre la promotion des fidèles, c’est l’hyperconsommation de ministres par l’exécutif depuis 2017 qui le prouve le mieux.

 

Des ministres jetables

Avec 41 membres tous statuts confondus, cette nouvelle mouture du gouvernement Borne II fait passer de 98 à 106 le nombre de ministres nommés par Emmanuel Macron depuis le 14 mai 2017, date d’investiture du président de la République.

106 ministres en 6 ans, cela fait plus de 17 ministres nommés par an et 1,43 par mois, soit un record sous la Cinquième République. Parmi les huit présidents qui se sont succédé depuis 1958, Emmanuel Macron obtient la médaille d’or en termes de nombre de ministres nommés, avec seulement trois membres toujours en place depuis 2017 : Borne, Darmanin et Le Maire.

Ce problème de stabilité a d’ailleurs été dénoncé par des associations féministes lors des premières rumeurs sur le départ de leur ministre de tutelle, Isabelle Rome.

 

Des fonctions ministérielles amorphes

Difficile de ne pas analyser élyséeologiquement cette tendance de fond comme un délitement de la figure ministérielle concomitante à l’accroissement de la centralité de la présidence de la République dans l’exécutif et dans les institutions françaises en particulier.

Avec l’accroissement du présidentialisme français, la fonction de déterminer et de conduire la politique du pays, originellement dévolue au gouvernement en vertu de l’article 20 de la Constitution, s’est peu à peu déportée vers l’Élysée. Outre des fonctions de direction de leurs administrations, les ministres servent politiquement d’écran entre l’Élysée et les parlementaires. C’est précisément cette fonction que semble laisser Emmanuel Macron à l’exécutif.

Le président de la République privilégie ici la loyauté, l’instabilité et l’image plutôt que la compétence et une réelle vision stratégique.

La présence d’une large majorité de parlementaires lors de ce remaniement est le cruel témoignage de ce qui ne saurait être autre chose qu’un bal de pantins.

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  • On est en plein ancine régime.
    Quelques familles et groupes d’influences contrôlent toutl

    Pendant le Covid, des méchants complotistes avaient déjà dressé l’organigramme du gouvernement et de McKinsey/Pfizer.
    C’était juste hallucinant; où l’on découvrait l’entre-soi, du style tel directeur de cabiné ministeriel était marrié à une responsable McKinsey, elle même soeur d’un dirigeant de Pfizer.

    Vive le Saint Etat tout puissant.

  • Ce n’est pas nouveau qu’une minorité contrôle le pays. C’est comme ça depuis Mitterrand. Mais Macron a un problème : personne ne veut être son Ministre pour ne pas endosser l’état catastrophique de la France. Il ne lui reste plus que ses pires lèches bottes.

    • Les postes sont nominaux pour les traitements fixés par les lois. Dans les faits, depuis le quinquennat, les ministères n’existent plus et Borne n’est que la secrétaire générale d’un vaste bureau de scribouillards ou de verbeux.

  • j’ai mal lu : le bal des copains ?

  • Ma proposition : « Nul ne pourra exercer des fonctions ministérielles s’il n’est citoyen français de naissance et s’il ne justifie pas d’une expérience professionnelle d’au moins 15 ans dans le domaine d’action du ministère concerné. »

    Pourquoi ? Pour instaurer une légitimité nouvelles aux fonctions ministérielles. Laquelle est inexistante aujourd’hui : il s’agit de personnes désignées, non pas en raison de leurs compétences particulières, de leur position hiérarchique ou de leur niveau d’expertise, mais en raison de leur seule appartenance à un camp.
    On notera qu’aujourd’hui, dans l’administration, tous les postes sont nomenclaturés et correspondent à des niveaux de corps ou de grades. Aucun agent public ne peut envisager d’occuper un emploi supérieur s’il ne remplit pas les conditions statutaires.
    Il en est ainsi de tous les postes, pour tous les agents.
    Tous sauf un seul : le chef de l’administration. Car aucune condition d’ancienneté, de grade, d’expérience n’est exigée pour devenir ministre. Ce qui participe grandement à la décrédibilisation de la fonction.
    Ce faisant, dans l’administration, le seul poste accessible sans aucune condition est celui de chef de tous les services, c’est-à-dire ministre.
    Or, la tâche d’un ministre ne se limite pas à communiquer sur l’action du gouvernement. Un ministre exerce le pouvoir réglementaire à lui délégué par le premier d’entre eux. Il est impensable que ce poste à haute responsabilité, exigeant des connaissances techniques particulières, ne soit pas confié à une personne d’expérience, autre que purement politique.

    • Et: « Le Parlement dispose d’un droit de veto sur l’investiture des ministres et peut empêcher leur
      nomination. »

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