Par Carine Sebi et Frédéric Bally.
Le discours médiatique est non seulement un reflet, mais aussi un producteur d’opinions. Ayant un contact direct avec les décideurs politiques, la presse sélectionne et échantillonne à partir d’une gamme d’informations et de sources possibles.
Par là, elle joue un rôle clé dans l’amplification sociale des risques ou des bénéfices ; les débats autour de la place du nucléaire et des énergies renouvelables dans le mix énergétique ne fait pas exception en la matière. Dans ce contexte, nous nous sommes intéressés, dans le cadre des travaux de la Chaire Energy for Society de Grenoble École de Management, aux discours émergents dans la presse française sur l’énergie nucléaire et éolienne, et leur évolution dans le temps.
Nous avons pour cela analysé plus de 34 000 articles de presse nationale (de journaux comme Le Monde, Le Figaro, Les Échos ou Libération, à la fois les plus vendus et représentatifs d’une diversité de bords politiques) publiés entre 2005 (quand l’énergie éolienne commence à être déployée en France) et 2022. Ce travail a été articulé en deux temps : une analyse textuelle algorithmique pour faire émerger les grandes classes de mots par période ; et une analyse qualitative au travers des citations d’articles les plus représentatives par classe pour mieux comprendre leur contexte de production, et donc l’image de ces infrastructures.
Jusqu’en 2010, la sûreté du nucléaire en question
De 2005 à 2010, de nombreux articles évoquent la « sûreté du nucléaire » à travers des mouvements de contestation portés par les manifestations d’opposants tels que « Sortir du nucléaire », pour dénoncer les risques encourus par l’utilisation de l’énergie nucléaire, faisant référence à la catastrophe de Tchernobyl ou à la gestion des déchets radioactifs avec le projet d’enfouissement à Bure.
« Le 25 janvier 2010, des militants de Greenpeace bloquaient ainsi par trois fois dans la Manche un convoi d’uranium en provenance de Pierrelatte. Seize personnes avaient été interpellées à l’issue de l’opération. » (Le Monde, 17 février 2010)
En 2011 avec l’accident de Fukushima-Daishi au Japon, cette question de la sûreté s’intensifie dans la presse et s’invite dans le débat politique en vue des présidentielles de 2012. Si la transparence au sujet de la gestion des centrales et des incidents locaux est accrue, la production électronucléaire n’est pas remise en cause.
« François Hollande, qui jugeait au printemps qu’un candidat socialiste ne peut prétendre sortir du nucléaire, s’engage à réduire de 75 % à 50 % la production d’électricité d’origine nucléaire à l’horizon 2025. » (Le Monde,15 septembre 2011)
Malgré les doutes, une relance franche du nucléaire
Les critiques émises quant à la construction de l’EPR de Flamanville qui accuse des retards et une hausse significative de son coût prennent de l’ampleur sur la dernière période 2017-2022.
« Un nouveau retard pour l’EPR de Flamanville et 400 millions d’euros de coût supplémentaire. EDF annonce ce mercredi de nouveaux retards et surcoûts pour le réacteur nucléaire EPR à la suite des problèmes de soudures rencontrés sur le chantier. » (Libération, 19 décembre 2022)
Le sujet du nucléaire prend une place de plus en plus importante dans l’« agenda politique » sur la dernière période, marquée par deux élections présidentielles. Si Emmanuel Macron fraîchement élu promet d’exécuter la promesse d’Hollande de fermer Fessenheim, son deuxième mandat débute par une crise énergétique qui l’aide à justifier son choix d’une relance franche du nucléaire.
« Pour faire face à la crise, il nous faudra une électricité puissante, pilotable, disponible à la demande et seul le nucléaire peut apporter ces solutions. » (Le Figaro, 22 septembre 2022)
Dans le même temps, on note la disparition de la classe « sûreté nucléaire », quand bien même la période se termine avec la crainte d’une catastrophe nucléaire de la centrale de Zaporijia depuis le début de la guerre en Ukraine.
L’émergence médiatique du renouvelable
Intéressons-nous maintenant à l’éolien.
Du fait de la forte dépendance aux énergies fossiles et d’un mix électrique déjà décarboné (en très grande partie grâce au nucléaire), la part des renouvelables (hors hydraulique) est faible en France jusqu’en 2010 (1,1 % de la production primaire d’énergie éolienne en France en 2008).
Les rares articles sur le sujet dans la presse nationale (environ 100 par an contre 1500 par an pour le nucléaire dans les mêmes journaux sur la période 2005-2010) mettent surtout en avant « le retard français » en matière de développement des renouvelables, dont l’éolien.
« La France reste loin derrière l’Allemagne en termes de puissance installée en éolien. » (Les Échos, 2 juillet 2008)
Ce retard français perd de l’importance entre 2011 et 2016 puis disparaît, malgré l’annonce d’une amende pour la France de 500 millions d’euros en novembre 2022, causée justement par son retard dans le développement des énergies renouvelables par rapport aux objectifs de la Commission européenne.
Croissance des contestations sur l’éolien
Notons, par comparaison avec le nucléaire, l’apparition d’une classe « contestations locales », qui prend de l’ampleur à mesure que les projets éoliens se développent dans le temps.
Dès 2005, l’éolien est contesté à la fois par les riverains et les professionnels (pêche, notamment offshore) qui dénoncent le développement anarchique de projets.
Entre 2011 et 2016, les contestations s’intensifient et s’étendent aux élus, l’éolien devient un objet de crispation dans les instances de consultation et de concertation locales.
« Tout un symbole : le projet de construction de ce qui pourrait être le premier parc éolien en mer de France divise élus, associations, riverains, pêcheurs. » (Libération, 7 mai 2011)
L’objet des résistances n’évolue pas sur la période suivante : impacts négatifs sur les paysages et la biodiversité, nuisances sonores et faible productivité. La sensibilité du public s’est accrue, poussée par quelques contestations emblématiques comme celle lancée en 2020 par Stéphane Bern contre l’éolien.
« La France ne peut se permettre, en plus, une politique éolienne meurtrière pour nos paysages et nos pêcheurs, inutile pour la défense du climat et bientôt insupportable pour les finances des particuliers comme pour celles de l’État. » (Le Figaro, 6 mai 2020, tribune de S. Bern)
Les contestations sont alimentées par des recours juridiques – soit par des associations, soit par des élus – contre des projets en cours de construction ou déjà réalisés et des demandes d’annulation de permis de construire.
Éolien vs nucléaire : polarisation du débat
L’analyse du corpus de texte associé aux deux énergies révèle l’apparition d’une classe majeure et récurrente au cours du temps (qui s’intensifie dans le cas de l’éolien) : celle du « mix énergétique ». Les deux énergies, décarbonées, contribuent au même titre à la transition énergétique et l’atteinte de l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2050.
« Il s’agit de compenser rapidement le déclin de la production de pétrole et de gaz de la mer du Nord pour atteindre les objectifs ambitieux de réduction des émissions de CO2 qui passe par le développement du nucléaire et des énergies renouvelables éolien et solaire. » (Le Monde, 25 septembre 2008)
Les annonces gouvernementales à partir de 2011 remettent en question l’importance du nucléaire et de nombreux articles présentent l’éolien comme un élément essentiel de la transition énergétique souhaitée par l’État français et l’Europe.
Retour en grâce du nucléaire
Le point de bascule survient après 2017 avec le retour en grâce du nucléaire : si l’éolien est toujours vu comme nécessaire, ses faiblesses – qui sont celles des renouvelables en général (intermittence, faible productivité, impact sur le paysage) – sont de plus en plus récurrentes. Ces difficultés sont souvent mises en perspective avec l’Allemagne qui a déployé massivement les renouvelables en diminuant progressivement le nucléaire, mais augmenté ses consommations de gaz naturel et de charbon pour pallier les manques.
« D’autant que l’Allemagne, où les énergies renouvelables progressent, ne pourra pas remplir son objectif de réduction de 40 % de ses émissions de gaz à effet de serre en 2020 par rapport à 1990 en raison de sa forte consommation de charbon. » (Le Monde, 16 novembre 2017)
Le nucléaire tend, lui, à s’imposer comme la solution privilégiée, avec toujours en toile de fond la comparaison et la critique implicite de l’éolien ou des ENR. Il est promu comme une énergie complétant l’intermittence des énergies renouvelables.
« Autant les pro-gaz que les pro-nucléaire s’entendent pour faire valoir que les énergies renouvelables éolien et solaire déjà labellisées par la commission souffrent de production intermittente et ne permettront pas dans les prochaines années de fournir une électricité à bas prix et dont on peut maîtriser la production : nous devrons donc avoir recours au nucléaire. » (Le Figaro, 1 janvier 2022)
Discours sur le nucléaire : une exception française ?
De nombreux scénarios prospectifs démontrent qu’avec ou sans énergie nucléaire, il est nécessaire d’augmenter en France nos capacités de production d’énergie renouvelable. À ce titre, la décentralisation de la production d’énergie renouvelable conduit à la multiplication des projets d’aménagement et donc à l’augmentation mécanique des points de friction avec la société civile – dont la sensibilité s’est accrue ces dernières années.
Le « permis social d’opération » est devenu aujourd’hui une question centrale dans l’élaboration de la stratégie des opérateurs d’infrastructures énergétiques renouvelables comme l’éolien. D’après notre analyse, l’opposition à ce dernier s’intensifie et se structure, à l’inverse du nucléaire qui bénéficie dans le même temps d’un regain d’intérêt (outre les références à l’EPR).
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L’analyse des articles de presse sur ces 17 dernières années reflète l’attachement historique du pays au nucléaire. La stratégie énergétique annoncée dernièrement par le président l’inscrit dans le long terme.
Le nucléaire a su maintenir en France une place dominante dans le débat énergétique malgré des stigmates forts (déchets, retards de l’EPR ou accident de Fukushima). Un phénomène qui relate la prépondérance persistante (dans les médias) des certitudes et du discours technique des « nucléocrates ».
Carine Sebi, Professeure associée et coordinatrice de la chaire « Energy for Society », Grenoble École de Management (GEM) et Frédéric Bally, Post-doctorant, Grenoble École de Management (GEM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
ça m’ennuie…le seul sujet est la gouvernance politique et les raisons données pur la justifier…
si vous voulez manger bio plus cher et sans réel avantage nutritionnel… achetez…
il n’y pas de raisons valables d’interdie le nucleaire..en terme de santé publique ou d’impact environnemental sauf à choisir une métrique d’évalation spécifique et ad hoc. par exemple il est infiniment pire de mourir par effet des radiations du secteur électronucléaire que de se noyer par la rupture d’un barrage ou par pollution atmosphérique ou autre… . l’oppostion est idéologique.. arbitraire donc sa seule légitimité libérale est celle de l’opinionet le choix personnel ( boycott).
il suffit d’écouter un type comme jeancovici.. qui va dénoncer les effets « pervers du marché » juger que l’énergie relève du régalien… en gros qui va régir votre vie pour votre bien… un étatiste convaincu( mais avec un « bon » état qui donne de fait la gouvernance à ..des jeancovici car il sait..il sait même comment je dois vivre) ..
les mots on un sens..si on dit que l’énergie relève du régalien…; ça signifie que toute l’économie relève du régalien…
mais RIEN dans une société démocratique n’empêche de voter pour un crétin ou un idéologue donc… la folie…
les gens qui défendent ces idées sont DONC souvent tentés par une forme de dictature « technocratique »… qu’ils ne manquent jamais de dénoncer quand les choses tournent mal… tout comme les communistes mettent sur le dos de « mauvais » leaders les échecs des politiques communistes…
les tenants de la gouvernance politique de l’énergie vont mettre sur le dos de « mauvais » leaders politiques la situation du secteur actuelle…
très bien, mais alors, qui gouverne au secteur et pourquoi???
quand on a fait l’ero on avait des craintes légitimes…alors on a ECRIT et en somme signé un certains nombres de règles de bonne gouvernance budgétaire , ça a un mérite….on voit qui est responsable des dérives que l’on craignait voire prédisait..
une gouvernance politique de l’énergie? soit..alors une charte et des garanties libérales…
je vais y « gagner » quoi?
Aucune nouvelle énergie (voire aucune rupture technologique) n’échappe à la règle des 5 phases du deuil. Deuil du monde d’avant.
1. Le déni (ouais, ça ne marchera jamais)
2. La colère (c’est plein de défauts, j’en veux pas à côté de chez moi)
3. Le marchandage (bon alors OK, mais il faut que ça me rapporte)
4. La dépression (et puis à quoi bon se battre, ceux qui nous l’imposent sont trop puissants)
5. L’acceptation (finalement c’est pas si mal, et en tout cas on peut pas vraiment faire autrement)
Le green deal Est En fin de vie… Sauf en France, normal on n’a plus les moyens de désobéir…. Hollande est un finaud, de 75 à 50%….ca ne veut pas dire moins de nucléaire puisque la consommation va augmenter énormément dans le futur, clim chauffage, voiture, hydrogène…. Sans vraiment plus d’éoliennes ou de pseudos panneaux solaire, inefficaces la nuit pour charger nos vehicules…. Et sans la Chine, on fait comment dans le futur proche ? Les terres rares, c’est fini, le lithium, ha ha ha, bientôt nos portables seront à manivelle…. Ou plutôt auront disparu a cause des embargos.
Il y a une phrase à « combattre » absolument :
Le nucléaire tend, lui, à s’imposer comme la solution privilégiée, avec toujours en toile de fond la comparaison et la critique implicite de l’éolien ou des ENR. Il est promu comme une énergie complétant l’intermittence des énergies renouvelables.
BEN justement NON !
Le nucléaire ne doit pas être promu pour compléter l’intermittence des EnRIs (comme cela s’entend partout aujourd’hui – y compris dans le bouche des industriels du nucléaire !!!). Le nucléaire et les EnRIs peuvent être complémentaires – mais le nucléaire ne doit pas devenir la roue de secours de EnRIs. Le nucléaire et les EnRIs sont en gros incompatibles. Les coûts d’investissement (overnight et financement) du nucléaire sont tels qu’il doit fonctionner essentiellement en base load, ce qui n’est pas compatible avec le soutien de l’intermittence des EnRIs.
Le nucléaire et les EnRIs seront complémentaires à partir du moment où l’on parle de EnRIs AVEC leur sac à dos (stockage, gaz, H2 vert,…) pour leur gestion de leur intermittence. Ce qui devrait alors aussi être reflété dans le marché – sur base égale (level playing field) – « nucléaire » vs « EnRIs avec leur sac à dos »…
Et là on va commencer à rigoler… mais chaque mode de production aura sa chance face aux investisseurs… en visant le coût de production le plus bas… pour le bien du consommateur !!!