D’Artagnan est mort il y a 350 ans

Il y a deux d’Artagnan (et même trois, on le verra), le personnage historique et le héros d’Alexandre Dumas.

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D’Artagnan est mort il y a 350 ans

Publié le 25 juin 2023
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Le 25 juin 1673, d’Artagnan trouvait la mort lors du siège de Maastricht. Comment ? D’Artagnan est mort ?

Célébrer la mort de d’Artagnan est quelque peu paradoxal. Comme chacun sait, d’Artagnan est immortel. Mais il y a deux d’Artagnan (et même trois, on le verra), le personnage historique et le héros d’Alexandre Dumas. Comme le soupirait un baron de Batz en 1909 : « tout a été écrit sur d’Artagnan sauf la vérité documentée ».

À notre époque d’américanisation forcenée où chacun s’appelle par son prénom et se tutoie, il fait partie de ces figures familières que l’on ne connaît que par leur nom. Qui d’ailleurs connaît le prénom de d’Artagnan ? Aurait-on envie de lui taper sur l’épaule en lui disant : « ça va Charles ? ».

 

D’Artagnan ne s’appelait pas d’Artagnan et même pas Artagnan

Et d’ailleurs d’Artagnan n’était même pas son nom. Il s’appelait Charles de Batz de Castelmore mais même wikipédia, l’encyclopédie des Précieux ridicules, n’a pas osé titré la notice de son vrai nom au complet. Pourtant, comme il se doit, un des inénarrables contributeurs en avait fait la proposition. D’où une discussion surréaliste entre érudits à mourir de rire.

Mais non, une fois n’est pas coutume, wikipédia n’a pas voulu déconcerter le lecteur. La notice reste donc titrée d’Artagnan, pour le moment.

Mais, ajoute cependant un autre de nos pédants, le nom, c’est Artagnan, et non d’Artagnan. À Alger, il aurait sans doute fait la leçon au chef de la France libre donnant raison à Giraud : non mon ami, votre nom c’est Gaulle, pas de Gaulle. Il faudrait donc écrire la mort d’Artagnan ou dire la femme d’Artagnan et non la mort de d’Artagnan ou la femme de d’Artagnan.

Quoi ? D’Artagnan était marié ? Oui, et même père de famille. Certes, Philippe Noiret, improbable d’Artagnan, avait une fille dans un film pas très réussi de Bertrand Tavernier. Dans la vraie vie, comme on dit, notre mousquetaire eut deux fils, mais pas de fille. Mais vous voyez à quoi certains consacrent leur énergie. Il faut de tout pour faire une encyclopédie en ligne.

 

D’Artagnan maréchalisé par Dumas

Mais revenons à nos Gascons. Castelmore a pris le nom de d’Artagnan qui était celui d’une terre des Montesquiou, famille de sa mère. D’Artagnan était un nom de guerre, un nom de fantaisie. Nous reviendrons plus loin sur ces Montesquiou, les vrais d’Artagnan.

Bon, bon, tout cela est bien beau, s’impatiente le lecteur, mais comment donc est mort notre héros ? Eh bien, comme chez Dumas dans Le vicomte de Bragelonne, le dernier roman de la trilogie des Mousquetaires. Enfin, presque comme dans le roman. Voyons d’abord Dumas :

« Il lança trois cents hommes frais, sous la conduite d’un officier plein d’ardeur, et ordonna qu’on battit une autre brèche. Puis, plus tranquille, il se retourna vers le coffret que lui tendait l’envoyé de Colbert. C’était son bien ; il l’avait gagné. D’Artagnan allongeait le bras pour ouvrir ce coffret, quand un boulet, parti de la ville, vint broyer le coffre entre les bras de l’officier, frappa d’Artagnan en pleine poitrine, et le renversa sur un talus de terre, tandis que le bâton fleurdelisé, s’échappant des flancs mutilés de la boîte, venait en roulant se placer sous la main défaillante du maréchal.

[…]

Alors, serrant de sa main crispée le bâton brodé de fleurs de lis d’or, il abaissa vers lui ses yeux qui n’avaient plus la force de regarder au ciel, et il tomba en murmurant ces mots étranges, qui parurent aux soldats surpris autant de mots cabalistiques, mots qui avaient jadis représenté tant de choses sur la terre, et que nul excepté ce mourant, ne comprenait plus : Athos, Porthos, au revoir ! Aramis, à jamais adieu ! »

 

La mort de d’Artagnan fait des envieux

Vous vous en doutez un peu, tout est faux dans ce récit, excepté la mort de notre personnage devant Maastricht. Le boulet qui broie le coffre et renverse notre homme de guerre, le bâton qui roule au sol et atterrit miraculeusement dans la main de d’Artagnan, c’est du Dumas pur sucre. Notre homme n’a pas été tué par un boulet et n’était pas maréchal de France. Mais nous reviendrons sur ce dernier point.

En tout état de cause, la mort de notre vaillant mousquetaire ne passa point inaperçu. Non renversé par un boulet, mais la gorge transpercée par un coup de mousquet, selon la Gazette de France, frappé à la tête, selon d’autres.

Cette mort héroïque suscita des vers. Un sieur René de La Chèze, doyen du chapitre de Sillé, célébra ainsi Le siège de Maestrik par le Roy en 1674 :

Dans ce combat sanglant, Artagnan, ta vaillance

Te fait trouver un tombeau glorieux ;

Mais ta mort, qui te fait encor des envieux,

Loin d’étonner les tiens les porte à la vengeance.

Plus tard, un ancien mousquetaire (eh, oui), Charles Sevin de Quincy dans son Histoire militaire du règne de Louis le Grand (1726) décrivait ainsi la chose :

« Pendant qu’on travaillait à la descente du fossé, le Roy commanda pour cette action ses Mousquetaires qu’il fit soutenir par un détachement de divers corps, le tout sous les ordres de M. de Monmouth, fils naturel du Roy d’Angleterre et lieutenant-général du jour. M. d’Artagnan était à la tête : tout plia si fort devant lui qu’en moins d’une demi-heure, il se vit maître de l’ouvrage. Mais les assiégés reprirent l’avantage par un effort extrême. M. d’Artagnan y fut tué après avoir donné des marques d’un grand courage. »

 

Maréchal, le voilà

Et alors, me direz-vous, cette histoire de maréchal ? Il y a maréchal et maréchal, tout comme il y a d’Artagnan et d’Artagnan. Charles d’Artagnan, notre personnage historique, avait été fait maréchal des camps et armées du roi par brevet du 15 avril 1672. Ce grade de maréchal de camp correspond tout simplement à général. Dumas aurait-il pu confondre les deux termes, lui qui était fils de général ? Il a tout simplement fusionné deux d’Artagnan. Car Louis XIV avait un second d’Artagnan dans sa manche, on n’est jamais trop prudent.

Pierre de Montesquiou, son cousin germain côté maternel, connu plus légitimement que l’autre comme comte d’Artagnan, lui aussi mousquetaire du roi, fut fait maréchal de France en 1709. Cette confusion ou fusion des deux d’Artagnan forme le sujet d’un des innombrables avatars littéraires des Mousquetaires, Les Trois Pages de monsieur d’Artagnan (1905) d’un certain Émile Watin, insoucieux de la chronologie, et partisan des gasconnades. Son bref roman, moins de 160 pages, est focalisé sur trois jeunes méridionaux (Gaston, Pierre et François d’Estirac) qui rejoignent à Paris leur glorieux cousin le maréchal de Montesquiou en 1712. Or, Watin fait comme si le maréchal était l’ancien maître d’un Planchet toujours aussi vert 86 ans après les aventures des trois mousquetaires !

Du personnage historique, il n’y a guère à dire. Les lecteurs de Madame de Sévigné tout comme ceux qui ont vu La prise du pouvoir par Louis XIV de Rossellini, savent que le capitaine-lieutenant des Mousquetaires mit la main au collet du surintendant Fouquet. C’est un des rares points où les deux d’Artagnan, historique et fictionnel, se rejoignent, l’arrestation étant narrée dans Le Vicomte de Bragelonne.

 

La fortune du Mousquetaire

En revanche, la fortune littéraire et audiovisuelle du personnage fut immense. Les Trois Mousquetaires étaient mis en musique en 1885 par Louis Varney sur un livret de Paul Ferrier et Jules Prével sous le titre Les Petits Mousquetaires.

D’Artagnan, qui est, rappelons-le, un adolescent dans le premier roman, est, selon la tradition de la scène, un rôle travesti. Selon un critique du temps, « mademoiselle Ugalde, qui représente d’Artagnan, est le plus déterminé et le plus crâne des mousquetaires ».

Elle y chantait : « Aussi beau qu’Apollon/Prompt comme l’aquilon/À la guerre un lion/En amour papillon/Voilà le vrai Gascon ».

L’œuvre n’est pas restée au répertoire, à la différence des Mousquetaires au couvent du même compositeur mais qui n’a rien à voir ni avec Dumas ni avec d’Artagnan.

Albert Blanquet dans Les Amours de d’Artagnan (1858), dédié à Alexandre Dumas, « suivant pas à pas ses mémoires et l’histoire » précédait, pour sa part, d’un siècle le D’Artagnan amoureux de Roger Nimier.

Un certain Paul Mahalin, bien malin, publiait en 1890 un « grand roman historique remplissant la période de la vie du célèbre mousquetaire qui s’étend de la « jeunesse des mousquetaires à « Vingt ans après ». Le titre : D’Artagnan, bien sûr. Dans un cycle D’Artagnan et Cyrano (1925-1928) Paul Féval fils, puis Louis Hermance dans Les Cent Amours de d’Artagnan (1936) très inspiré par Edmond Rostand, mettent en scène les deux « Gascons », dont le nom a effacé le prénom, comme devait le faire plus tard Abel Gance.

 

D’Artagnan a vieilli

J’ai évoqué ailleurs la destinée cinématographique et télévisuelle des Mousquetaires et d’autres incarnations de d’Artagnan à l’écran. Je n’y reviens pas.

Les jeunes générations ont pu s’abreuver encore cette année à une nième adaptation des Trois Mousquetaires. Les compagnons de d’Artagnan n’y sont pas de la première jeunesse, particulièrement Athos. Mais dans une France vieillissante, tremblotante et anxieuse du moindre coup de vent ou de la moindre canicule pouvait-on espérer mieux ?

D’Artagnan serait-il donc vraiment mort ?

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