On en parlait déjà en 2010, on en parle toujours en 2023, on y travaille depuis 2014.
Le premier vol prévu en 2020 a été reporté à fin 2023, et il est maintenant probable qu’il n’aura lieu qu’en 2024. La fusée Ariane 6 est bien l’arlésienne de l’industrie spatiale.
Pour comparaison, sa concurrente principale, la fusée Falcon 9 de SpaceX, a été étudiée à partir de 2005 et son premier vol a eu lieu en juin 2010. Depuis cette date, 228 lancements ont été effectués et 200 lanceurs ont été récupérés tandis que le prédécesseur d’Ariane 6, Ariane 5, n’a été lancée que 116 fois sur la période 1998 à avril 2023. Elle n’a jamais été récupérée et elle est à bout de souffle. Elle n’a effectué que trois vols par an en 2020, 2021, 2022 ; un seul en 2023 ; sept les bonnes années. Rien qu’en 2023, SpaceX a lancé 34 Falcon 9. Le dernier lancement d’Ariane 5 est prévu pour ce 16 juin et sa remplaçante, Ariane 6, qui devait être prête en 2020 n’a toujours pas fait un seul vol d’essai. Comble de la honte, l’ESA a dû se résoudre à faire appel à SpaceX pour lancer sa mission spatiale « Euclid » en juillet 2023.
Il y a visiblement inadéquation de l’offre à la demande et il y a donc urgence à y remédier.
Quels sont les problèmes ?
D’abord, Ariane 5 est un vieux lanceur. Conçu dans les années 1990, il est non modulable. Utilisé principalement pour placement de satellites en orbite géostationnaire, pour que le prix de son lancement déjà élevé ne soit pas prohibitif par rapport à celui de ses concurrents, américains, chinois, russes ou ukrainiens, il doit pouvoir remplir sa coiffe pour idéalement atteindre 10 tonnes de charge utile. Comme les charges unitaires sont généralement inférieures à cette masse, cela a souvent contraint à allonger les délais pour un premier client en attendant qu’un second se présente afin que le prix reste « raisonnable ».
Le deuxième étage d’Ariane 5 ne peut pas être rallumé après une première ignition alors que celui des concurrents le peuvent. Ce défaut ne permet pas les ajustements d’orbite, souvent nécessaires.
L’absence de modularité de la puissance est mal adaptée pour le placement sur des orbites très différentes GEO (orbite géostationnaire) ou LEO (Low Earth Orbit) et avec des charges de masses très différentes.
Le lanceur n’est pas réutilisable. La raison est simplement que l’ESA et les responsables d’Arianespace n’en voyaient pas l’intérêt et doutaient d’ailleurs de sa faisabilité.
Elon Musk en voulant absolument y parvenir apparaissait comme un amateur pas très sérieux. Le CNES avait certes proposé en 2010 de travailler sur un lanceur réutilisable brûlant du méthane dans de l’oxygène. Mais en 2015 l’ESA avait mis fin à cette réflexion, soi-disant parce que la réutilisabilité n’était pas viable. La base du raisonnement était que si la réutilisabilité se faisait 12 fois dans l’année, on ne produirait plus suffisamment de moteurs et qu’ils coûteraient donc trop cher (!?). Il n’y avait dans cette approche simpliste et malheureuse aucune anticipation quant à la croissance possible du marché !
Ariane 5 est le fruit de la coopération de 16 pays européens, ce qui est beaucoup trop. Même si avec Arianespace la France possède 74% du capital [1], les décisions supposent une concertation préalable, très coûteuse en fonctionnaires et en argent avec les partenaires, ce qui est très difficile. Ensuite, il découle de ce caractère multinational une dispersion des centres de production qui pose aussi des problèmes de coordination et de multiples transports. Ce qui ralentit aussi les processus et coûte cher, sans compter que si la construction et l’assemblage se font en Europe, les lancements se font en Amérique du Sud.
Le coût final d’un lancement place Ariane 5 très au-dessus du coût des fusées concurrentes. Elle ne peut voler que grâce aux subventions de l’ESA et parce que, pour une raison ou l’autre, les clients sont captifs de l’ESA. Dans les années 2020, la pression concurrentielle a fini par entraîner la réduction drastique du nombre de vols (tombés à deux ou trois par an contre sept les meilleures années).
Quelles sont les améliorations supposées apportées par Ariane 6 ?Â
Il fallait donc passer à un nouveau lanceur baptisé Ariane 6.
La prise de décision fut longue et laborieuse et le début d’exécution encore plus long. On est maintenant « dans la dernière longueur » avant le premier vol et la mise en service de ce nouveau lanceur. Il y aurait déjà 28 pré-contrats de lancements signés (mais il faudra les honorer). Cela doit-il donner espoir aux Européens ?
La réponse est tout simplement de pallier autant que possible les difficultés mentionnées ci-dessus. Et effectivement, il y aura plusieurs modifications au niveau du système de la propulsion, mais malheureusement pas de révolution :
Le moteur du lanceur (un seul, fonctionnant à l’hydrogène liquide brûlant dans LOX) sera toujours le Vulcain d’Ariane 5 (Vulcain 2.1 au lieu de Vulcain 2). Le second étage (un seul moteur, H2 et LOX – oxygène liquide) sera équipé du nouveau moteur, Vinci (déjà prévu pour équiper la dernière version d’Ariane 5, « 5ME », arrêté en 2014). Le Vinci peut être rallumé, ce qui permettra de réduire le temps de mise sur orbite.
Il y aura deux versions du lanceur : l’une avec quatre boosters latéraux (« P120 », développés pour le petit lanceur italien Vega) au lieu de deux ce qui permettra d’adapter la poussée à la charge. Ariane 62 aura deux P120 (4,5 t in GTO et 10,35 en LEO) ; Ariane 64 aura quatre P120 (11,5 t en GTO et 22,5 t en LEO).
Voilà donc des nouveautés techniques qui n’en sont pas vraiment.
Avec cela, l’ESA et les dirigeants d’Ariane espèrent diviser par deux le coût unitaire d’un lancement et porter la capacité de lancements de 7 à 11 fusées par an. Mais on parle de concevoir et construire un lanceur réutilisable pour les années 2030.
Les problèmes persistants ont des causes profondes et rédhibitoires
Il est toujours question de faire mieux mais sans succès. Pour preuve le retard de trois années sur la date de lancement prévu pour Ariane 6 et le faible niveau d’innovation. Le fait que ni l’impression 3D ni la réutilisabilité ne seront encore possibles pour faire baisser les coûts en sont l’expression la plus criante.
Outre la complexité résultant de l’actionnariat et des associations multiples, la qualité de la direction est peut-être aussi une partie de l’explication. Stephane Israël, le PDG d’Arianespace, est normalien et énarque. En fait, Arianespace souffre de ne pas être dirigée par un entrepreneur. Du côté de SpaceX ou de Blue Origin les patrons prennent des décisions et assument des risques. À la tête d’entités qui sont l’expression du capitalisme étatique, les hommes passent, les discussions s’éternisent, l’argent manque toujours.
De son côté, l’ESA est l’équivalent de la NASA, une énorme administration soumise à de multiples contraintes politiques et avec des hommes à leurs têtes qui ne sont pas animés par la passion de la conquête de l’espace et certainement pas par les vols habités. Joseph Aschbacher, directeur général de l’ESA est un scientifique, docteur en sciences naturelles. Donc aucun souffle ne peut venir de ce côté-là pour diriger une révolution technologique.
Arianespace est la démonstration qu’une administration ou une entité parapublique dirigée par un énarque n’est pas et ne sera jamais une véritable entreprise. Il y a une frilosité et un manque d’imagination intrinsèques à la formation des dirigeants. Même si de temps en temps Elon Musk commet des erreurs (conception de la plateforme de tirs du Starship), SpaceX a de beaux jours devant elle et le portefeuille des Européens va continuer à saigner pour un lanceur toujours à la traîne.
[1] Arianespace est filiale d’ArianeGroup (anciennement Airbus Safran Launchers, co-entreprise d’Airbus et de Safran).
En plus, cet article oublie de mentionner que l’Allemagne fait tout pour freiner Ariane 6. Elle utilise tous les chantages possibles et inimaginables pour récupérer la technologie des moteurs de fusée auprès de la France pour développer ses propres lanceurs. Elle utilise la même méthode que pour les satellites.
Mme Merkel avait refusé de participer à Galileo (constellation pour le GPS européen) si les satellites n’étaient pas développés et fabriqués par la société OHB allemande. Résultats, l’ESA à demandé à Thalès et Astrium France de procéder à des transferts directs de technologie pour que les satellites puissent être conçus et fabriqués. Et le coût du projet à été tellement exorbitant qu’une Commission européenne spéciale a été mise en place au bout de 3 ans à laquelle l’ESA devait rendre compte de tous les surcoûts supplémentaires. Ce projet, sans les Allemands aurait coûté 5 fois moins cher à l’Europe.
la souveraineté et l’indépendance, l’existence d’entrepreneurs riches : voilà les solutions !
« Dictature du Fonctionnariat », un point c’est tout !
Connaissez-vous un seul succès notable d’une entreprise publique dans les 20 dernières années ? Au contraire, des fonctionnaires incompétents et paresseux, s’acharnent à détruire les entreprises privées, et, au niveau de l’Europe, c’est encore pire ! Mais…pour leurs carrières, no pb !
Le résultat concret : nous sommes devenus une sous-colonie des USA. Nous n’apparaissons en tête des classements européens uniquement pour être les plus mauvais : balance commerciale, chômage, poids de l’Etat dans le P.I.B., durée annuelle de travail, fraude fiscale et sociale, nb d’élus par million d’habitants,…
stopper les lancements à partir de la Guyane
je ne comprends pas..
je comprendrais si on me demandait mon argent..et qu’onm’expliquait que c’est un projet intéressant..
mais je suis consommateur de produits « spatiaux » aussi ce qui m intéresse c’est que le job soit fait pour le moins cher possible..
privé..
Ceci dit, on peut aborder la question de l’intérêt stratégique sinon quasi vital d’avoir de lanceurs européens ou français..et en débattre..et donc y consacrer de l’argent publique.
mélange des genres en ce qui me concerne.
« Comble de la honte, l’ESA a dû se résoudre à faire appel à SpaceX pour lancer sa mission spatiale « Euclid » en juillet 2023. » Ce qui est le comble, c’est que ce soit le comble de la honte. En quoi est ce honteux de faire appel au meilleur lanceur, et qui coute moins cher en plus? L’ESA fait des économies grâce à cela, elle devrait être félicitée. Si on n’est pas compétitif dans les lanceurs, cela n’empêche pas de faire des sondes/atterrisseurs/orbiteurs intéressants.
Quant à Ariane 6, c’était vicié dès le départ. Le projet n’a jamais été de faire diminuer les couts. Mais de faire plus de fusées pour le même prix global. Ce qui signifie que derrière, il y a un refus total de licenciements et de restructuration. Je veux bien croire qu’il y a quelques optimisations avec Ariane 6. Mais de là à croire que les employés vont travailler tout à coup 2 fois plus vite… Et de plus, il aurait fallu que le nombre de lancements double pour que ça marche. Difficile à croire quand sa part de marché était déjà en réduction.
Moi je prédis que Ariane 6 décollera en 2023/2024, et ce pour un cout double de celui d’Ariane 5, et qu’il y aura 3 lancements par an (tous institutionnels). Et les allemands lanceront bientôt un projet concurrent en solo.
honte???
Ce qui est honteux c’est de dépenser autant d’argent public pour les lanceurs pour un résultat aussi piteux.
Arianespace n’est en effet pas capable de faire un lanceur utile (réclamé par les utilisateurs) pour un coût « raisonnable » qu’elle ne peut faire payer par ses clients et qui est donc lourdement subventionné à chaque lancement.
Donc soit Arianespace est capable de mettre au point un lanceur vraiment innovant et qui sera compétitif, soit l’ESA passe à autre chose et n’achète plus ses lanceurs chez Arianespace. On verra avec Ariane 6 quand elle pourra voler mais le pronostic n’est pas bon.
alors…oui et non..
le problème est toujours le même combien est on prêt à payer si on estime qu’il ya une mission d’interet public en général non économique ou un intérêt stratégique . ? il n’y pas de réponse claire à cela..
Fallait pas écouter Merkel, le dernier lancement pas réussi le lanceur Véga qui s’est craché grâce à une tuyère fabriquer en Ukraine