Molières 2023 : certains artistes détesteraient-ils la liberté ?

Le militantisme s’est invité à la cérémonie de la 34e Nuit des Molières, prenant en otage les artistes venus célébrer leur art, gâchant la fête, aussi, pour une fois qu’il y en avait une.

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Molières 2023 : certains artistes détesteraient-ils la liberté ?

Publié le 29 avril 2023
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Ce lundi 24 avril, on s’attendait à souffler un peu. La grève des éboueurs et celle de la SNCF, dues à la réforme des retraites, l’inflation liée, soi-disant, à la guerre en Ukraine et cette guerre en elle-même ; cela suffisait amplement à l’actualité, on avait bien droit de ne parler que de théâtre, ce soir-là, le temps de quelques minutes. Et s’amuser, éventuellement, pour une fois.

Mais deux intermittentes et membres de la CGT se sont levées, invitées par Alexis Michalik, le maître de cérémonie, pour prononcer leur discours sur scène, sous les applaudissements enthousiastes de nombreux invités. Du moins est-ce ce que montrent les captations vidéos, qui se seraient bien gardées de filmer les visages contrits, tels celui de Michel Fau, qui semble « s’être fait avoir» à venir à une soirée où « on ne parle plus théâtre, mais de l’écologie et de la CGT ». Et de conclure, « je n’irai plus, ça ne sert à rien ! »

 

Une cérémonie sous les bruits des casseroles

En effet, la seule information valable, le seul fait relayé par les médias est celui-ci : la CGT a tapé du poing sur la table aux Molières. On ne parlera donc plus théâtre. Face à l’invective de ces deux femmes, venues parler retraite plutôt que de la langue de Molière, dont elles ont fait un assez pauvre usage, d’ailleurs, la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak a dû sortir de son silence. Dehors, des bruits de casseroles mettaient l’ambiance à l’entrée.

Toufan Manoutchéri et Lucie Astier, les deux comédiennes cégétistes, ont commencé par citer Gérard Philippe et son fameux mot « les acteurs ne sont pas des chiens ». Elles ont ensuite décrit Emmanuel Macron, principalement visé par le discours, en ces termes : « Tout seul dans sa bonne logique ultralibérale, du haut de sa tour d’ivoire, il a décidé de décaler l’âge de départ à la retraite à 64 ans », faisant ensuite état des mauvais traitements réservés aux éboueurs comme à certains intermittents, de leur précarité, évoquant à la fin « leurs frères et sœurs de lutte » et le son béni des casseroles, après avoir fermement rappelé : « Nous ne sommes pas des chiens, ni des chiennes, et nous ne rentrerons pas à la niche. »

Ce qu’elles ne savent sans doute pas, c’est que le libéralisme est justement le contraire de la dépendance à outrance à l’État, c’est-à-dire, par exemple, la liberté de choisir comment se constituer une retraite — on ne manque pas de diverses possibilités d’épargne en France — et surtout de ne pas tout attendre de l’État. Leur invective toute cégétiste — la CGT étant connue pour jeter de l’huile sur le feu plutôt que de soutenir un dialogue constructif, et prôner avant tout la prise en charge par autrui et l’assistanat plutôt que la responsabilité — était donc là pour rappeler que ces deux femmes ne veulent pas de la liberté.

Emmanuel Macron n’est pas « ultralibéral » en imposant à tous un âge de départ à la retraite, mais bien plutôt l’inverse. Elles auraient pu le taxer de capitaliste, à la rigueur, ou de banquier, comme tout le monde. Mais, apparemment, elles ne lisent que les manifestes de la CGT. C’est une continuation du système par répartition pur et simple qu’il propose, de l’État-providence, aussi. Rien de libéral là-dedans. Passons sur le « ultra ». Quand, en 1980, le Chili décide de mettre fin à ce même système, c’est qu’il fait face à un échec. Il a aussitôt recours à la retraite par capitalisation grâce à la création de fonds de pension et sauve, notamment, des ouvriers de la misère. D’autres pays d’Amérique latine suivront son exemple. Le voici le libéralisme.

 

Le libéralisme, c’est ne pas vouloir dépendre de l’État

Leur discours était digne d’un coup de gueule de pilier de bar et leur prestation d’une mauvaise troupe amateur de province. Aux Molières, on attendait mieux. Quand il s’agit de réclamer d’être mieux payé, encore faut-il faire montre de compétences. Mais elles ne connaissent sans doute pas cette logique liée à la méritocratie. À en croire leur discours, être comédien est une souffrance. Et l’on veut bien les croire. Le libéralisme, c’est aussi pouvoir changer de métier quand il faut, quand il nous semble trop mal payé ou qu’on le fait trop mal tout court. La liberté de ne jamais prendre sa retraite, aussi, quand on aime son métier ou bien travailler. La question des cotisations plus ou moins suffisantes pour un départ à la retraite convenable est relative à la responsabilité de chaque individu, pas à celle de l’État. Sauf à considérer que l’État est là pour nous servir, nous payer, nous protéger sans avoir à fournir d’effort.

Après avoir pris à partie la ministre de la Culture, l’accusant de garder le silence, avec un ton quelque peu méprisant, Rima Abdul-Malak s’est à son tour levée, d’une autorité toute debout : « D’habitude, le rôle du ministre est de rester assis à ne rien dire, mais là c’est pas possible. Cette phrase de Gérard Philippe date de 1957, il n’y avait même pas de ministère de la Culture à l’époque. » Et d’évoquer les aides massives de l’État durant la crise sanitaire et le budget record qu’elle a obtenu, « supérieur de 7 % par rapport à l’année dernière », pour l’enveloppe dédiée à la Culture. En somme, tout ce que l’État fait pour les intermittents, loin de les laisser tomber. On ne peut pas en dire autant de toutes les professions, d’ailleurs.

À ces membres de la CGT, il leur faudrait relire les mots de Marguerite Duras, certainement pas ennemie de la Culture, encore moins du théâtre, dans une interview donnée en 1977 au Monde : « Cette espèce d’habitude ancrée, rationaliste, européenne surtout, de la nécessité d’une solution politique, peut-être faudra-t-il l’abandonner. Cette espèce de prise en charge de l’individu par l’État quel qu’il soit : le leurre. Et l’épouvante, la peur qu’ont les gens d’être abandonnés à eux-mêmes, c’est une peur apprise. Ils voient la solution dans une programmation politique. Dans une solution de parti. Ils préfèrent n’importe quelle programmation politique à l’absence de programme1. »

Mais la CGT aime jouer sur la peur. Ces deux comédiennes ont joué à faire peur à la ministre de la Culture. Et c’est peut-être tout ce qu’il leur reste. Elles ne savent sans doute pas ce que devient un pays quand le Parti communiste prend le pouvoir, elles qui appellent à « continuer la lutte ». Mais il vaut sans doute mieux. Elles pourraient, à leur tour, avoir peur.

  1. La voie du gai savoir, Outside, de Marguerite Duras, éd. Gallimard, 1996
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  • Les CGtistes assistés se plaignent du « libéralisme » de Macron alors que celui-ci est un technocrate interventionniste dans tous les domaines de la vie quotidienne : supprimons les chèques à tous vents, pour le peu de reconnaissance qu’ils en ont, et remettons la France au travail !

  • Tant que l’État donne des subventions aux syndicats, ils agissent en fonctionnaires : grèves et manifestations. Tout cela n’est que théâtre. Supprimons ces subventions et ils manifesteront au moins pour quelque chose.

  • je dois dire qu’une personne qui se qualifie d’artise ou se voit comme un artiste me pose déjà question..
    un acteur ok..un peintre ok..

    c’est comme une profession « intellectuelle ».. ou la hiérarchie des « intelligences »..
    j’ai la faiblesse de penser de la creation dite artistique est le propre de tout homme.. l’homme est un animal à culture.. donc artistique

  • «  »Intermittents du spectacle » »……..déjà que la dénomination amène son lot de lectures diverses lorsqu’on voit que ce statut va du pire au meilleur, ou inversement, mais au-delà de l’événement je constate pour ma part une logique de « professionnaliser » » la contestation via divers mécanismes, les casseroles, saboter systématiquement toutes les interventions des élus lors de leurs déplacements, etc, etc…..
    Je peux ne pas partager certaines décisions mais dans le respect de certaines formes d’oppositions plus institutionnelles, mais une certaine gauche ayant concocté une méthodologie subversive comme au bon vieux temps nous n’en avons pas fini avec ce genre d’intervention, ici sur la scène, ailleurs lors d’une cérémonie de toute autre nature, ou même des sangsues à vous pourrir la vie de tous les jours en vous collant aux basques en faisant son marché……
    Je m’inquiète tout de même car je constate une dénonciation de la légitimité des élus mis en concurrence avec le moule vaporeux de ce qu’est le peuple tel que certains aiment à le mystifier afin de dénoncer certains choix politiques……

  • Tellement classique !
    Comme disait Alphonse Boudard :
    – Anarchiste pour soi et fasc.ste pour les autres…

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