Autocrates orientaux : qui bien les connaît, mieux se porte !

L’Europe occidentale et l’allié américain font face à des conquérants dont la pensée politique est fort éloignée des codes politiques dans lesquels se complaisent les gouvernements occidentaux.

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Poutine (Crédits : Platon, CC-BY-NC-SA 2.0)

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Autocrates orientaux : qui bien les connaît, mieux se porte !

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 23 mars 2023
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Après ce qui s’est passé depuis février 2022 en Russie, nous n’imaginons toujours pas ce qu’un gouvernement oriental est susceptible d’engager en bernant les démocrates ! Vrai pour la Chine et vrai pour les Russes, voire pour les Turcs !

 

L’humilité s’impose : c’est le propos de cette chronique

Aucun raisonnement à l’occidentale ne peut inspirer une action comme celle de Poutine qui a envahi l’Ukraine avec des centaines de chars, des dizaines de navires de guerre, des centaines d’avions et de missiles anti-ville, à la barbe du monde entier.

Cette campagne militaire ne répond à aucun raisonnement rationnel : au vrai, nous assistons, sidérés, impuissants, au retour d’un monde que nous avions oublié ; un monde dont l’Histoire (la vraie!) atteste pourtant la permanence millénaire.

 

L’histoire d’Ukraine : invasions, terreur et destructions millénaires

À travers les siècles, l’Europe centrale et orientale en a fourni de constants exemples : les cosaques du Don ont semé la terreur, brûlé et mis à sac les villes tout autour de la mer Noire entre le XVIe et le XVIIIe siècle, au bas mot. Les campagnes et contre-campagnes polonaises pour soustraire l’Ukraine et ses grandes plaines à la domination des Russes, ainsi que les invasions tatares et ottomanes vers ces grandes terres fertiles ont laissé tour à tour autant et plus de morts, de récoltes brûlées et de femmes violées que les bombardements de Kharkov ou de Marioupol, depuis plus d’un an.

Aux temps antiques, le « dernier des grands monarques hellénistiques », Mithridate VI, roi du Pont-Euxin fut immortalisé par le grand Racine : en bute aux peuples scythes (l’Ukraine du Dniepr) et sarmates (terrain ultérieur des cosaques du Don) les vieilles cités grecques du nord de la mer Noire et de Crimée, partagées aujourd’hui entre Ukraine et Russie méridionale, demandèrent protection à Mithridate.

Ce roi du Pont expédia de Sinope, actuellement en Turquie au sud de la mer Noire, six mille mercenaires qui occupèrent la Crimée, défendirent les cités hellénistiques jusqu’à Olbia, aux bouches du Dniepr. Ils pacifièrent cette région sous l’autorité de Mithridate de 110 à 107 avant Jésus-Christ. Exploitées par des Grecs, les terres noires et les mines d’argent de la plaine d’Ukraine firent alors du roi du Pont « le suprême recours de l’hellénisme contre les dangers venant de l’intérieur du continent »!

 

Mythes orientaux ?

Il nous faut donc admettre qu’à l’est de l’Europe la raison ne conduit pas le monde comme nous l’avions pensé. Déjà, en ex-Yougoslavie il y a trente ans, l’Europe balkanique s’enflamma sous nos yeux sans que Chirac, par exemple, ne s’ajuste vraiment à cet Orient complexe.

Aujourd’hui nous redécouvrons ce que sont (et que furent toujours) les conquérants d’Orient : ivres de force brute, il usent de la violence guerrière dès que leurs oracles sont favorables… Jusqu’au jour où ?

Quarante ans après la reconquête de la Crimée, les cités grecques que Mithridate avait soustraites aux mains barbares, l’abandonnèrent en faveur de Rome. C’est le lot des conquérants : dès que leurs féaux les trahissent, leur chance s’évanouit, ils disparaissent alors dans le bouquet final qui met fin à leur aventure terrestre. Sort hier de Sadam et de Khadaffi ; sort de Mithidate avant-hier.

« Approchez-vous, mon fils.
Dans cet embrassement dont la douceur me flatte
Venez, et recevez l’âme de Mithridate. » (fin du cinquième acte de Racine)

 

Traitons les autocrates pour ce qu’ils sont

De tels aventuriers ont toujours existé sans que nous gardions suffisamment en mémoire ce qu’ils furent : Hitler et Staline en Europe, évidemment ; Khadaffi et Saddam en terre d’Islam ; Mao et Tchang Kai Tchek en Chine ; ainsi que les dictateurs sanguinaires d’Amérique latine parmi lesquels Castro et Chavez, plus récemment.

Poutine est-il de cette veine, ainsi qu’Erdogan et le Xi ? Le premier, nous l’avons découvert les armes à la main ; les deux autres sont-ils prêts à bondir de leur tanière à la première occasion ?

Voilà des questions que devraient se poser ceux qui analysent les situations chinoise, russe et turque de nos jours : aucune manœuvre sur le terrain des affaires, du commerce ou de la monnaie ne peut probablement s’expliquer par autre chose que par une intention conquérante. Leur politique ne se fait pas à la corbeille de leurs bourses !

Pour les Chinois communistes, en particulier, l’indice d’une bourse ou la valeur d’une monnaie ne sont que des symboles occidentaux abstraits qui ne tiennent pas plus d’un jour face aux bombes, aux chars ou à une invasion. Nos discours n’ont aucun rôle.

 

« Combien de divisions ? »

L’aphorisme attribué à Staline garde tout son sens, à Kiev aujourd’hui comme hier à Yalta :

« L’Europe ? Combien de divisions ? »

Aucune, en vérité ; guère plus que le pauvre Pape à qui faisait allusion Staline en 1945.

Sur un tout autre plan, je tiens à souligner la justesse d’un billet paru sur Contrepoints et d’un article antérieur de La Croix qui rappelaient l’un et l’autre l’engagement sans faille du Métropolite moscovite Kirill aux côtés de Poutine : fin février 2022 ce prélat bénissait déjà depuis Moscou l’armée chargée de reprendre l’Ukraine en mains par de « vrais » Russes !

En 1991, l’Église orthodoxe ukrainienne avait rejeté la dominance que le Métropolite russe exerçait sur elle, même au cours des années communistes. Remettre demain entre les mains du patriarche de Moscou les clés de Sainte-Sophie de Kiev et de son Église, abusivement déclarée « autocéphale » à son goût, conviendrait parfaitement à Poutine.

 

Vrais rêves de conquérants

Théorisant l’un et l’autre le mythe unitaire d’une grande Russie, Kirill et Poutine se soutiennent mutuellement. Tous deux sont conquérants, l’un et l’autre souhaitent réitérer leur rupture avec Rome, ce schisme orthodoxe scellé au milieu du XVe siècle, bien avant que l’Empire russe soit une réalité politique.

Leur projet commun est limpide : rétablir l’unité de l’Empire et conforter l’orthodoxie identitaire qui soutient le régime russe afin de régner durablement sur une Russie blanche et slave dont Kirill serait le seul patriarche et Poutine -ou ses successeurs- les tsars séculiers.

Voila probablement ce à quoi pensent les conquérants russes de nos jours. Mutatis mutandis, je présume qu’il peut en être de même pour Xi et son projet chinois dominé par les Han. Ainsi que du rêve pan-turc d’Erdogan…

Si mon raisonnement tient, l’Europe occidentale et l’allié américain qui nous protège encore font aujourd’hui face à des conquérants dont la pensée politique est fort éloignée des codes politiques et du confort petit bourgeois dans lesquels se complaisent les gouvernements occidentaux et les hommes en gris qui font la loi, à Bruxelles comme à Washington.

Vont-ils nous faire regretter le temps où la Troisième République rêvait de civiliser l’Afrique noire et où le soleil ne se couchait jamais sur l’Empire britannique ?

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  • Avatar
    jacques lemiere
    23 mars 2023 at 7 h 21 min

    si vous voulez je ne peux m’mepecher de penser que les jeunesse russes et chinoises sont ,modernité oblige , peu enclin à se mourir pour la patrie..ou le leader.. il est plus difficile de contrôler le narratif de nos jours..

    mais il est bon de rappeler que ce que nous tenons comme une évidence, la vie humaine, les autocrates s’en tapent..

    • Les jeunesses… La nôtre est bien pour certains prête à tuer pour les retraites ou contre les bassines.

  • Nous avons eu notre dose d’autocrates en occident aussi. Il est curieux que l’auteur ait oublié Napoleon. Nos démocraties sont récentes et fragiles . A une démocratie défaillante comme le sont les nôtres , le peuple en finit parfois par préférer une dictature triomphante . C’est ce qu’oublient nos élites : les gens préfèrent l’ordre , la loi et la fierté au désordre et à la honte. Les élites , au lieu de le comprendre , méprisent le peuple , ils commettent une énorme erreur .

  • « Aucun raisonnement à l’occidentale ne peut inspirer une action comme celle de Poutine qui a envahi l’Ukraine avec des centaines de chars, des dizaines de navires de guerre, des centaines d’avions et de missiles anti-ville, à la barbe du monde entier. »
    C’est vrai, ça ? Les occidentaux seraient donc plus pacifiques que les autres? De la foutaise, évidemment. L’invasion de l’Irak en fournit d’ailleurs un contre-exemple. Les Occidentaux feraient d’ailleurs bien de se méfier avant tout d’eux-mêmes: l’enfer est un chemin pavé de bonnes intentions, comme celles, par exemple, de vouloir sauver la planète en prêchant l’exemple au reste du monde.

    • Tout à fait d’accord. Bush et ses faucons ainsi que les dirigeants des pays qui ont participé à la guerre d’Irak devraient être aussi poursuivis pour la court internationale pour crime contre l’humanité (le peuple irakien).

  • Les volontés de conquête ne se limitent pas à des territoires mais surtout actuellement à l’économie.
    Les interventions US au moyen orient en sont un exemple pour les ressources pétrolières quand il ne s’agit pas d’un gazoduc que l’on fait sauter pour avoir le quasi monopole de fourniture du gaz de chiste US.
    On peut ajouter l’extraterritorialité du Dollar et plus récemment l’IRA (Inflation Reduction Act) dans la guerre économique
    Les évènements récents montrent que l’Europe est quasiment devenu le 51ième Etat des USA.
    Il ne faut pas penser comme l’auteur que seuls les Russes et les Chinois ont des pensées expensionistes.

  • « l’allié américain qui nous protège »…
    ben voyons ! qu’a-t-il voulu faire en Irak, Afghanistan, Syrie… ?
    l’auteur vit-il sur une autre planète ?

  • Les commentaires sont fermés.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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Nicolas Quénel est journaliste indépendant. Il travaille principalement sur le développement des organisations terroristes en Asie du Sud-Est, les questions liées au renseignement et les opérations d’influence. Membre du collectif de journalistes Longshot, il collabore régulièrement avec Les Jours, le magazine Marianne, Libération. Son dernier livre, Allô, Paris ? Ici Moscou: Plongée au cœur de la guerre de l'information, est paru aux éditions Denoël en novembre 2023. Grand entretien pour Contrepoints.

 

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