L’éducation économique selon Citéco

La Cité de l’Économie à Paris a voulu présenter l’économie au public. Le parcours scénographique d’initiation à l’économie laisse quelque peu perplexe.

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Screenshot 2023-03-15 at 14-33-47 En vidéo visite privée de la nouvelle Cité de l'Economie à Paris. Citéco -Exposition YouTube - YouTube

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L’éducation économique selon Citéco

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 18 mars 2023
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Un article de l’Iref-Europe

 

Nous nous sommes rendus à la Cité de l’Économie à Paris pour voir comment l’économie est présentée au public. Si l’on peut y trouver un remarquable exemple de reconversion architecturale, et si la collection de pièces de monnaie exposée dans la salle des coffres vaut le détour, le parcours scénographique d’initiation à l’économie laisse quelque peu perplexe. Explications.

Située dans l’hôtel Gaillard au cœur de la plaine Monceau à Paris – un immense édifice néo-Renaissance, dont la construction a été commandée par le régent de la Banque de France Émile Gaillard en 1878 pour abriter sa collection d’œuvres d’art -, la Cité de l’Économie, ou Citéco, a été en 2019 le premier musée consacré à l’économie en Europe.

Son président, le gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau, y voit « l’exemple le plus récent et le plus spectaculaire de l’engagement de (celle-ci) en faveur de l’éducation économique, monétaire et financière » (Beaux-Arts, CitÉco, mai 2019, p. 3). Reste à savoir de quelle « éducation économique » il s’agit, tout au long de ce parcours scénographique qui s’étend sur un vaste espace (2600 m2).

 

Une approche « ludique » et « interactive » pour sensibiliser le public à l’économie « responsable » ou « durable »

Dans un entretien donné à Beaux-Arts (ibid., p. 4-5), Philippe Gineste, directeur de Citéco, insiste sur l’aspect « interactif » du musée, dont l’exploration est ponctuée de « dispositifs permettant de toucher, jouer, manipuler, et d’acquérir de façon ludique des concepts » liés à l’économie (p. 4).

Il en donne quelques exemples, nous en avons retenu deux pour illustrer notre scepticisme.

  • Vous êtes chargés de fixer le taux directeur de la Banque centrale : soit vous le réduisez et vous encouragez alors l’économie, soit vous le relevez et dans ce cas vous ralentissez la croissance et vous faites monter le chômage (ibid.).

 

Il est bien que soit expliqué le fonctionnement d’une banque centrale mais cette manière de le présenter n’est-elle pas quelque peu réductrice ? Ne donnerait-elle pas aux visiteurs l’impression que la croissance n’est qu’une affaire d’ajustement des taux, de manipulations, de décisions venues d’en haut, alors que ce sont les entreprises, les entrepreneurs et les innovateurs qui en constituent les ressorts ?

  • Autre cas de figure mentionné, la pêche. Lorsque les poissons se raréfient, il faut « imposer des règles pour réguler les ressources » (ibid.).

 

Tout un chacun en conclura donc que l’économie responsable passe par une nécessaire régulation des marchés. À noter que Citéco propose aussi d’autres jeux spécifiquement conçus pour sensibiliser le public à l’importance de la transition écologique et de la baisse des émissions de dioxyde de carbone.

 

Un parcours scénographique orienté ?

Sur place, on constate que le parcours de l’exposition permanente se divise en plusieurs sections, suivant cet ordre : échanges, acteurs, marchés, instabilités, crises, régulations.

La première section nous rappelle à juste titre que les êtres humains ont toujours trouvé plus commode et plus productif de s’échanger des biens selon leurs savoir-faire réciproques. Pour plus d’efficacité, ils se sont spécialisés et ont introduit, avec la monnaie, des unités de valeur communément partagées.

Deuxième section, les acteurs. Plusieurs types d’acteurs sont évoqués : entreprises, ménages, banques et assurances, État, associations.

On peut lire sur un panneau : « Tous participent à la production et à la consommation de biens et de services. […] Entreprises et […] administrations produisent des richesses et donc des revenus, qui sont ensuite consommés ou investis ».

Mais depuis quand les administrations produisent-elles des richesses ? Même si l’on trouve bien un écran consacré aux entrepreneurs, il est néanmoins regrettable que l’accent ne soit pas ici davantage mis sur le fait que ce sont avant tout ces derniers qui créent des richesses, lesquelles profitent en définitive à la société tout entière.

On trouve ensuite, sur un autre panneau (« la croissance verte »), la justification suivante des politiques publiques environnementales :

« La croissance des pays s’est souvent faite au prix de dégradations et de destructions environnementales importantes, voire irréversibles. […] Une […] réponse (au défi environnemental) est la mise en œuvre de politiques qui orientent les modes de production et de consommation dans ce sens – ainsi les incitations financières à réduire l’usage des énergies non renouvelables… »

La suite du parcours laisse également quelque peu perplexe. Le visiteur passe des marchés aux instabilités, puis des crises aux régulations, un agencement qui ne peut être fortuit et qui semblerait plutôt obéir à une logique soigneusement mise au point : les marchés sont foncièrement générateurs d’instabilité et de crises et seule la « régulation » (sous-entendue étatique) peut y remédier.

La vision donnée de la concurrence nous paraît contestable :

« Dans certaines situations la concurrence n’est ni bénéfique, ni possible. Quelle est alors la meilleure organisation du marché ? Monopole, oligopole, concurrence monopolistique… »

Pour les libéraux, au contraire, l’ouverture à la concurrence – qui devrait toujours accompagner la privatisation – est très souvent possible et toujours souhaitable.

Dans la section sur les « régulations », on peut lire :

« Les échanges entre des acteurs économiques sur des marchés nécessitent l’intervention des institutions publiques, au niveau national ou supranational. Des régulations sont en effet mises en œuvre, à titre préventif ou correctif, pour améliorer le bien-être collectif, en modifiant les comportements des acteurs, ou en corrigeant des déséquilibres » (nous soulignons).

Or tous les économistes n’adhèrent pas à cette idée ! Pour les libéraux là encore, les déséquilibres sont plutôt le résultat de politiques économiques et monétaires conduites par les États, qui viennent ainsi fausser la liberté d’action des individus et le libre jeu du marché. On peut bien sûr discuter cette idée, mais dire ici, dans un musée dont l’ambition est d’informer un large public, que les dysfonctionnements des marchés sont corrigés par l’interventionnisme étatique revient à faire fi de pans entiers de l’analyse économique.

On trouve certes dans le parcours de Citéco un panneau (« Une histoire des pensées économiques ») mentionnant l’importance d’Adam Smith, ainsi qu’une généalogie des différentes écoles de pensée en économie, dont l’école autrichienne (Mises, Hayek, etc.). On peut aussi écouter un « dialogue imaginaire entre Keynes et Friedman », qui sont présentés comme « deux économistes importants ». Il n’en reste pas moins que nombre de supports pédagogiques nous semblent faire la part belle aux tenants de la régulation des marchés, de l’interventionnisme étatique et du développement durable.

« Notre public général (est) plutôt concentré de la seconde jusqu’à bac+3 », précise Philippe Gineste dans l’entretien cité plus haut, avant d’ajouter :

« Notre parcours est en adéquation avec les programmes scolaires et répond à la volonté de la puissance publique de participer à l’éducation économique et financière » (p. 5).

On imagine que nombre de profs d’économie en lycée, souvent nourris à Alternatives économiques, se sont déjà empressés de conduire leurs élèves à Citéco ; c’est ainsi que les analyses économiques très critiquables qui ont inspiré les politiques gouvernementales de ces dernières décennies auront probablement encore de beaux jours devant elles.

 

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  • Economie régulée par qui, ces grands commis de l’Etat que le monde entier nous envie?
    Savent-ils seulement compter?
    Et ceux qui comptent le mieux savent bien que rien ne régule mieux que la sélection naturelle qui fait la part belle à la libre initiative et à la compétition. Réguler c’est laisser faire ce mécanisme en minimisant l’administration et la bureaucratie.
    [Presque] tout le monde y gagnerait.

    • La sélection naturelle a pourvu l’espèce humaine de la liberté de réguler c’est à dire de créer des règles et de les modifier. Le laisser-faire n’existe pas vraiment c’est une construction imaginaire. La véritable compétition c’est celle entre les différents modes de régulation à tous les échelons possibles.

      -2
  • A ce stade ce n’est plus de l’éducation, mais de la propagande .

  • « Notre parcours est en adéquation avec les programmes scolaires et répond à la volonté de la puissance publique de participer à l’éducation économique et financière »

    Au moins ça a le mérite d’être clair! Je comprends tout à fait la déception de l’auteur face à une scénographié éminemment biaisée. Je n’ai pas visité ce musée, mais il y a de fortes chances que je soit du même avis que l’auteur. Néanmoins, à partir du moment où ce sont les représentants de l’état qui paient, vous vous attendez à quoi? L’assistanat, le besoin de régulation, la peur du libéralisme, tout cela c’est le fond de commerce des représentants de l’état. Le type qui veut se débrouiller seul dans la vie, sans l’aide de l’état, ça n’intéresse tout simplement pas les politiciens!

    Ce musée aurait certainement eu une autre allure s’il avait été financé par des entreprises privées.

  • Les commentaires sont fermés.

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