Par Pierre de Lauzun.
Dix ans après le début de la crise et plusieurs vagues de réformes financières, il est urgent aujourd’hui d’évaluer les impacts sur l’économie et la croissance des régulations mises en place.
Une tâche de grande ampleur, mais indispensable pour s’assurer que ces réformes prennent en charge les vrais risques et n’ont pas d’effets contreproductifs sur l’activité. Et qu’un poids excessif ne soit pas donné aux seules considérations prudentielles.
Un travail titanesque certes, compte tenu de la complexité et de l’ampleur des réformes engagées depuis 2007 au niveau du G-20 et du Conseil de la stabilité financière (CSF).
Des forums devenus essentiels
Réformes concoctées au fil des ans dans des forums réunissant les autorités sectorielles, ensuite entérinées par les politiques puis appliquées de manière plus ou moins harmonisées par les pays membres du G-20.
Ces forums sont peu connus du public, mais essentiels dans le dispositif, notamment le Comité de Bâle qui réunit les banques centrales et régulateurs bancaires, l’OICV (IOSCO en anglais) qui est l’organisation mondiale des régulateurs des marchés, ou le Conseil de stabilité financière (CSF) qui les coiffe et prépare les G 20 etc.
Or, on le pressent, l’appétit des autorités internationales pour retoucher ces textes est faible : outre qu’ils ont été difficilement négociés, leur déclinaison législative et leur mise en œuvre nationale ont été souvent sources de tension. De plus, les éléments matériels à recueillir pour une telle évaluation nécessitent quantité d’expertises et des données souvent difficilement disponibles, sans parler de la méthodologie.
Nécessité de l’évaluation
Pourtant le besoin d’une telle évaluation est manifeste. Non seulement la plupart des décisions et des calibrages ont été arrêtés sans véritable mesure d’impact, mais la cohérence d’ensemble de l’approche est tout sauf démontrée.
Ainsi, des décisions prudentielles lourdes ont été prises conduisant à une réduction sensible de l’activité de teneur de marché des banques, pour des raisons tenant exclusivement à la solidité de celles-ci (ce qui est en soi légitime), mais sans évaluation de leur impact sur la liquidité du marché, notamment en cas de secousse.
De même la cohérence de ces mesures avec celles visant la sécurité des opérations elles-mêmes (appels de marges sur les dérivés) n’a pas été véritablement testée.
Ces exemples mettent en outre en lumière un déséquilibre majeur dans le poids relatif des autorités et conséquemment des points de vue qu’elles défendent.
Surpuissance des banques centrales
Force est de constater en effet un certain effacement des autorités de marché (en l’occurrence l’OICV) en regard de la surpuissance désormais écrasante des banques centrales, notamment à travers le puissant Comité de Bâle, mas aussi indirectement par la puissance de leurs interventions directes.
Le tout relayé au niveau du CSF, qui regroupe certes superviseurs bancaires, régulateurs de marchés et représentants des Trésors, mais où les banques centrales dominent.
Dans la pratique donc, ce sont les régulateurs prudentiels qui déterminent le sens des réformes. Au risque de donner la prépondérance au renforcement des établissements, conduisant en outre à leur concentration, et cela au détriment de l’analyse de l’interaction sur le marché de ces mêmes banques, des émetteurs et des investisseurs.
Le marché négligé
Car le marché est un peu le parent pauvre de la réflexion et de l’action régulatrice depuis 2008 (à l’exception notable de l’impulsion donnée en faveur des chambres de compensation, mais là encore on reste dans l’institutionnel).
C’est si vrai que l’on constate désormais une tendance des banques centrales à progressivement s’occuper des marchés elles-mêmes. À titre d’illustration, des codes de conduite internationaux voient le jour sur des segments de marchés majeurs, le marché des changes par exemple avec le Forex Global Code of Conduct, demain sans doute celui des produits de taux ; mais c’est sous l’égide des banquiers centraux qu’ils se développent et surtout ce sont eux qui leur confèrent une portée internationale de fait contraignante. Notamment en obligeant les établissements qui travaillent avec eux à respecter ces codes.
Mais cela ne saurait remplacer une réflexion spécifique au bon fonctionnement des marchés, d’abord sur la liquidité certes, mais aussi sur les risques propres aux marchés, tenant aux emballements possibles, ou à la nocivité de certains produits et pratiques, avec potentiellement des effets systémiques comme on l’a vu.
Le contrôle des risques du marché
En principe ce devrait être le rôle de l’OICV. Mais le format multilatéral et consensuel de l’OICV, la surpuissance américaine en son sein, et ses faibles moyens ne se prêtent guère à des initiatives fortes ou à des études en profondeur, quand, dans le même temps, les moyens plus développés et le format plus resserré du Comité de Bâle confèrent aux banquiers centraux une autorité et des pouvoirs autrement plus étendus.
Pour se limiter à un seul exemple, il y aurait pourtant bien besoin, de stress-tests de marchés, pour tenter notamment d’évaluer leur résilience, de façon analogue aux stress-tests pratiqués sur les banques.
En un mot, il est impératif que l’appréhension spécifique des problématiques de marché ne soit pas occultée. On l’a dit, l’approche prudentielle ne peut être l’unique perspective lorsqu’il s’agit d’étudier les évolutions de marché. Alors que la transcription nationale des réformes financières est en passe de s’achever, il est grand temps, au niveau international, d’en prendre la pleine mesure, avec les moyens que cela exige.
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