Un nucléaire sans entretien ou rien !

Les « batteries électronucléaires » sans entretien ne sont pas pour demain et, à l’instar d’une voiture ayant pété son joint de culasse, une centrale est condamnée à rester indisponible le temps qu’exige toute réparation.

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Un nucléaire sans entretien ou rien !

Publié le 18 mars 2023
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Point n’est besoin d’être grand clerc pour constater que, quantitativement, la perte des compétences est considérable dans la filière électronucléaire française.

Les premiers intéressés en ont déjà déploré les conséquences avec la lucidité professionnelle qui convient et certains d’entre eux en ont même disséqué les tenants et les aboutissants avec une précision chirurgicale de l’expertise dont aucun plumitif ne sera jamais capable. En la matière, la Lettre Géopolitique de l’Électricité à laquelle il est loisible à tout un chacun de s’abonner gratuitement fait d’autant plus référence que son directeur de la rédaction fut un éminent acteur de la réalisation du nucléaire historique, proche de Marcel Boiteux et même familier du gouvernement Messmer.

Empruntons l’extrait suivant au numéro 94 de cette lettre, pour introduire la suite du propos :

« … Rapidement, les ingénieurs de Framatome innovèrent et se débarrassèrent des brevets de Westinghouse, série après série, faisant que notre pays pouvait de nouveau proposer à l’étranger des réacteurs de conception française.

De l’autre côté du monde, un ingénieur électricien, Li Peng, devenu ministre puis Premier ministre de Chine, avait remarqué et admiré la construction du parc nucléaire français. Après avoir vaincu quelques réticences intérieures, il demanda la construction dans son pays de réacteurs français dont les premiers seraient strictement identiques à ceux de Gravelines. Il souhaita aussi que l’organisation du chantier soit la même : l’architecte industriel serait EDF Équipement et le fournisseur du réacteur Framatome. La Chine suivit ensuite la stratégie industrielle française : construction en série par paliers de niveau technique donné. Plus de trente ans plus tard, le résultat est spectaculaire et a conduit au réacteur Hualong One, un concurrent de l’EPR.

Comme les Français avaient « francisé » un réacteur américain en l’améliorant progressivement, les Chinois ont « sinisé » le réacteur français. En 2019, trois réacteurs « Hualong One » sont en construction. La stratégie nucléaire chinoise a été également de construire localement des réacteurs russes, canadiens, américains et français, de les comparer entre eux et avec leurs propres réacteurs. Les réacteurs américains furent un temps favoris et récemment des réacteurs russes ont été commandés.

Mais le choix principal est fait…

Ce sont les réacteurs chinois Hualong One qui seront la base de l’important programme chinois, le premier du monde, et ce seront eux qui seront proposés à l’exportation, en particulier via les nouvelles routes de la soie. Ils sont les descendants des réacteurs français de Gravelines et ont été obtenus suivant la stratégie industrielle qui a mené au succès de parc nucléaire français actuel.
Pourquoi n’avons-nous pas amélioré nous-mêmes, suivant nos méthodes industrielles, les réacteurs du parc nucléaire actuel ? Pourquoi avons-nous abandonné cette stratégie, qui, pourtant, avait fait ses preuves ? »

 

Les « batteries électronucléaires » sans entretien ne sont pas pour demain

Rien ne peut mieux que cet extrait illustrer l’idée que notre parc de production électronucléaire est à comparer à une batterie d’accumulateurs de même technologie, construits de la même façon et par les mêmes industriels.

Les avantages de la construction en série dont il est ici question, notamment économiques, sur l’évaluation desquels il est inutile de revenir, se sont sans conteste révélés largement supérieurs à ses inconvénients pourtant bien réels. Et si l’avarie aujourd’hui subie par ce parc est très pénalisante, elle n’en est pas moins assimilable à celle rencontrée par toutes les flottes aériennes du monde, auxquelles il arrive d’être intégralement clouées au sol et d’attendre d’un constructeur unique la possibilité de remettre les avions en service.

En définitive, le seul risque et/ou le seul danger présentés par des défaillances techniques ne relevant à Penly, à Cattenom ou ailleurs que de la maintenance industrielle réside dans une croissance du défaut de production d’énergie qui ne tardera pas à se révéler rédhibitoire pour l’économie nationale et pour le confort des Français. En l’absence d’unités de production de secours, les indisponibilités de tranches ne peuvent en effet que se multiplier, causées par le nombre croissant de défaillances encore à découvrir.

Il va donc être de plus en plus nécessaire de battre en brèche l’amalgame ne manquant jamais de qualifier de situation accidentelle l’état imposé aux installations par la moindre avarie. Il faut donc plus que jamais marteler dans l’opinion que les « batteries électronucléaires » sans entretien ne sont pas pour demain et que, à l’instar d’une voiture ayant pété son joint de culasse, une centrale est condamnée à rester indisponible le temps qu’exige toute réparation.

Par ailleurs, pour que la perte quantitative de compétences électronucléaires en arrive à être source de graves fragilisations de la sûreté des installations, elle doit avoir franchi le niveau d’étiage qu’elle n’a manifestement pas franchi dans les effectifs d’exploitation et de maintenance du parc. Au demeurant, si elle en était proche, les semaines, les mois et les années à venir ne pourraient que nous éloigner toujours davantage de l’alerte, à en juger par les recrutements massifs auxquels se livre actuellement la filière électronucléaire.

Quant à l’estimation de la perte qualitative des compétences, elle mérite une approche sélective dont la relation médiatique sous toutes ses formes de ce qui vient d’être découvert à Penly 1 ne dit absolument rien ; pas plus d’ailleurs que l’agitation intellectuelle perçue dans les Landerneau phosphorant actuellement sur le devenir de la filière, sur celui d’EDF et sur celui du marché dans lequel on va devoir inscrire l’une et l’autre. De fait, cette carence qualitative est patente pour tout le monde dans le domaine des R&D, dans celui des capacités techno-industrielles de la France et pour ce qui est de l’aptitude de nos décideurs à penser et à réaliser de nouveau ce que d’aucuns ont qualifié de programme Apollo français.

 

Alors, quels enseignements en tirer ?

Peut-on au moins compter sur le bouillonnement intellectuel venant d’être évoqué, pour tirer les enseignements idoines de ce que mentionne en ces termes le numéro 116 de la Lettre Géopolitique de l’électricité ?

« … Après le retentissant échec commercial à Abu Dhabi, en 2009, notre perte de compétences, connue des professionnels du monde entier, resta curieusement ignorée en France, même chez beaucoup d’énergéticiens. Ainsi, le Rapport Percebois « Énergies 2050 », sensé éclairer l’avenir énergétique du pays, décrit toujours en 2012 la France comme le « pays de référence du nucléaire ». Il fallut attendre en 2019 le Rapport Folz au ministre de l’Économie, puis en 2020 un Rapport très sévère de la Cour des comptes, pour mettre fin à cet aveuglement. La perte de compétences du nucléaire français, dont les acteurs « n’avaient pas conscience » a été catastrophique. EDF est indispensable (Rapport Folz) pour mener une politique industrielle permettant la reconstitution de ces compétences et la réalisation du nouveau programme annoncé de construction de réacteurs. Mais cette entreprise est exsangue financièrement et l’État va devoir la recapitaliser… »

Rien n’est moins sûr car outre que désormais l’intégriste et souveraine épée de Damoclès ASN pèse sur la tête de notre industrie nucléaire, la récente remise du rapport Beyond the crisis à la CRE nous rappelle que le pouvoir politique français géra la direction d’un organisme aussi crucial que la CRE en pensant que l’on n’y apprend à marcher qu’en marchant ou, comme Lamarck, que la fonction fait l’organe. Car la situation de l’économie française et celles du contribuable et du consommateur de KWh apportent aujourd’hui la douloureuse preuve que les dirigeants de la CRE n’ont jamais rien compris, ni au fonctionnement d’un système électrique, ni à sa traduction commerciale.

Aussi, ne peut-on être qu’ulcéré de voir les dirigeants de ce qui aurait dû et devrait encore être le temple de l’expertise la plus requise de toutes – eu égard aux intérêts économiques considérables qu’elle conditionne – aller chercher chez on ne sait quel assortiment d’universitaires la compétence qu’ils n’ont toujours pas, y chercher ce que Marcel Boiteux aurait pu leur enseigner en deux ou trois pages de format A4.

 

C’est pourquoi de deux choses l’une : ce rapport fleuve fait mine de redécouvrir ce que le système électrique français a déjà exploité avec bonheur des décennies durant et dont l’extension géographique rationnelle ne présentait pas a priori de difficulté insurmontable ; on y attend les conclusions d’un panel de personnalités particulièrement bien choisi justifiant, voire cautionnant l’impéritie qu’il convient de perpétuer ou, pire, suggérant que l’intention partisane ayant nommé un Carenco à la tête de la CRE et un Brottes – autre incompétent notoire – à la tête de RTE était légitime.

On en terminera en attirant l’attention du lecteur sur l’incompétence probablement la plus délétère pour notre pays : celle de l’expert autoproclamé Yves Marignac, antinucléaire notoire que l’ASN n’a rien trouvé de mieux qu’accueillir dans son groupe permanent d’experts. À croire que, comme chez Hanouna, à défaut d’y rivaliser en prodigalités techno-industrielles authentiquement expertes, on y rivalise d’opinions.

Ce groupe et sa tutelle politique laissent en tout cas l’orfèvre en psittacisme se goberger publiquement d’alignement forcé et de multiples réparations et soudures sans doute responsables de fissures CSC plus prononcées qu’ailleurs sur le circuit RIS de Penly 1, pour mieux accabler la technologie nucléaire dans son ensemble, tout auréolé d’un titre usurpé et d’un diagnostic piraté. Toutefois, ce que l’homme ne sait pas c’est qu’au moins un expert certifié attend la première occasion de mettre un terme définitif au numéro de l’illusionniste ; un de ces experts bien près de parvenir à la démontration que le parc électronucléaire français doit sa descente aux enfers CSC au suivi de charge contraignant qui lui est imposé, en fonction supplétive du fantasque éolien. Il n’a pas été tenu compte d’un suivi de charge aussi intensif dans les codes de calcul de l’installation, encore moins dans ceux de la durée de vie de ses organes les plus sollicités.

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  • Il ne faut pas perdre de vue que la seule raison pour laquelle les socialistes se sont attaqués au nucléaire, était pour rester au pouvoir. Seules les voix des écolos le leur permettaient. Mais pour les associer durablement, il fallait détruire la filière nucléaire française, ce qu’ils n’ont pas hésité à faire pour sauvegarder leurs intérêts personnels. Ils ont mis à la poubelle des outils industriels performants payés par les impôts des Français. Si la décision primaire de la filière nucléaire française a été politique, il faudrait que des décisions politiques personnelles ne puisse pas être implémentées quand elles lèsent l’intérêt national. La fermeture de Fessenheim a été justifiée par une série de mensonges et de manipulations de l’opinion publique.

    11
  • Vu de haut on constate que le nuage des décideurs et le nuage des connaisseurs sont si éloignés l’un de l’autre qu’ils ne peuvent même pas se voir. Pour l’énergie comme pour tout le reste.

    • Vu d’en bas, c’est exactement pareil.

      • Mais en bas ça m’a l’air bien encombré, on ne doit pas y voir grand-chose.

        -1
        • On y rencontre les connaisseurs, les temps n’étant guère favorables à leur ascension. Par exemple,quand on se ramasse la pluie sur le coin de la figure, on sait faire un comptage rainflow et on comprend tout de suite que la fatigue va accompagner l’utilisation des centrales nucléaires conjointement au développement des énergies intermittentes. Mais ça n’est pas avec ce genre d’idée qu’on devient chef de labo, puis d’institut, puis d’agence gouvernementale.

          -1
  • La bêtise est encore ailleurs.
    Revenons dans les années 50/60. Un réacteur civil a cette époque doit être non proliférant, a sécurité essentiellement passive. pourquoi ?
    Le nucléaire est pour tous les pays.
    Il y a eu aux US un programme civil et un programme militaire. Le programme militaire sert a fabriquer du plutonium a partir de l’uranium. Le civil est d’un autre type le Thorium remplace l’uranium et le combustible est a l’état liquide dans des sels de fluor. Fonctionnement a pression ‘ambiante’ et refroidissement par air qui ne peut manquer… L’eau peut manquer ou être en excès voir pire. Le démonstrateur a fonctionné 4 ans sans le moindre problème. Kennedy est passé voir cette merveille ;-)))
    Il a été décidé autre chose, le bricolage d’un réacteur de la Navy pour produire une excellente électricité… Les militaires n’ont pas regardé d’autres aspects.
    60 ans plus tard, on bricole encore un truc bancale sans se poser de questions.
    Ceux qui en pose ne sont pas des ‘sachants’ comme Kennedy qui a décidé sur des conseils non avisé…
    Ce n’est pas seulement le Thorium qui est intéressant mais tout le jus de cerveaux des hommes des années 60 sur ce que doit être le réacteur civil.

    • Exact, en raison de l’abondance du Thorium la filière Th232->U233 à sels fondus pourrait fournir une énergie propre pendant des milliers d’années mais seule la Chine (tiens, tiens…) semble s’y intéresser. Le proto mentionné ci-dessus est celui d’Oak Ridge (ORNL), il a été arrêté sous la double pression des militaires (pas assez plutonigène) et du lobbying Westinghouse. En France le CEA ne s’y est pas intéressé car pas capable financièrement de suivre deux filières et préférant se focaliser sur les RNR jusqu’à l’arrêt du programme ASTRID.

  • Article de grande qualité, merci…..et je viens d’aller voir le site référencé « Lettre Géopolitique de l’électricité ? », et abonné dans la foulée !

  • Merci pour cet article éclairant.
    Bah domage qu’on ne puisse pas avoir de pile nucléaire, comme dans retour vers le future. C’est les écolo qui vont s’en réjouir.
    Bon on trouvera bien un trou pour enterrer les petits dechets nucléaire, pas bien grave, on n’est plus à ça pret :o) .
    Mais sinon vous comprenez quelque-chose à toutes ces fissures dans les tuyaux?
    Et la Russie, elle est Ok pour continuer de nous vendre de l’uranium?
    Bref, pas clair tout ça!

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