Corée du Sud : justice libérale et couple de même sexe

La Haute Cour de Séoul a considéré discriminatoire le traitement différencié des couples homosexuels au regard de la sécurité sociale.

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Corée du Sud : justice libérale et couple de même sexe

Publié le 28 février 2023
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Contrairement au juge français, le juge coréen a su reconnaître des droits au couple de même sexe. En effet, le 21 février 2023, la Haute Cour de Séoul a considéré discriminatoire le traitement différencié des couples homosexuels au regard de la sécurité sociale. L’affaire qui est portée devant la Cour suprême trouve son origine dans l’absence de reconnaissance de la qualité d’ayant droit du compagnon de même sexe.

Si cette décision de la justice sud-coréenne semble timide, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une première en Asie où Taïwan demeure le seul pays à avoir reconnu le mariage pour tous.

 

La perspective française

Un devoir de rétrospection nous oblige de rappeler le chemin semé d’embuches qu’a été le processus de reconnaissance des droits pour les couples de même sexe en France. En effet, avant le Pacte civil de solidarité (Pacs), la justice s’est montrée réticente à octroyer des droits aux unions homosexuelles.

Aussi bien la Cour de cassation, le Conseil d’État que le Conseil constitutionnel, ont statué de manière restrictive en ce qui concerne les droits sociaux et familiaux. Ainsi, dans une décision du 11 juin 1989, la chambre sociale de la Cour de cassation a refusé la qualité de concubin aux couples de même sexe. Plus tard, le 17 décembre 1997, la même Haut juridiction a statué que le partenaire survivant d’un couple homosexuel ne pouvait pas bénéficier du transfert du bail.

De même, le Conseil d’État s’est opposé à l’agrément à l’adoption pour les personnes homosexuelles et il a fallu qu’en 2008 la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) condamne la France pour que cette situation cesse. Aussi, dans une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a considéré que le refus du mariage pour les couples de même sexe n’était pas discriminatoire et demeurait donc conforme à la Constitution.

Les juges français se sont systématiquement opposés au droit de filiation pour les familles homoparentales : pas d’adoption simple de l’enfant du conjoint de même sexe, pas d’inscription dans les registres de l’état civil pour les enfants issus d’une gestation pour autrui (GPA), pas de congé parental pour la compagne pacsée d’une mère lesbienne… Les rares décisions favorables ont eu lieu uniquement lorsqu’il existait déjà un lien de filiation entre une personne homosexuelle et un enfant ou quand la première était détentrice de l’autorité parentale. Dans ce cas et au nom de l’intérêt de l’enfant, certains droits ont parfois été reconnus aux familles homoparentales.

Face à une justice récalcitrante, c’est donc au niveau du législateur que la reconnaissance des droits a pris forme : le Pacs en 1999, le « mariage pour tous » en 2013, la « PMA pour toutes » en 2021 et la reconnaissance de l’inscription de l’enfant né à l’étranger d’une GPA, par la même loi « bioéthique », en 2021.

 

Une tradition judiciaire libérale

La décision de la justice sud-coréenne s’inscrit dans une longue tradition judiciaire de nature libérale. La CEDH, dans l’affaire Dudgeon c./Royaume Uni (1981), a été la première instance internationale à statuer que les lois criminalisant l’orientation sexuelle violent les droits humains, notamment le droit au respect de la vie privée. Son arrêt révolutionnaire a conduit à la dépénalisation de l’homosexualité au Royaume-Uni, en Irlande du Nord et en Europe dans son ensemble.

Le fait que l’accomplissement d’actes homosexuels en privé puisse heurter, choquer ou inquiéter des personnes qui trouvent l’homosexualité immorale, ne saurait autoriser le recours à des sanctions pénales quand les partenaires sont des adultes consentants, selon les juges de Strasbourg. Il s’agit simplement de l’application du principe de « non-nuisance » qui trouve sa formulation classique dans l’essai On Liberty de John Stuart Mill (1859) pour défendre une sphère d’intimité de l’individu : « La seule raison légitime que puisse avoir une communauté civilisée pour user de la force contre un de ses membres est de l’empêcher de nuire aux autres » .

La jurisprudence de la CEDH fut suivie notamment par celle de la Cour constitutionnelle de la Colombie en 1996, celle de la Cour constitutionnelle sud-africaine en 1998 (National Coalition for Gay and Lesbian Equality v. Ministry of Justice), celle de la Cour suprême des États-Unis en 2003 (Lawrence v. Texas) ou encore celle des juges de la Cour suprême de Delhi en 2018.

C’est sur la base du respect de la vie privée, la privacy en anglais, que les juges ont considéré que le libre épanouissement de la personnalité passe par le respect de l’orientation sexuelle des personnes. C’est également sur cette base que l’adultère, la contraception, l’IVG et la pornographie furent dépénalisés.

 

L’autonomie de l’individu en relation

En traitant de l’autonomie de l’individu isolé (Right to be left alone), cette conception de la privacy fut considérée rapidement comme trop restrictive et elle n’a cessé d’évoluer vers une approche plus relationnelle où le droit de chacun à rechercher dans ses relations avec autrui les conditions de son libre épanouissement semble aussi fondamentale. La vie de couple apparait ainsi comme l’une des premières manifestations d’une vision élargie de la vie privée conçue désormais également comme autonomie relationnelle.

C’est sur cette base et en fonction du principe d’égalité devant la loi, que la Cour suprême des États-Unis s’est prononcée le 26 juin 2015 en faveur de la légalité du mariage gay sur l’ensemble du territoire (Obergefell v. Hodges). Ce fut également grâce à une décision du Tribunal suprême de 2010 que le Mexique a reconnu progressivement le mariage gay. Le 28 avril 2016, la Cour constitutionnelle de la Colombie met fin à des années d’incertitude juridique vécues par les couples homosexuels et réaffirme leurs droits en confirmant la validité du mariage homosexuel au nom des principes de liberté et d’égalité.

Sans aller jusqu’à reconnaître le droit au mariage, la CEDH considère que la relation stable qu’entretient un couple homosexuel relève de la notion de vie familiale, ainsi que de celle de vie privée, au même titre que celle d’un couple hétérosexuel. De la même manière, la Cour suprême du Brésil a reconnu l’union civile pour les couples homosexuels (2011) et deux ans plus tard le Conseil National de Justice a annoncé que les tribunaux qui célèbrent les mariages ne pourront pas refuser les unions entre personnes de même sexe.

Après avoir octroyé des droits sociaux et patrimoniaux aux couples homosexuels, la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) a considéré, au nom de la liberté de circulation, que le conjoint d’un ressortissant de l’Union européenne sera reconnu quel que soit le pays où le couple réside, et ce peu importe si celui-ci autorise le mariage ou l’union civile aux couples de même sexe. Dans la droite ligne de cet arrêt, les juges de la CJUE obligent également l’État à délivrer un document d’identité sur la base d’un acte de naissance européen pour un enfant issu d’une PMA dans un couple de femmes.

 

La fonction de juger

Depuis longtemps, la philosophie du droit analyse le rapport que le juge entretient avec les mentalités de la communauté au sein de laquelle il rend justice.

La société sud-coréenne demeure très conservatrice et les églises protestantes sont très mobilisées contre les droits LGBTI. Une conception conservatrice de la fonction de juger obligerait le juge à devoir traduire l’opinion majoritaire. Une autre compréhension de sa fonction (libérale constitutionnelle) verrait dans le juge l’interprète autorisé des libertés fondamentales y compris contre les valeurs dominantes et ceci afin de permettre le droit de chaque individu à son épanouissement personnel. La primauté de l’individu sur le collectif constitue le soubassement philosophique du raisonnement juridique.

Dans l’interprétation de la règle de droit, le juge sud-coréen a su prendre une décision en fonction des principes généraux du droit libéral comme le respect de la vie privée, l’autodétermination et la non-discrimination lui permettant ainsi d’articuler un système de protection de la « différence homosexuelle » sans passer par des politiques identitaires, en assurant de la sorte l’indifférence juridique à l’égard de l’orientation sexuelle des personnes et des couples.

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  • Un libéral est contre l’état providence, contre le mariage civil, donc la question du mariage homosexuel est sans objet. C’est le fait que l’état veut intervenir dans la vie privé que les problèmes apparaissent.
    Laissons les gens se marier comme ils veulent (ou pas) sans l’état. Le mariage homosexuel va dans le mauvais sens, c’est une extension de l’intervention étatique alors qu’il faudrait diminuer ses interventions.

    • Le mariage a une longue histoire. Dans notre civilisation, il remonte au moins à la Grèce antique. Il réglait déjà les histoires d’enfants, de patrimoine, d’héritage…
      Le mariage civil actuel remonte à la Révolution française – dont l’origine libérale me semble indiscutable – quand il a remplacé le mariage religieux.
      Supprimer le mariage est utopique. Supprimez le mariage civil et vous revenez au mariage religieux. Vous redonnez du pouvoir au prêtre, à l’imam…
      Vaste programme aurait dit De Gaulle.
      Drôle d’argument donc que le vôtre. Cependant ma bonne âme résiste à vous faire un procès d’intention. Auriez-vous un libéral célèbre à me proposer qui ait rejeté le mariage civil ?
      Parce qu’à ma connaissance, Bastiat, Hayek, Friedman, pour ne citer que les plus grands penseurs du libéralisme, se sont tous mariés…

    • @gillib tres juste . On se tient les côtes des lire ces « liberaux » réclamer des « droits à  » .

  • Deux personnes doivent avoir exactement les mêmes droits et devoirs qu’elles soient en couple ou non.

    • Et si elles sont en couple, les mêmes quel que soit la nature du couple.

      • Oui: L e devoir de respecter le contrat qu’elles ont signé. Mais ce n’est pas à l’Etat de dire ce que le contrat doit contenir. Tout au plus l’Etat peut il dire le genre de clauses qu’il ne fera pas respecter de force si une des deux partie faillit à la remplir (genre « je m’engage à me couper un bras en cas d’infidélité »).

    • Y compris les mêmes « devoirs » fiscaux ? Les célibataires gagnant correctement leur vie ont toujours été les vaches à lait de l’Etat…

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