Un article de Conflits
Le premier tour de l’élection présidentielle de la République tchèque a eu lieu le 13 et 14 janvier 2023. Si les pouvoirs du président de la République sont faibles dans ce pays, cette élection met en évidence des divisions. D’un côté se trouve Andrej Babis, l’ancien Premier ministre centriste considéré comme populiste, de l’autre Petr Pavel, l’ancien chef des armées de la République tchèque et ancien président du comité militaire de l’OTAN. Second tour à la fin du mois.
Ainsi, en matière de politique étrangère et sur les questions européennes, les candidats ont un profil différent. Bien qu’il soit probable que les problèmes liés aux relations internationales ne soient pas le seul déterminant des votes, cette élection montre une tendance. Compte tenu de la position de la République tchèque, cette situation est un indicateur de la situation dans laquelle se trouve l’Europe centrale.
Entre atlantisme et populisme d’Europe centrale
Les deux candidats du second tour envoient des messages différents.
En tant qu’ancien haut militaire de l’OTAN, Petr Pavel envoie une image d’une République tchèque tournée vers l’Alliance nord-atlantique et l’Ouest. Son programme laisse une large place aux problèmes internationaux. Il est partisan de l’aide à l’Ukraine (y compris les livraisons d’armes), des sanctions contre la Russie et de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Concernant la politique interne, Pavel voit la Scandinavie (comme le Danemark) comme modèle.
Andrej Babis est quant à lui plus ambigu. Officiellement, son parti ANO 2011 (qu’il a créé) est membre du groupe européen Renew Europe dans lequel se trouve aussi La République en marche. Le président Macron a d’ailleurs reçu Andrej Babis la semaine précédant l’élection tchèque. De plus, la commissaire européenne tchèque Věra Jourová, affectée à la transparence et à l’État de droit, est membre d’ANO 2011 et n’hésite pas à critiquer la Hongrie et la Pologne. Néanmoins, le mandat de Premier ministre de Babis révèle une réalité plus nuancée. Les relations entre la République tchèque de Babis et la Hongrie d’Orban et la Pologne de Droit et Justice ont été marquées par de la coopération. Tout particulièrement sur la question de l’opposition aux quotas de migrants.
Si le gouvernement Babis a expulsé des diplomates russes suite à une dispute diplomatique en 2017 liée à l’explosion d’un dépôt en République tchèque, il est parfois vu depuis l’Ouest et les États-Unis comme étant trop timoré face à la Russie de Poutine. Son opposition aux sanctions contre la Russie suite à l’annexion de la Crimée a contribué à cette image. Le fait que son entreprise agricole ait des liens avec Gazprom a aussi soulevé des questions.
Cette opposition n’est toutefois pas surprenante et montre une division qui est présente dans la population tchèque et plus généralement en Europe centrale.
La République tchèque, entre occidentalisme et particularisme d’Europe centrale
L’opinion publique était déjà connue pour être divisée et ce tout particulièrement sur les questions de politiques internationales. En 2022, des manifestations anti-OTAN et anti-UE ont eu lieu à la suite de la hausse du coût de la vie. Mais dans le même temps, des contre-manifestations se sont déroulées en faveur de l’Ukraine, de l’OTAN et de l’UE.
Cette division n’est pas nouvelle. Le think tank slovaque GLOBSEC étudie les opinions publiques des pays d’Europe centrale. Il ressort de cette étude qu’en 2022 si 56 % des Tchèques se considèrent comme Occidentaux, 38 % se considèrent comme culturellement entre l’Ouest et l’Est (incarné par la Russie). Le conflit ukrainien a néanmoins eu un effet en faveur de l’image de l’Occident : en 2021, seuls 33 % des Tchèques se considéraient Occidentaux contre 58 % entre l’Ouest et l’Est.
La Russie est pour autant considérée comme une menace par 84 % de la population, ce qui n’a pas toujours été le cas. En 2021, seulement 43 % considéraient Moscou comme un danger. De plus, à cette même époque, 38 % estimaient que l’OTAN provoquait la Russie contre 42 % qui estimaient que c’était Moscou la provocatrice. 59 % des Tchèques considéraient même que la Russie était une victime de l’Ouest.
Ces données montrent que si l’opinion tchèque a changé à la suite de l’électrochoc de février 2022, cette méfiance vis-à -vis de la Russie n’est pas acquise et est moins profonde que celle qui existe par exemple en Pologne.
Finalement, c’est cette division que l’on retrouve avec l’opposition Pavel/Babis. Celle-ci se confirme avec l’analyse du report des voix des électeurs qui s’est opérée entre l’élection législative de 2021 et le premier tour de la présidentielle en 2023. Les électeurs des partis au pouvoir (la coalition de centre droit SPOLUS, et le parti pirate de centre gauche) pro-occidentaux et pro-UE se sont reportés massivement sur Pavel. Babis a lui pu compter non seulement sur les électeurs de son parti, mais aussi sur la majorité de ceux du SPD, le parti nationaliste tchèque (qui pourtant avait présenté un candidat à la présidentielle). Aussi, Babis a pu compter sur un report de 10 % des abstentionnistes de l’élection législative.
De ce fait, celui qui gagnera le second tour devra faire face à une opposition forte. En cela l’ombre du conflit ukrainien renforce les tensions internes qui préexistaient.
—
Oui, et Pavel a gagné largement. Il arrive que des candidats pro-russes soient élus ici ou là à la présidence, mais lorsque le scrutin est centré sur les idées et les programmes, le vrai choix est souvent différent. C’était le cas Tchéquie, ce n’est plus vrai. C’est le cas en Croatie et en Bulgarie. Par ailleurs, les partis pro-russes n’ont guère de succès ces temps-ci, et au sein de l’extrême droite, ce sont les pro-ukrainiens qui l’emportent (Italie, pays scandinaves et ibériques, la France et l’Allemagne font exception). Dès lors la conclusion de l’auteur est mal ciblée, le gouvernement chèque est fortement consolidé par la dernière consultation.