Les banques centrales ne font pas de cadeaux

Maintenant que l’inflation semble montrer des signes de ralentissement, la question concernant la hausse des taux directeurs est la suivante : stop ou encore ?

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Les banques centrales ne font pas de cadeaux

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 20 décembre 2022
- A +

Au cours des neuf derniers mois, Jerome Powell (président de la Fed, la banque centrale américaine) a monté les taux d’intérêt de la façon la plus rapide depuis les années 1980. En effet, l’inflation atteignant les niveaux les plus élevés depuis 40 ans, les officiels de la Fed étaient unanimes sur le fait qu’ils devaient monter les taux de manière agressive. Ce fût la première étape, de loin la plus facile.

Car maintenant que l’inflation semble montrer des signes de ralentissement, la question concernant la hausse des taux directeurs est la suivante : stop ou encore ?

 

Pour Joseph Stiglitz, c’est stop

Dans une tribune du think tank Roosevelt Institute « All Pain and No Gain from Higher Interest Rates » et traduite dans Les Échos sous le titre : « Hausse des taux : une souffrance inutile », le Nobel d’économie déclare que la lutte contre l’inflation à travers les hausses de taux va provoquer une récession et accentuer les inégalités en fragilisant les plus pauvres avec l’augmentation du chômage. Le remède serait donc pire que le mal. D’autant plus que, selon l’économiste, l’inflation ralentit déjà.

En effet, les derniers chiffres publiés pourraient laisser penser que le pic d’inflation serait atteint, l’indice des prix à la consommation s’établissant à 7,1 % en novembre.

Stiglitz pense que Powell fait une mauvaise analyse des causes de l’inflation, due selon l’économiste à plusieurs chocs d’offres successifs (covid, conflit en Ukraine…). Mais au lieu de chercher à résoudre les goulets d’étranglements, Powell « cogne partout dans l’économie » en voulant faire diminuer la demande :

« Un niveau plus élevé de taux d’intérêt fera-t-il augmenter l’offre de puces électroniques automobiles, ou l’offre de pétrole ? Fera-t-il baisser les prix des produits alimentaires […] ? Évidemment, non. Au contraire, des taux d’intérêt plus élevés rendent encore plus difficile la mobilisation des investissements susceptibles d’atténuer les pénuries d’offres. »

Stiglitz soulève un point intéressant. En effet, si la Fed pense que l’inflation vient d’une inadéquation entre offre et demande, deux approches s’offrent à elle :

  1. Augmenter l’offre grâce à l’investissement productif.
  2. Réduire la demande via une baisse des revenus, du pouvoir d’achat et donc des conditions de vie.

 

La Fed a fait le choix numéro deux car si elle voulait augmenter l’offre elle réduirait les taux d’intérêt. Or, en augmentant les taux, elle souhaite faire baisser les marchés des actions et de l’immobilier afin que les Américains se sentent moins riches, qu’ils achètent moins et que les prix arrêtent de monter. Au vu de l’évolution de l’indice de confiance du consommateur Michigan, les Américains ont déjà le moral dans les chaussettes (ce qui est indicateur de récession).

Et cela ne risque pas de s’arranger (au grand dam de Joseph Stiglitz) si l’on en croît la présidente de la Fed de Kansas City, Esther George, qui pense que le ralentissement de l’inflation doit passer par une récession. Principale raison invoquée selon elle : la force du marché de l’emploi qui ne cale toujours pas. Il y a donc fort à parier que la « souffrance inutile » va continuer.

La Banque centrale européenne n’est pas en reste. Pour sa dernière réunion de l’année, elle a envoyé un message très clair : le combat contre l’inflation est loin d’être terminé et les taux d’intérêt devraient encore augmenter sensiblement à un rythme soutenu. Ainsi, Lagarde marche dans les pas de Powell, marchant lui-même dans les pas de son lointain prédécesseur Volcker.

Au final, si les banquiers centraux adoptent une position dure sur l’évolution des politiques monétaires c’est parce qu’ils n’ont pas vu venir l’inflation en la qualifiant durant trop longtemps de « transitoire ». Après ce diagnostic erroné, ils préfèrent donc en faire trop que pas assez dans le resserrement monétaire afin de ne pas subir de nouvelles critiques (comme par exemple le fait que l’inflation résulte également d’une création monétaire très élevée avec l’expansion massive de la taille de leurs bilans, qu’ils cherchent désormais à réduire).

Mais chut ! Cela risquerait de leur gâcher les fêtes…

Voir les commentaires (7)

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  • Avatar
    The Real Franky Bee
    20 décembre 2022 at 8 h 22 min

    C’est peut-être parce qu’à 5-6% d’inflation, cette dernière est bien au-delà de sa cible. Et que prendre le risque de la laisser de nouveau filer, ce serait mettre en péril une crédibilité déjà bien entachée par des années de laxisme et des mois de déni. Il y a un gros ajustement économique et financier nécessaire en Occident après trois décennies de non-politique économique et de taux d’intérêt en chute libre, et manifestement certains banquiers centraux ont fini par capituler devant cette évidence. Mais bon, ce n’est clairement pas ce qu’espéraient tout ceux qui pensaient que cryptos, actions pourries, et immobilier sur-valorisé allait continuer de monter au ciel par l’opération du Saint-Esprit. Et ce n’était évidemment pas le plan de tous ces politiques dont le seul levier est la dépense publique à fonds perdus. À ce que je sache, Keynes n’a jamais écrit que la mission d’une banque centrale était de se substituer aux forces productives et de les rendre dépendantes tels des accros à l’héroïne. Le capitalisme fonctionne sur la base de l’intérêt, détruisez la valeur de l’argent, et vous avez une économie qui se délite. La seule différence entre la BCE et la Fed, est que cette dernière est dans une position beaucoup plus confortable pour tenter de piloter l’ajustement. Et puis bon, ses dirigeants ont déjà vendu toutes leurs actions au plus haut du S&P 500 alors qu’importe…

  • Les banques centrales sont loin d’être les seules coupables. Surtout, elles n’ont pas le choix que l’on prétend leur accorder. Les gouvernements ont habilement (?) cassé et caché le thermomètre, et font assaut de distributions d’helicopter money qui boostent l’inflation mais paraissent dans leurs chiffres truqués la réduire (cf. les boucliers tarifaires si populaires dans les pays européens ou le plan climat US). Si les banques centrales se relâchent, ce qui est arrivé avec les emprunts anglais en octobre paraîtra une amusette en comparaison.

  • Des points que je n’ai pas saisi.
    -Pourquoi un taux élevé de la FED augmenterait les inégalités? Les prêts profitent bien plus aux riches qu’aux pauvres, qui sont d’ailleurs plus touchés par l’inflation aussi.
    -Il me semblait que l’objectif de l’inflation était de 2%. Donc ne faut il pas augmenter le taux jusqu’à ce que ces 2% soient atteints?
    -Donner plus d’argent n’est en rien une garantie d’investissements productifs. En fait plus il y a d’argent, moins en proportion les investissements sont productifs. Alors que l’inflation augmente, car les biens sont détournés vers des investissements non productifs.
    -La FED ne peut que produire de la monnaie, pas des biens. La monnaie représente des biens, en créant de l’argent elle détourne des fonds vers des investissements dont la performance est d’autant plus faible que son taux. Pourquoi c’est elle qui doit faire cet arbitrage?

    • C’est même précisément l’inverse qui se produit. Les dernières années ont montré que les taux de plus en plus bas favorisent les inégalités de patrimoine et la mort des classes moyennes, par le biais d’une spéculation incontrôlée sur les actifs financiers et immobiliers. Si l’on prend l’exemple de la pierre, personne ne semble vouloir comprendre que les taux zéro n’aident pas le pouvoir d’achat des ménages. C’est même tout le contraire, celui-ci n’ayant jamais été aussi bas.

      • Nous n’avons pas les mêmes lunettes ….les classes moyennes endettées, si elles ont empruntées à taux fixe sur une longue période seront les gagnantes en remboursant avec de la monnaie de singe ( comme dans les années 70 ) celles qui ont prix des taux variables subiront le sort des américains avec les surprîmes .. les plus grand perdants seront les contribuables des pays endettés , quand (comme la France) l’ Etat roulera sa dette ….A ce petit jeu, les pays les moins endettés seront les gagnants puisque la compétitivité finale dépend de la moins mauvaise gestion publique… sauf que le résultat final dépendra aussi de l’efficacité de la dépense publique ( comme toujours) qui dépendra elle même des choix économiques stratégiques de s gens au pouvoir ET de la capacité à lUE d’imposer aux américains, chinois et autres leurs visions du monde :vaste débat…

    • C’est à la banque centrale de faire l’arbitrage (fixer le niveau d’écrémage) parce que c’est elle qui décide des taux.

      • Sauf que sa politique va avoir des conséquences différentes selon les pays de l UE; de toutes façons,tout a commence avec Balladur /vouloir adhérer à une monnaie unique sans en tirer les conséquences brutales d’économies financières pour la France était une erreur ;surtout quand à partir de Jospin tous les partis ont dépensé plus que nous ne pouvions. … l’inflation actuelle résulte à la fois du conjoncturel et du structurel

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