6 choses qu’on ignore sur le Frankenstein de Mary Shelley

Le chef-d’œuvre de Shelley, « Frankenstein ou le Prométhée moderne », ne ressemble en rien à ce que l’on attendait.

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6 choses qu’on ignore sur le Frankenstein de Mary Shelley

Publié le 19 novembre 2022
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Par Jon Miltimore.

 

Frankenstein est l’une de ces histoires dont on entend parler durant l’enfance sans pouvoir se rappeler dans quelles circonstances. Quoi qu’il en soit, c’est mon cas.

Nous savons que le monstre est grand et vert, qu’il a une tête carrée et des cicatrices. Nous savons qu’il était mort et a été ramené à la vie par un médecin fou. Nous pressentons qu’il n’est pas exactement mauvais mais incompris. Du moins, c’est ce dont je me souviens.

Voyez-vous, je n’ai lu pour la première fois le roman effrayant de Mary Shelley qu’il y a quelques semaines. Je n’avais pas non plus vu le film classique Frankenstein de James Whale (1931), avec le légendaire Boris Karloff, ni d’ailleurs aucun autre film sur Frankenstein. J’ai depuis regardé l’adaptation sombre de Kenneth Branagh, Mary Shelley’s Frankenstein.

Le fait que je n’aie jamais lu l’excellent livre de Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne, est une source d’embarras pour moi car je me considère comme un étudiant en littérature de premier et de deuxième cycle.

Ayant finalement lu le livre, voici six choses que j’ai apprises.

 

1. Il n’y a pas d’Igor

En lisant l’œuvre de Shelley, j’attendais toujours l’apparition d’Igor. L’une des rares choses que je savais, c’est que le docteur Victor Frankenstein a un assistant bossu à l’allure étrange, Igor, qu’il dirige lorsqu’il élabore sa création dans son laboratoire. Mais au début de l’histoire le monstre prend vie, Frankenstein s’enfuit et il n’est pas question d’un dénommé Igor.

Je me suis dit que j’avais peut-être raté quelque chose. Après tout, Shelley passe rapidement (une page ou deux) sur la création du monstre. Je suis retourné la lire. Non, pas d’Igor. J’ai pensé qu’il apparaîtrait plus tard dans un flash-back ou dans la tentative de Frankenstein de créer un nouveau monstre. Mais non, pas d’Igor.

En fait, point d’Igor dans la version Boris Karloff de Frankenstein ni dans la version de Branagh en 1994. Apparemment, ce n’est que dans le film de 1939, Le Fils de Frankenstein, qu’apparaît un assistant nommé Ygor, dont le nom a ensuite été changé en Igor dans les films ultérieurs (il y avait bien un assistant dans les deux premiers films Frankenstein mais il se prénommait Fritz et s’inspirait de pièces de théâtre du XIXe siècle).

 

2. Mary Wollstonecraft est morte en donnant naissance à Mary Shelley

J’étais tellement gêné de ne pas le savoir que j’ai failli ne pas en parler. Mary Shelley était la fille de la célèbre philosophe britannique et militante des droits de la femme Mary Wollstonecraft, morte en lui donnant naissance.

Apparemment, le placenta s’est rompu pendant l’accouchement. Une infection s’est développée et la célèbre féministe libertarienne est morte de septicémie le 10 septembre 1797.

Wollstonecraft n’a donc pas pu apprendre que sa fille deviendrait l’une des romancières les plus célèbres de tous les temps. Cela me rend un peu triste. Quelque chose me dit qu’elle aurait été fière.

 

3. Contre la peine de mort

D’accord, je l’admets. Je n’ai aucune idée de ce que Shelley pensait réellement de la peine de mort. Mais l’exemple de la peine capitale donné dans le roman n’est pas vraiment un éloge de cette politique. Après que Frankenstein a créé son Monstre, nous apprenons que son jeune frère William – qui n’est qu’un enfant – est tué alors qu’il jouait dans la forêt.

Frankenstein a des doutes sur l’identité de l’auteur de cet acte ignoble, mais ce qui suit est tout aussi glaçant que le reste du livre de Shelley. Alors que William est introuvable, une équipe est envoyée à sa recherche. Sa nounou Justine, membre adoptif de la famille Frankenstein, découvre un médaillon appartenant à William mais aucune trace de son corps. Lorsque celui-ci est découvert plus tard et que Justine est trouvée en possession du médaillon, elle est accusée de la mort de William, déclarée coupable sur la base des preuves les plus minces et rapidement pendue.

 

4. Shelley a conçu l’histoire après un cauchemar, à l’âge de 18 ans

L’une des parties les plus intéressantes de Frankenstein est l’histoire de ce livre.

Imaginez que vous avez 18 ans et que vous traînez dans la propriété de Lord Byron à Genève, en Suisse. C’est exactement ce que faisait Mary Shelley au cours de l’été 1816, peu après s’être enfuie en Italie avec Percy Shelley (un homme marié) alors qu’elle n’avait que 16 ans.

Un soir, à l’occasion d’une sortie, Lord Byron a proposé que chacune des quatre personnes présentes « écrive une histoire de fantômes ». Chaque matin, on lui demandait : « Avez-vous pensé à une histoire ? » Chaque matin, Shelley était obligée de répondre honteusement par la négative.

Finalement, une nuit, alors qu’elle luttait pour dormir, son imagination a pris le dessus.

J’ai vu – les yeux fermés mais avec une vision mentale aiguë – j’ai vu le pâle étudiant des arts inavouables agenouillé à côté de la chose qu’il avait assemblée. J’ai vu le fantôme hideux d’un homme étendu, puis, sous l’action de quelque puissant moteur, donnant des signes de vie et s’agitant avec un mouvement maladroit, à moitié vivant. Toute tentative humaine d’imiter le stupéfiant mécanisme du Créateur du monde serait effrayante. Son succès terrifierait l’artiste ; il se précipiterait loin de son odieux ouvrage, épouvanté.

Frankenstein et son monstre étaient nés.

 

5. Le monstre n’est pas sympathique et Frankenstein n’est pas le méchant

Il existe une idée selon laquelle le monstre de Frankenstein est une créature douce, stupide et incomprise.

Selon l’interprétation moderne, il n’était pas vraiment le méchant et j’ai toujours supposé que c’était vrai, sans avoir lu l’histoire. Les films que j’ai vus du monstre de Frankenstein – comme Monster Squad (1987) et Van Helsing (2004) – le montraient sous un jour sympathique et c’est un peu l’impression que j’avais de la créature interprétée par Boris Karloff.

Ce n’est pas l’impression que j’ai eue du Monstre de Shelley. Pas du tout. Tout d’abord, il n’est pas stupide. Il raconte son histoire sur plusieurs chapitres et on se rend vite compte qu’il est très instruit (il lit Plutarque !). Il ne marmonne pas comme un enfant ou Simple Jack, il parle avec éloquence. Il est doué de raison.

Le Monstre est cependant colérique parce qu’il est différent. Il est laid. Il n’a rien ni personne.

« Je ne possédais ni argent, ni amis, ni aucune sorte de propriété », explique-t-il à Victor.

En fait, même son créateur le méprise.

« Moi, le misérable et l’abandonné, je suis un avortement, un objet qu’on cache, qu’on frappe et qu’on piétine », explique le Monstre vers la fin du livre.

C’est sans doute la raison pour laquelle certains ont interprété le Monstre sous un jour sympathique. Et à certains égards, il est effectivement un personnage sympathique. Nous le voyons observer une famille de villageois pauvres et découvrir qu’il n’est pas leur semblable.

« J’admirais la vertu et les bons sentiments, j’aimais les manières douces et les qualités aimables de mes concitoyens, mais j’étais privé de tout rapport social, sauf par des moyens discrets me rendant invisible et inconnu et qui augmentaient plutôt que satisfaisaient le désir que j’avais de devenir un de mes semblables. »

Nous voyons le Monstre plaider auprès de Victor pour qu’il lui crée une compagne.

« Je suis seul et misérable, un homme ne veut pas s’associer à moi, mais une femme aussi difforme et horrible que moi ne se refuserait pas à moi », dit-il à Victor. « Ma compagne doit être de la même espèce et avoir les mêmes défauts. Cet être, tu dois le créer. »

Les lecteurs peuvent s’identifier à la détresse du Monstre. Après tout, qui d’entre nous souhaiterait passer sa vie seul ? Le problème est que, comme je l’ai noté, la créature est douée de raison. Elle sait distinguer le bien du mal. Le bien et le mal. Et tout au long du roman, elle commet acte mauvais après acte mauvais, avouant même à Victor, avoir tué William.

« Mon garçon, tu ne reverras jamais ton père », dit le Monstre à l’enfant, « tu dois venir avec moi ».

Victor Frankenstein n’est pas le méchant de l’histoire. Ses erreurs sont bien plus humaines. Elles proviennent des conséquences involontaires de sa création et de la peur qui l’empêche d’aborder et de confesser son erreur pendant la majeure partie du roman.

Les actes de la créature sont beaucoup plus monstrueux et ne sont pas commis par un être maladroit, stupide et puéril mais par un monstre intelligent et égoïste.

 

6. Le monstre de Frankenstein est une métaphore de l’État

Je ne sais absolument pas si Shelley l’a vu mais son histoire est une merveilleuse métaphore de l’État.

En utilisant le pouvoir de la science moderne, le docteur Frankenstein crée un monstre puissant et réalise rapidement qu’il ne peut pas le contrôler. Les motifs de Frankenstein sont purs lorsqu’il donne vie à la créature, mais le Monstre a une vie propre et une série de funestes conséquences s’ensuivent. Le plus effrayant c’est que Frankenstein se rend compte qu’il ne peut pas détruire sa création. Si ce n’est pas une métaphore de l’État, je ne sais pas ce que c’est.

Comme je l’ai dit, il n’est pas certain que Shelley ait vu les choses de cette façon, mais certains éléments vont dans ce sens. Au chapitre 4, Victor laisse entendre que c’est la poursuite de sciences « illégales » qui a égaré les Hommes à travers l’histoire et porté atteinte à la paix.

Si cette règle était toujours observée ; si aucun homme ne permettait à qui que ce soit de nuire à la tranquillité de ses affections domestiques, la Grèce n’aurait pas été asservie ; César aurait épargné son pays ; l’Amérique aurait été découverte plus progressivement ; et les empires du Mexique et du Pérou n’auraient pas été détruits.

Peu de choses interfèrent davantage avec la paix, la tranquillité ou nos affaires domestiques que l’État, ce qui constitue une raison supplémentaire pour que je considère le roman de Shelley comme une mise en garde adressée aux bâtisseurs potentiels de Babel.

La morale de l’histoire est claire : faites attention à ce que vous créez en utilisant des moyens peu scrupuleux ou non naturels. Votre création peut se développer au-delà de votre contrôle et vous causer de grandes souffrances.

 

Traduction Contrepoints

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  • Quelle bonne idée que cet article sur le roman de Mary Shelley, le parallèle avec l’état est intéressant, j’en était resté à l’analyse scolaire du blasphème de l’homme et sa science qui se prend pour Dieu. Je vais le relire.

  • 3Franenstein » est un livre passionnant et l’analyse qui en est faite ici est très intéressante.

  • Les commentaires sont fermés.

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