Journée mondiale pour le droit de mourir dans la dignité

L’histoire juridique de la fin de vie en France montre bien que la question n’a jamais été traitée comme celle d’une liberté protégée par l’État mais comme d’un acte médical de compassion.

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Journée mondiale pour le droit de mourir dans la dignité

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 2 novembre 2022
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Le 2 novembre se célèbre la journée mondiale pour le droit de mourir dans la dignité.

En réalité la périphrase désigne l’euthanasie ou le suicide assisté. Le climat politique illibéral dans lequel baigne la France rend difficile l’affirmation de choisir sa mort. Pourtant, la philosophie classique proposait une herméneutique de l’existence articulée autour de la mort.

Pour Socrate, savoir vivre impliquait savoir mourir et la philosophie n’est autre chose qu’une « pratique de la mort » (mélétè thanathou) : mourir dans le corps pour naître dans la pensée. La Grèce antique, qui n’avait pas peur de désigner clairement la réalité, voyait dans la kallos thanatos, la mort noble, un idéal de vie, tout comme les Romains : Bene autem mori est effugere male vivendi periculum (bien mourir, c’est échapper au danger de mal vivre), affirmait Sénèque : «  je choisis moi-même mon bateau quand je m’embarque et la maison où je vais habiter ; j’ai le même droit de choisir le genre de mort, par où je vais sortir de la vie » (Lettres à Lucillus). 

 

Qu’indique la pensée libérale sur le droit de mourir dans la dignité ?

La pensée libérale reprend cette tradition en laissant l’individu libre de choisir sa mort. L’État est conçu comme une protection de l’individu contre autrui. John Stuart Mill affirmait que « en ce temps de progrès des affaires humaines , il faut que l’individu conteste les règles provenant de l’extérieur, se décide par lui-même, au point que personne n’est en droit de lui prescrire des normes, y compris pour l’empêcher de se faire tort à lui-même ». Chacun devant « poursuivre son propre bien selon sa propre voie », en se retenant de léser autrui, il en découle que « toute restriction en tant que telle est un mal » (On Liberty, 1859).

La tradition judéo-chrétienne refuse de voir une distinction entre euthanasie et homicide. Selon le catéchisme de l’Église catholique :

« L’euthanasie volontaire, quels qu’en soient les formes et les motifs, constitue un meurtre. Elle est gravement contraire à la dignité de la personne humaine et au respect du Dieu vivant, son Créateur ».

Toutefois, depuis Pie XII l’acceptation, voire l’encouragement des soins palliatifs par l’Église est venue nuancer la condamnation théologique et donner une dimension compassionnelle à la question de la fin de vie. C’est dans cette tradition de commisération que furent adoptés en France les principaux textes depuis la circulaire du 26 août 1986 relative à « l’organisation des soins et à l’accompagnement des malades en phase terminale » et plus tard la loi du 9 juin 1999 « visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs » jusqu’à la loi du 2 février 2016 en passant par la loi Kouchner de 2002 et loi Leonetti de 2005.

 

Respecter la vie ou respecter la volonté de mourir

L’esprit de tous ces textes pourrait se résumer comme suit : mieux vaut respecter la vie du patient plutôt que sa volonté de mourir.

Il s’agit cependant de deux questions distinctes. En tant qu’actes médicaux visant à soulager la douleur, à apaiser la souffrance et à soutenir le malade et son entourage, les soins palliatifs constituent un droit nécessaire mais pas suffisant. La réalité démontre que le développement des soins palliatifs y compris la sédation profonde ne mettent pas fin à la demande sociale d’aide active à mourir. L’un n’exclut pas l’autre et seule l’euthanasie et surtout le suicide assisté (sans pressions ou influences externes) garantissent l’autodétermination et la souveraineté individuelles à condition que le patient puisse choisir également les soins palliatifs en toute liberté1.

L’histoire juridique de la fin de vie en France montre bien que la question n’a jamais été traitée comme celle d’une liberté protégée par l’État mais comme d’un acte médical de compassion.

C’est effectivement dans ce climat d’émotion populaire provoquée par certaines affaires très médiatisées (Chantal Sébire, Vincent Humbert, ou encore Vincent Lambert) que le politique a réagi en mobilisant son magistère d’experts agrées : Commission de réflexion sur la fin de vie, sous la direction du Pr Didier Sicard, avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) sur la Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir (avis n° 63 et n° 121), Conférence de citoyens, Espaces régionaux de réflexion éthique, Rapport sur le débat public concernant la fin de vie du CCNE, État généraux de la bioéthique, etc.

François Hollande avait même fait de « l’assistance médicalisée de la mort » une promesse électorale jamais tenue. Alors que 94 % des Français approuvent le recours à l’euthanasie et 89 % sont favorables au suicide assisté, alors que le président Macron s’est dit personnellement favorable à l’euthanasie et que le CCNE ouvre la voie à une aide active à mourir2, alors que nos voisins belges, suisses, italiens, luxembourgeois, espagnols, anglais, autrichiens disposent déjà du droit de l’aide médicale à mourir, la France peine à proposer un nouveau cadre légal et ceci malgré le fait que plusieurs parlementaires avaient déposé le 19 janvier 2021 une proposition de loi n° 3755 « visant à affirmer le libre choix de la fin de vie et à assurer un accès universel aux soins palliatifs en France », largement soutenue de manière transpartisane.

Les bonnes intentions politiques et expertales relèvent plus du paternalisme et du dolorisme que de la recherche d’une solution émancipatrice respectueuse de l’autonomie du malade. L’État libéral est celui qui permet à l’individu de choisir librement et de manière éclairée (selon ses convictions personnelles, sa situation sanitaire, sa tolérance à la souffrance, sa perte d’autonomie, etc.) en garantissant son droit de mourir naturellement, d’accéder aux soins palliatifs à l’hôpital ou à domicile et à la sédation profonde, de laisser des directives anticipées pour organiser la fin de vie mais aussi de disposer d’une aide active à mourir sous toutes ses formes ou de la refuser. Seul l’individu sait ce qui est digne pour lui et aucune autorité, en dehors de celle de sa conscience, peut lui imposer de subir une souffrance considérée insupportable.

  1. Il faut distinguer l’aide médicale à mourir, appelée aussi euthanasie active, de la cessation de traitement qui entraîne la mort, connue comme euthanasie passive. La cessation de traitement découle du droit de chaque individu de consentir ou non à des soins. On parle de suicide assisté lorsqu’un médecin fournit les substances létales à une personne, qui se les administre elle-même. L’aide médicale à mourir se distingue de cette situation en ce que l’acte doit être posé par un médecin et dans des conditions établies strictement par la loi par exemple lorsque la personne se trouve dans l’incapacité physique ou psychologique de le faire alors qu’elle avait effectué une demande explicite.
  2. CCNE, Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité, avis n° 139, 13 septembre 2022.
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  • ASSEZ de lois inutiles mais des actes et du respect. Mourir n’est pas un Droit mais c’est la Vie. Par contre, éviter de souffrir pour quitter ce monde, c’est un devoir régalien de protection du Citoyen et de SES oui SON bien

  • L’exemple de la Belgique est donné, où l’euthanasie sans consentement existe. Comme le dit l’article (puis l’oublie), il existe deux conceptions de l’euthanasie
    -La conception « soin », où le médecin donne ce « soin » car la mort vaut mieux que la vie. Comme le choix de d’arrêter une chimio car les études montrent qu’il est plus intéressant pour le patient d’arrêter.
    -La conception libérale. La personne est propriétaire de son corps, elle peut s’en débarrasser à tout moment car elle n’en veut plus. Parfois il lui faut de l’aide. Pensez alors au médecin comme un agent immobilier.
    En France, la discussion tourne exclusivement sur le premier concept. Il s’agit de savoir si le médecin peut (avec consentement si possible), donner la mort. D’où le CCNE, un organe anti libéral qui dit ce qui est moral et ce qui ne l’est pas. Dans l’autre concept, c’est simplement appliquer la DDHC. Remarquez que c’est contraire aux usages actuels, car on ne peut pas choisir le devenir de son corps après sa mort (seules l’enterrement/crémation en cimetière est autorisé, ne peut pas s’opposer à l’autopsie, don d’organe contrôlé plus par la famille/l’état etc…).
    Bref, tel qu’actuel, je suis contre l’euthanasie, car tous les projets ont pour but de réduire la propriété de mon corps.

  • Plusieurs remarques : vous faites bien de remarquer que quand on utilise des périphrases avec termes pompeux pour désigner quelque chose ici « droit de mourir dans la dignité » pour la légalisation de l’euthanasie et le suicide assisté, il y a forcément un loup cf .
    L’euthanasie et le suicide assisté sont effectivement l’ouverture de la légalisation du meurtre (dans le cas où un tiers est nécessaire) . On n’aide pas quelqu’un à mourir : on le tue , littéralement, à sa demande , certes . Je ne comprends pas que cela ne fasse pas tiquer à la levée d’un pareil interdit, aux dérives qui vont nécessairement suivre . Pour cela il suffit de lire le journal belge.
    Je suis par ailleurs toujours surprise que l’on mette dans la même loi ou sujet deux demandes : euthanasie de fin de vie et suicide assisté , alors que les problématiques sont tout à fait différentes .
    Donner la liste des pays qui le pratiquent est pour moi suspect et nullement un gage de confiance : le suivisme n’est pas une politique et encore moins chez les libéraux. Vous faites bien de souligner l’importance de proposer toutes les options : soins palliatifs, soulagement de la douleur, et sédation ou même soyons fous la mort par euthanasie , le problème est la situation de notre société : l’Etat n’est pas neutre c’est lui qui paye , les proches non plus , et le concerné en état de faiblesse totale , alors où est le respect de sa volonté en liberté ? Par ailleurs nos médecins aujourd’hui sont plus en demande de personnels que de loi pour éliminer les patients ….

  • L’utopie liberale consiste à penser l’homme, tous les hommes, toujours capables de « prendre pour lui même les meilleurs décisions » … Or nous savons tous que c’est faux … nous prenons tous, parfois, des décisions qui nous sont néfastes tout en étant persuadés que nous agissons avec justesse et justice.
    … … dans mon entourage proche, j’ai une personne violemment migraineuse – avant qu’on ne découvre un certain médicament salvateur, les crises duraient de 24 à 48 h, où elle geignait non stop « j’veux crever, j’veux crever ».
    Aurais je du la prendre au mot ?

    -3
    • Le libéralisme n’est pas une utopie, mais juste le respect de la Déclaration des Droits de l’homme, et avant-guerre (14-18) de nombreux pays étaient libéraux. L’état providence a été la ruse de l’état pour s’imposer dans toute la société, avec les résultats catastrophiques que l’on ne peut que constater aujourd’hui.
      Tout système qui nie la DDHC entraine une dystopie, dont le socialisme.
      Oui vous avez raison, les individus ne prennent pas toujours les bonnes décisions, mais les hommes politiques aussi, et d’après mon expérience c’est plus souvent le cas (pour ne pas dire majoritairement le cas).
      Quant à l’euthanasie, on va encore faire une loi qui va créer un monstre législatif, comme d’habitude, au lieu de laisser les soignants et les malades décider eux-mêmes.
      Que les procureurs poursuivent les soignants déviants (il y en a) et laissent tranquilles les autres.

      • @Gillib « monstre législatif » oui un de plus . L’état va encore mettre ses gros doigts boudinés entre les familles , les soignants et les patients . Alors qu’il serait urgent de ne rien faire en matière de législation .

    • L’ « utopie » libérale n’est pas de penser que l’on est toujours capable de prendre les meilleurs décisions pour soi.
      C’est de penser que l’on doit toujours être libre de prendre les décisions pour soi. Peut être seront elles moins bonnes, mais le libéralisme ne s’en préoccupe pas (bien que en général, ce soit mieux…)
      La demande de mourir est trop sérieuse pour y répondre sur le moment. Il faut qu’il y ait volonté répétée, à plusieurs reprises espacées, s’assurer que la personne est pleinement consciente. Cette personne a t elle écrit un document attestant qu’elle souhaite mourir à la prochaine crise si elle le demande? J’en doute…

      -1
    • Le propre des constructivistes c’est de se croire capable et fondé à penser à la place des autres

    • non…. pas prendre les « meilleures décisions » et pas « tous les hommes » ..l’humain responsable donc adulte.. et pas « capable »..
      ce n’est pas le point libéral..
      mais seul l un adulte est légitime à decider pour lui.. il assume ses conneries.. connerie est d’ailleurs subjectif..

    • « L’utopie liberale consiste à penser l’homme, tous les hommes, toujours capables de « prendre pour lui même les meilleurs décisions » »
      Si nous ne sommes pas à même de prendre les meilleures décisions pour nous même, en quoi les autres seraient-ils capables de mieux décider à notre place ? Sont-ils des dieux omniscients et omnipotents pour autrui alors même qu’ils sont incapables de prendre les meilleures décisions pour eux-mêmes ? Qui est cet autre qui doit prendre les décisions à notre place ? Qu’est-ce que tu qualifies de « meilleures décisions » ?

      La vision libérale des choses est de tout simplement prendre acte du fait que l’individu est la seule personne légitime pour prendre des décisions qui la concerne. « My body, my choice » comme disent les gauchistes. Le concept de « meilleures décisions » est subjectif et il est illogique conceptuellement de dire que les autres sont mieux à même de prendre des décisions à notre place. Ce sont eux aussi des individus irrationnels et imparfaits qui selon ta propre logique sont incapables de toujours prendre les « meilleures décisions » pour eux-mêmes. En quoi seraient-ils meilleurs ou légitime pour imposer leurs choix à autrui ?

      PS : Quand je parle des « autres », cela concerne aussi bien les individus pris isolément que des entités comme l’Etat qui n’est en réalité qu’une association d’individus tout aussi irrationnels qu’autrui.

  • 1. Point de vocabulaire : appeler « euthanasie passive » l’action – ou inaction – consistant à cesser les soins, pour en faire une simple variante par rapport à « l’euthanasie active », est trompeur. Ce que vous appelez ici euthanasie passive c’est ce qui est déjà dans la loi française et ce n’est pas une euthanasie, l’appeler ainsi est une manipulation (à mon sens très malhonnête) visant à faire penser qu’il n’y aurait qu’une légère variation de degré quand c’est la nature profonde de l’acte qui change.

    2.  » L’un n’exclut pas l’autre », et  » garanti(r) l’autodétermination et la souveraineté individuelles à condition que le patient puisse choisir également les soins palliatifs en toute liberté » : si, l’un exclut l’autre ; a fortiori en France ou le manque criant de moyens financiers orientera systématiquement les décisions dans un seul sens (tuer coûte beaucoup moins cher que dispenser des soins palliatifs de qualité). Et les exemples de nos voisins, belges notamment, montre à quel point la pression sociale va aussi dans le sens d’un « encouragement à mourir » (bande d’enquiquineurs improductifs) toujours plus prégnant.

    3. « le développement des soins palliatifs y compris la sédation profonde ne mettent pas fin à la demande sociale d’aide active à mourir ». Vous avez bien écrit « demande sociale », comme argument majeur pour une évolution de la législation française ! A deux doigts de faire la promotion d’un droit-créance sur un site libéral. Je m’avoue consterné.
    Car c’est bien le principal problème. Personne en France ne propose d’interdire le suicide dans une perspective où la doctrine catholique par exemple fonderait la loi ! Mais l’évolution demandée par certains c’est que les pouvoirs publics y coopèrent, l’organisent, voire l’administrent (au double sens, de gérer le système et de donner la mort). Et de plus, les médecins, pour lesquels l’optique de soigner est centrale, pour eux-mêmes, et pour la relation de confiance nécessaire qu’ils doivent pouvoir établir avec leurs patients.

    Bref. Même en admettant le choix de sa propre mort comme un droit-liberté (vision libérable entendable), l’euthanasie ne saurait être un droit-créance. Et la perspective m’en paraît par essence collectivisme, socialiste au sens le plus froid et inhumain possible.

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