Par Robert Jackman.
Liz Truss a-t-elle déjà tout gâché ?
Après un peu plus d’un mois d’exercice, la nouvelle Première ministre britannique se trouve en fâcheuse posture, avec une cote de popularité inférieure à celle de son prédécesseur. Vendredi, un nouveau rebondissement a eu lieu : Mme Truss a pris la décision dramatique de licencier le ministre le plus important de son cabinet, le chancelier de l’Échiquier Kwasi Kwarteng, dans le cadre d’une tentative de réinitialisation de son poste de Premier ministre. Mais il est peut-être trop tard.
Où est-ce que tout a mal tourné pour Truss ?
En Grande-Bretagne, il est de bon ton d’évoquer le tristement célèbre mini-budget du 23 septembre, dans lequel Mme Truss a marqué son arrivée par un ensemble soudain de réductions d’impôts non financées. Le mini-budget a peut-être effrayé les marchés, mais dit-il toute l’histoire ?
Les réductions d’impôts de Mme Truss et leurs retombées économiques trouvent leur origine dans la bataille pour la direction du parti conservateur cet été. Mme Truss et son rival Rishi Sunak sont entrés en lice en reconnaissant que la charge fiscale de la Grande-Bretagne était devenue trop élevée (35,5 % du PIB, un record en temps de paix). Ils n’étaient cependant pas d’accord sur la manière de remédier à cette situation.
La position de Sunak était que les réductions d’impôts ne pouvaient intervenir qu’après que la Grande-Bretagne ait réglé ses autres maux de tête économiques : réduire le déficit budgétaire et faire baisser l’inflation. Pour Mme Truss, c’est le contraire. Selon elle, le déficit de la Grande-Bretagne est le résultat de la performance économique anémique du pays, en partie causée par la lourdeur de la charge fiscale. Elle pense qu’il vaut mieux réduire les impôts maintenant et laisser le marché opérer sa magie.
Après avoir battu Sunak lors du vote des membres, Truss a rapidement mis son hypothèse en pratique. Mais si la plupart des prévisionnistes s’accordent à dire que son paquet de réductions d’impôts et d’aides à l’énergie (ce dernier devant coûter 150 milliards de livres sterling, soit près de 168 milliards de dollars, sur deux ans) contribuera à atténuer la récession immédiate, ils s’interrogent sur ce qu’il signifie pour notre stabilité fiscale. La plupart d’entre eux considèrent la « Trussonomics » comme une recette pour davantage d’emprunts et un risque accru de défaut de paiement.
L’Europe occidentale est confrontée aux mêmes difficultés
À la décharge de M. Truss, la Grande-Bretagne n’est pas le seul pays à faire face à cette énigme.
Dans toute l’Europe occidentale, les principales économies sont confrontées au problème du vieillissement de la population, de la hausse des taux d’intérêt et de l’addiction à la planche à billets. Alors qu’une grande partie du continent reste impressionnante de complaisance face à cette bombe à retardement, le gouvernement Truss a été le premier à choisir son levier particulier – la vieille solution reaganienne des réformes économiques du côté de l’offre.
À l’heure actuelle, les marchés sont nerveux car les rendements des obligations britanniques s’accélèrent beaucoup plus rapidement que ceux de la France, de l’Allemagne ou du Japon, ajoutant des milliards aux coûts d’emprunt déjà douloureux de la nation. Mais le tableau est exagéré par la nervosité des investisseurs frileux, dont peu prétendent savoir comment cela va se passer à long terme.
Mais les plus gros problèmes de Mme Truss sont d’ordre politique, avec une série de gaffes très médiatisées qui remettent en question son jugement.
Dix jours seulement après avoir annoncé qu’elle supprimerait le taux d’imposition plus élevé appliqué aux personnes gagnant plus de 150 000 livres sterling par an, Mme Truss a fait volte-face en concédant que cet impôt serait finalement maintenu.
Le limogeage de Kwarteng vendredi est le développement le plus dramatique à ce jour : il était un proche allié idéologique qui a maintenant l’honneur d’être le deuxième chancelier ayant le moins d’ancienneté. Lors d’une conférence de presse calamiteuse depuis Downing Street (ce qui n’est jamais bon signe en politique britannique), Mme Truss a insisté sur le fait que sa mission économique n’avait pas changé – même si certains de ses collègues spéculent sur son départ dans quelques semaines.
Truss était censée être une politicienne de conviction. Pourtant, depuis le peu de temps qu’elle est en poste, son administration n’a pas été en mesure d’équilibrer ses penchants idéologiques avec les réalités politiques plus banales, d’où la paralysie actuelle sur la question de savoir s’il faut augmenter les prestations sociales en fonction de l’inflation ou non, ou s’il faut assouplir les règles d’immigration pour stimuler la croissance. En renonçant à ses réductions d’impôts phares, elle a fait comprendre à ses adversaires au sein du Parti conservateur qu’elle était extrêmement faible.
Les réalités politiques ne sont pas simples
Comme je l’ai déjà dit, le parti conservateur britannique est de plus en plus favorable aux grosses dépenses, du moins pour certains groupes. Dans ces circonstances, gouverner en tant que conservateur favorable à un faible taux d’imposition est aussi difficile que de naviguer sur les faisceaux laser que l’on voit dans les films d’action.
Même avant vendredi, Truss était dans une position peu enviable : 30 points de retard sur le parti travailliste avant une élection (probable) en 2024. En d’autres termes, elle et son parti sont au bord de l’anéantissement électoral. La grande question, cependant, est de savoir si elle arrivera jusque-là.
Après avoir destitué trois Premiers ministres en exercice en six ans, le Parti conservateur s’est étrangement habitué à destituer ses dirigeants tout en conservant son pouvoir. Le problème est qu’il est impossible de savoir ce que les membres du parti veulent réellement.
Alors que nous entrons dans l’hiver, Truss pourrait bien être la dernière victime de cette énigme.
Traduction Contrepoints
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Beaucoup de cuistres raillent le Royaume-Uni et notamment le brexit alors même que le pays n’a jamais fait partie de l’euro. Aucun rapport donc, et comme vous le rappelez dans cet article, les commentateurs de la Pravda ferait bien de faire lien avec la politique budgétaire suicidaire de la France car il s’agit là de la fin du « quoi qu’il en coûte » dans le monde. Et que cela plaise ou non, les patrons du système actuel (i.e. les États-Unis) ne sont pas pressés de faire volte-face sur les taux d’intérêt malgré les gesticulations de Madame Warren, car ils bénéficient d’un dollar extrêmement fort et d’excédents de liquidités au niveau du système bancaire (donc pas de panique malgré les espoirs de « pivot » des traders du dimanche). En attendant, enfilez donc votre col roulé comme Bruno votre « protecteur », serrez-vous derrière le bouclier tarifaire/ligne Maginot, et dites-vous que « si, si, ça va bien se passer ».
Liz Truss est peut-être, malheureusement, en train d’échouer politiquement, mais en déduire un échec économique pour une politique qui n’a pas connu le moindre début de mise en oeuvre est exactement ce que souhaitent beaucoup, dont les Européens, et on ne peut y souscrire. Budgétairement, des réductions d’impôts ne seront JAMAIS financées. Il est évident qu’elles seront compensées par leurs effets, donc a posteriori. Sans aller jusqu’au complot, il est évident que les tenants de l’impôt, dans toute l’UE notamment, avaient trop à perdre pour ne pas chercher à discréditer Mme Truss.
Objection votre honneur ! Dans un budget – exercice annuel – on finance toujours les baisses d’impôts. Soit par la réduction des dépenses, soit par la dette.
Ce qui n’interdit pas de promettre le rasage gratuit, a posteriori. Mais c’est une autre histoire.
Truss a été sanctionnée par les marchés. Immédiatement. Chute de la livre, flambée des taux d’emprunt de l’Etat… Vous, vous pensez que les investisseurs sont des adeptes de la pression fiscale ? Et qu’ils cherchaient à discréditer une politique qui voulait la réduire ?
Financer par de la dette, ça n’est pas financer. Et ce ne sont pas les investisseurs qui se précipitent ou s’écartent des emprunts d’Etat et font ainsi monter ou descendre les monnaies. Seuls les investisseurs sont des adeptes de la baisse des impôts. Les dirigeants européens et autres socialistes ont des moyens d’influer sur les taux britanniques et le cours de la livre, et je prétends qu’ils les ont utilisés.
Ah mais, si on se déporte sur le terrain des croyances et de la liberté d’expression, je ne peux que vous assurer de mon plus profond respect.
J’aime beaucoup votre dernière réponse Monsieur Abon Neabcent.
Ce beau mélange de raisonnement circulaire saupoudré de complotisme est très indigeste effectivement : Annonçons une politique libérale et dérégulée–>Laissons faire les marchés sans les entraver–>çà DOIT marcher–>Mince les marchés n’apprécient pas notre politique–>Pourtant çà devrait marcher–>Mais qu’est ce qui peut bien clocher–>J’ai trouvé : Cela montre que les marchés sont biaisés–>On avait pas prévu çà une finance biaisée mince, la théorie ne dit pas çà–>C’est la preuve d’un complot des dirigeants européens qui veulent éradiquer le libéralisme économique
Eh oui ! La sanction du programme économique de Liz Truss est venue des marchés.
Si même eux ne croient pas au cercle vertueux de la baisse des impôts sur l’économie d’un pays, mais où va-t-on ma brave dame !?
Bien essayé, mais non. Le marché a sanctionné un budget absurde. Ne vous inquiétez pas, cela se profile aussi pour la France, malgré le bouclier tarifaire (ou ligne Maginot pour les intimes). Les US sont en train de sacrifier l’Europe, pour mieux piloter leur propre atterrissage économique. Message d’avertissement pour tous les naïfs qui pensent que les discours alarmistes sur la dette ne sont qu’une chimère.
Je ne crois pas. Si les marchés sanctionnaient tous les budgets absurdes, ça se saurait. Et surtout, les marchés se sont calmés quand les propositions sont devenues pas pour un sou moins absurdes, mais politiquement (socialistement) correctes.
« (Agefi-Dow Jones)–Jeremy Hunt a annoncé lundi que le taux de l’impôt sur les sociétés au Royaume-Uni passerait de 19% à 25%. Les banques devant déjà payer une surtaxe de 8% sur leurs bénéfices, leur taux d’imposition pourrait ainsi atteindre 33% ».
La finance est un système qui fonctionne sur le principe de la criticalité. « Jusqu’ici tout va bien » pour résumer. Mais le cas du UK qu’il y a des limites à ne pas pas franchir. Et mon petit doigt me dit que Bercy s’en moque totalement. Comme on dit l’important c’est pas la chute…
Peut-être… Mais je persiste à croire que c’est politiquement qu’elle a échoué, et que ça ne veut rien dire sur les baisses d’impôt, qui pourtant se retrouvent décrédibilisées pour un bail.
Ne passez-vous pas vos journées à décrédibiliser toute envie d’un modèle collectiviste et planifié par la simple évocation des échecs du communisme stalinien ou maoiste, qui sont avant tout des échecs politiques ?
Vous assimilez ad nauseam un modèle économique (communisme) et un modèle politique (dictature oligarchique sanguinaire).
Peut-être est-ce un juste retour des choses…