Le gouvernant a toujours été présomptueux, par nécessité. Il faut toujours présumer de ses forces si l’on a pour ambition de réaliser l’impossible : le bien vivre ensemble. Présomptueux, mais pas impétueux, le gouvernant n’avancera que s’il est fourbi de certitudes. Son allant sera donc conditionné à la conviction qu’il administre la bonne politique, ce que l’on peut aussi appeler la tentation du bien.
Le fantasme du risque maitrisable
Mais le gouvernant n’est pas complètement débile non plus.
Il suffit de quelques actes manqués pour qu’il comprenne très vite que l’avenir est taquin : il ne va pas toujours là où on l’attend. C’est ce que l’on appelle le risque. Qu’à cela ne tienne, le risque est un animal sauvage qui ne demande qu’à être domestiqué. En science on dira quantifié. Et ça marche. Ainsi, les sciences de la nature ont su emprunter aux mathématiques et au calcul des probabilités les outils nécessaires pour comprendre le langage de Tyché (déesse du hasard, du destin). Même la finance s’y mettra, faisant du risque la matière première principale de son activité.
Le politique ne pouvait pas rester à l’écart d’une telle percée de la connaissance sur notre ignorance, ainsi il s’empara aussi du concept de risque mesurable, pour en faire du risque maitrisable. Le risque devient une quantité comme une autre, qui s’additionne ou se soustrait, en fonction de la vigilance que l’on y accorde. La messe est dite, il suffit d’anticiper la catastrophe afin qu’elle ne se réalise pas.
La catastrophe incertaine
Et puis zut. Finalement, la catastrophe est plus taquine encore que le risque. Sa particularité, c’est qu’elle est imprévisible. Elle n’habite pas en statistique, mais en incertitude. Et l’incertain c’est bien plus malin que le risque. D’ailleurs, l’Homo sapiens sapiens fait bien la différence. Autant il est averse au risque mais il fait avec, autant il est averse à l’incertain et ça lui donne des boutons. L’incertain c’est la catastrophe qui se cache dans l’insignifiant, une petite erreur de mesure de l’expert qui aura des conséquences dramatiques sur le résultat de l’expérience. En physique, on appelle cela la sensibilité aux conditions initiales : imaginez un pet de mouche finissant par déclencher un Tsunami (moins populaire que l’effet papillon).
En économie, cela se traduit par des crises financières d’une ampleur inédite, mais qui auraient peut-être pu être évitées par une simple décision : ne pas laisser la banque Lehman Brothers faire faillite en 2008. En politique, on n’aime pas non plus ce genre de catastrophes qui déboulent sans crier gare, juste parce qu’on avait fait une « erreur d’appréciation » : la crise des Gilets jaunes, la crise des masques, lits covid…
Le soupçon nécessaire
Hélas aujourd’hui, nous avons franchi un cap, un mauvais cap.
Désormais, la catastrophe n’attend plus l’erreur de mesure pour se manifester, mais se terre à chaque coin de rue et à chaque instant. On pense au dérèglement climatique capable de déclencher des catastrophes naturelles n’importe où sur le globe. On pense à la crise sanitaire qui peut de nouveau débouler demain, et après demain, avec la multiplication de zoonoses. On pense enfin au risque géopolitique qui revient en force sous une forme nouvelle mais potentiellement plus dramatique : « la troisième guerre mondiale sera la dernière » avait prévenu Einstein.
On remarque que toutes ces catastrophes en veille ont toutes une origine commune : nous. Sans nous, elles ne seraient pas. Parmi tous les penseurs de la question, citons peut-être Ulrick Beck qui tenta de résumer notre œuvre en une société du risque. La catastrophe nous suit désormais comme notre ombre, et pèse sur les épaules de chacune de nos décisions. Et c’est avec ça que le politique doit imaginer demain, et nous proposer un avenir désirable. Le politique doit faire avec un monde saturé d’incertains, et ne peut plus faire l’économie du soupçon. Le soupçon n’est pas un doute raisonnable, mais le politique n’a plus le choix.
« Une menace indistincte et sourde. Celle-ci rend incertains l’allant de soi du monde commun et les croyances partagées sur la stabilité de l’environnement…. On ne sait ni où, ni quand, ni sous quel masque l’ennemi va frapper – le soupçon est une nécessité », L’économie du soupçon
” il suffit d’anticiper la catastrophe afin qu’elle ne se réalise pas.”
Et il suffit de l’annoncer en espérant qu’elle va se réaliser pour qu’elle ait une chance de se réaliser …… ou pas!
On n’avait pas anticipé le manque de masque inutiles et la catastrophe est arrivée: tout le monde a pu constater que les produits obligatoires pour se couvrir le museau étaient inadaptés au problème, donc inefficaces! On aurait dû anticiper! bande de nuls!