« Les dévastés » : la « libération » de la Bulgarie par l’URSS

Un récent roman bulgare de Theodora Dimova paru en 2022 nous permet de plonger dans un épisode historique méconnu qui fait écho à l’actualité en Europe de l’Est : « Les Dévastés ». Retour dans une Bulgarie passée sous le joug soviétique.

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« Les dévastés » : la « libération » de la Bulgarie par l’URSS

Publié le 1 août 2022
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Un récent roman bulgare de Theodora Dimova paru en 2022 nous permet de plonger dans un épisode historique méconnu qui fait écho à l’actualité en Europe de l’Est : Les Dévastés.

Retour dans une Bulgarie passée sous le joug soviétique.

 

La Bulgarie choisit l’Axe

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la Bulgarie a décidé de s’allier à l’Allemagne nazie qui a vu en elle un pion majeur dans sa volonté de conquérir la Grèce et la Yougoslavie. Pourtant, après le déclenchement de l’opération Barbarossa par l’Allemagne, le 22 juin 1941, la Bulgarie reste neutre et ne déclare pas la guerre à Staline.

Les années passent, la situation militaire change : l’Allemagne que l’on croyait invincible recule sur tous les fronts. À la fin de l’été 1944, les protagonistes de tous les camps le sentent, l’issue de la guerre est proche. Le débarquement en Normandie au début de l’été et l’avancée fulgurante russe sur le front Est ne laissent plus de place au doute. La question est de savoir combien de temps tiendra encore l’Axe. Le 5 septembre, l’URSS déclare la guerre à la Bulgarie. Les soldats soviétiques passent le Danube et ne rencontrent pas la moindre résistance. Les Bulgares sont passifs et, mieux encore, ils apprécient les soldats russes. Le gouvernement bulgare, qui prenait ses distances avec l’Allemagne depuis quelque temps déjà, a demandé un armistice dans la foulée. Le 9 septembre, les jeux sont faits, le pouvoir renversé. Le régime communiste s’installe. L’Armée rouge vient de libérer le pays.

 

L’histoire d’un pays à travers la tragique réalité de quatre femmes

Le livre présente quatre histoires qui ont un point commun : l’exécution de 147 hommes pendant la même nuit à Boliavoro et le rassemblement de leurs femmes dévastées au-dessus de leur fosse commune.

Le premier chapitre parle de Raïna dont le mari, Nikola a été arrêté depuis des mois. Elle parle seule pour évacuer la peur et éloigner de son esprit le moment fatidique de l’exécution. Elle évoque ses regrets de ne pas avoir su convaincre celui-ci de quitter le pays lorsqu’elle sentait que le vent tournait et qu’une occasion franche de partir se réfugier loin de l’avancée russe était possible.

Le second est une longue lettre d’Ekaterina dont le mari, homme d’Église, a été arrêté, torturé puis tué comme nombre de membres du clergé. Ce sont Viktoria et Magdalena, dont, respectivement, le mari et père adoptif, a réussi dans les affaires et qui, à la faveur du coup d’État, se retrouve de facto coupable d’avoir exercé son activité. Il sera fusillé.

Enfin, c’est Alexandra, jeune enfant, petite-fille de Raïna, protagoniste du premier chapitre, qui grandit dans un monde morne et gris et accompagne sa grand-mère vers une mort digne mais faite de questions sur son passé et le sens de la vie.

Qu’est-ce qui caractérise le communisme en Bulgarie et a frappé aveuglément toutes ces destinées ? La mise en œuvre du même procédé violent contre la population. Tout comme celle exercée contre le peuple russe après 1917 ou l’Ukraine, la Bulgarie n’y a pas échappé.

La violence s’est instaurée à l’instant où le Front de la Patrie a pris le pouvoir. Il a traqué sans relâche ses opposants, réels ou supposés, dressé des listes de noms à éliminer aussi bien intellectuellement, matériellement que physiquement. Les têtes pensantes devaient tomber (nous dirions élites ou  establishment aujourd’hui). Raisonner, penser différemment et ne pas se soumettre à la propagande du régime faisait de vous un proscrit qui n’avait pas droit de cité. Place à l’homme nouveau.

La seconde étape a été la déportation. Ce furent des familles arrachées à leur village et reléguées comme des pestiférées sur des terres éloignées, impropres à la culture. Un piège face au froid et à la faim. Ces déracinés ont perdu, également, leurs biens, confisqués par l’État, au profit du peuple qui récupère ce qui lui appartient. Punir les « accapareurs » est une constante de la propagande révolutionnaire. Qu’ils soient réels ou fictifs, il faut punir les ennemis désignés. C’est la perte de la dignité de l’être humain. On ne se sent jamais aussi humain que dans le regard des autres.

Enfin, le communisme en action en Bulgarie c’est la destruction pure et simple de l’individu en tant que tel : il n’existe plus car tout est subordonné à l’État et à l’idéologie. L’auteur qui a grandi dans cette Bulgarie soviétisée parle de la manipulation des esprits dès l’enfance et de l’endoctrinement caractéristique des régimes communistes. La Bulgarie a été privée de toutes ses forces vives intellectuelles, celles qui permettent à des pays de se relever, se réinventer et de créer des espoirs nouveaux.

 

De l’importance de connaître ce passé en Europe de l’Est

Au fond, ce livre nous montre que tous les coups d’État communistes n’ont pas consacré la victoire du peuple, du prolétariat sur les bourgeois et les capitalistes. Il serait plus juste de parler de la victoire des brigands, des revanchards, des criminels qui ont surtout réglé des comptes personnels.

Contrairement à ce que laissent imaginer les adeptes d’une version romantique de l’Histoire, ce ne sont pas toujours les idées, les querelles idéologiques et intellectuelles qui nourrissent les sombres desseins des révolutionnaires. Ce sont, bien au contraire, des histoires banales : un conflit de voisinage antérieur, l’ivresse du nouveau pouvoir et de la force, une revanche à prendre sur un vieux professeur, un religieux dont on n’a jamais apprécié les offices prononcés… L’homo sovieticus ne fut-il guidé que par l’esprit de revanche ?

Aujourd’hui, une frange de la gauche présente à l’Assemblée tend à se prendre pour l’héritière des révolutionnaires russes ou à commémorer l’exécution de Robespierre. Est-il besoin de rappeler que celui-ci n’était pas un ami de la liberté ? Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’historiographie, nombre d’élus politiques et plus généralement l’opinion admettent l’idée que l’URSS est le grand vainqueur de la guerre. C’est vrai, l’armée russe a joué un rôle crucial pendant la guerre, rien ni personne ne peut le contester. Mais, elle n’a pas libéré les peuples, au sens où un libéral entend ce mot.

À l’heure où les récits fantasmés font florès, tant ceux de la propagande russe que d’une gauche française qui s’égare dans l’apologie de figures autoritaires, profitons de l’été pour nous imprégner de lectures inédites et ô combien enrichissantes. La littérature bulgare est rarement mise en avant. La découvrir c’est s’immerger dans une histoire européenne proche de nous et qui fait écho à ce qui se passe actuellement en Ukraine. C’est une invitation à une profonde réflexion sur la liberté et les sacrifices exigés pour toujours la conserver. La fécondité intellectuelle qui fait la modernité de nos sociétés n’est pas toujours assurée.

Teodora Dimova, Les dévastés, édition Des Syrtes, 2022, 232 pages.

 

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