L’héritage économique de la politique menée par Shinzo Abe

Le décès tragique de Shinzo Abe le 8 juillet 2022 est l’occasion de revenir sur l’héritage économique de celui qui détient le record de longévité dans la fonction de Premier ministre au Japon

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Shinzo Abe Premier ministre du Japon by NATO(CC BY-NC-ND 2.0)

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L’héritage économique de la politique menée par Shinzo Abe

Publié le 14 juillet 2022
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Le destin économique d’un pays est principalement déterminé par sa démographie, sa puissance technologique, sa géographie et le degré de liberté économique que ses institutions garantissent aux citoyens. Le rôle des hommes consiste à jongler avec ces éléments dans un creuset que l’on appelle communément l’histoire économique.

Le décès tragique de Shinzo Abe le 8 juillet 2022 est l’occasion de revenir sur l’héritage économique de celui qui détient le record de longévité dans la fonction de Premier ministre au Japon (un an en 2006-7 et 8 ans de 2012 à 2020).

 

Abenomics : une tentative avortée de ralentir un déclin économique inéluctable

En février 2013, Abe a prononcé un discours au Center for Strategic and International Studies de Washington, dans lequel il a expliqué ses objectifs économiques et diplomatiques, indiquant qu’il était revenu au poste de Premier ministre pour empêcher le Japon de devenir une « nation de second rang », objectif qu’il résuma par cette formule choc « Japan is back ».

Sa longévité et son habileté à manier les métaphores guerrières ont semblé donner à son action économique une cohérence forte, d’où l’appellation « Abenomics », expression formée du patronyme  Abe et du mot Economics. Il s’agit d’une politique fondée sur la « leçon des 3 flèches », un conte japonais, immortalisé par le film d’Akira Kurosawa, Ran (1985) dans lequel un vieil archer explique à ses enfants que 3 flèches attachées ensemble sont beaucoup plus difficiles à briser que chacune prise isolément.

En l’occurrence, ces 3 flèches font référence aux 3 volets de la politique économique qu’il a menée à partir de 2012 :

  1. Une expansion monétaire visant à atteindre un objectif d’inflation de 2 % afin d’éviter la déflation.
  2. Une politique budgétaire keynésienne de relance de l’activité par une augmentation des dépenses publiques.
  3. Une stratégie de réformes structurelles pour assurer une croissance à long terme.

 

Parmi ces mesures, on doit citer des lois destinées à favoriser plus largement l’accès des femmes aux postes de responsabilité, la création de zones économiques spéciales réservées aux entreprises étrangères (à l’image de la Chine), et une lutte timide contre la bureaucratisation générale de l’économie japonaise.

Aucune de ces mesures n’a véritablement changé le cours de la troisième économie mondiale. Lorsque Shinzo Abe revient au pouvoir en 2012, celle-ci entamait sa troisième « décennie perdue » de stagnation économique, expression qui faisait à l’origine référence aux années 1990, mais que les commentateurs ont ensuite étendu aux décennies suivantes. En outre, le pays venait de subir de plein fouet la crise financière de 2008, et la catastrophe nucléaire de Fukushima consécutive au tsunami de Tōhoku en 2011.

Certes, le laxisme monétaire a permis de tendre mollement vers l’objectif des 2 % d’inflation, de maintenir le yen sous la barre des 120 yens pour un dollar et de rétablir l’excédent sacro-saint de la balance commerciale, lequel avait été largement compromis entre 2010 et 20141

La véritable prouesse de Shinzo Abe fut peut-être d’augmenter les dépenses publiques tout en réduisant progressivement la part du déficit public dans le PIB grâce aux dividendes d’une croissance du PIB qui a pu atteindre jusqu’à 2 % en 2017 tout en réduisant de moitié le taux de chômage (de 4,5 % à 2,3%).

Sans nuire à l’économie, les réformes structurelles ne furent pourtant pas suffisantes pour remettre l’économie japonaise, plombée par une dette publique qui allait bientôt atteindre 2 fois le PIB annuel du pays, sur le chemin d’une croissance forte et durable.

La prodigieuse capacité d’innovation des années 1970 et 1980, qui a produit le toyotisme et le walkman semble tarie et de plus desservie par un tassement des budgets, tant publics que privés, alloués à la recherche et au développement.

La population japonaise poursuit sa diminution et son vieillissement : d’un maximum de 129 millions d’habitants en 2009, la population n’est plus en 2022 que de 126 millions, alors que l’âge médian atteint les 50 ans et que la population active se réduit drastiquement depuis le début des années 1990.

 

Mission impossible : contrer l’expansion économique de la Chine 

C’est en 2009 que la Chine a dépassé le Japon, devenant la deuxième puissance économique du monde derrière les États-Unis en termes de PIB global, même si le PIB par habitant du Japon reste encore largement supérieur à celui de son gigantesque voisin.

Héritier d’une tradition familiale profondément impliquée dans l’expansionnisme nippon de l’entre-deux guerres2, Shinzo Abe, loin de donner le moindre signe de repentance, a au contraire multiplié les actes de provocation, en allant par exemple honorer le sanctuaire Yasukuni-jinja3

Certes, il a parallèlement favorisé le développement de l’omniprésence des entreprises japonaises en Chine. Mais, conscient des enjeux de la Belt and Road Initiative (nouvelles routes de la soie) lancée par le président chinois Xi Jinping en 2013, avec pour but d’asseoir l’hégémonie économique de la Chine dans le monde, Abe a aussi tenté d’en limiter la portée, en développant le concept d’Indopacifique « libre et ouvert », en collaboration étroite avec les États-Unis.

Ses tentatives de remilitariser le Japon n’ont pas abouti. On peut d’ailleurs se demander ce que signifierait une armée japonaise composée d’hommes majoritairement cinquantenaires, ne disposant que d’un armement fourni par l’allié américain.

Ainsi, pour ralentir le déclin économique de son pays, Abe n’avait finalement pas d’autre solution que d’accompagner le mouvement initié par ses prédécesseurs, qui consiste à lier indissociablement ses intérêts stratégiques à ceux des États-Unis afin de rester son meilleur allié dans la région.

 

  1. Le Japon a connu un déficit commercial record de 120 milliards de dollars en 2014, soit 2,5% de son PIB pour revenir à l’équilibre l’année suivante. Voir
  2. Son grand-père maternel Nobusuke Kishi était de facto le « roi économique » de la Chine occupée et du Mandchoukouo, un État fantoche japonais du nord de la Chine qui a été établi après l’invasion japonaise de la Mandchourie, à la veille de la Seconde Guerre sino-japonaise.
  3. Le sanctuaire Yasukuni-jinja fut construit en hommage aux Japonais « ayant donné leur vie au nom de l’empereur du Japon ». Considéré comme l’un des symboles du passé colonialiste du Japon et des nationalistes, il attise notamment le sentiment antijaponais en Chine.

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