Référendum au Kazakhstan, le symptôme du changement

Le président du Kazakhstan a signé début mai un décret prévoyant la tenue d’un référendum pour le 5 juin 2022. Vers un tournant libéral ?

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Kassym-Jomart Tokayev Director-General of the United Nations Office at Geneva by United States Mission Geneva (creative commons CC BY-ND 2.0)

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Référendum au Kazakhstan, le symptôme du changement

Publié le 6 juin 2022
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Par Louis du Breil1.
Un article de Conflits

 

Un peu moins d’un mois après l’annonce de réformes constitutionnelles au Kazakhstan, le président Kassym-Jomart Tokayev a signé début mai un décret prévoyant la tenue d’un référendum pour le 5 juin 2022. Un scrutin révélateur d’un lent basculement politique, sociologique et même diplomatique du plus grand pays d’Asie centrale.

Il y a quelques jours en conférence de presse, le président Kassym-Jomart Tokayev annonçait à ses compatriotes l’organisation d’un référendum pour avaliser une série de réformes constitutionnelles :

« Les amendements à la Constitution sont cruciaux pour notre pays. Les changements affecteront un tiers de ses articles. C’est pourquoi j’ai proposé de soumettre cette question à un référendum républicain, car des changements d’une telle ampleur doivent être réalisés sur la base de la volonté du peuple. »

A priori, cette longue liste de réformes libérales et démocratiques proposées aux électeurs ne vise qu’à répondre aux émeutes explosives de janvier dernier qui avaient secoué le pays, des protestations pacifiques et populaires à la suite du doublement du prix du gaz de pétrole liquéfié, devenues rapidement violentes et factieuses lorsque des bandes armées ont débordé les premiers manifestants.

Mais ces émeutes ont justement été, à double titre, révélatrices des profondes mutations qui agissent en profondeur dans la société kazakhstanaise. Des transformations qui expliquent finalement cette réforme constitutionnelle et le processus de démocratisation accéléré de cette ex-république d’URSS.

 

Une double transition

Transition politique d’abord, car derrière la fumée des émeutes sont rapidement apparus les réseaux de clans qui se partageaient le pouvoir et les postes de hauts fonctionnaires depuis des décennies, et qui sont désormais menacés par la démonopolisation économique et politique orchestrée par l’administration Tokayev depuis 2019. Mais le président en poste, qui sort grand vainqueur de ce rapport de force, est aujourd’hui en bonne posture pour accélérer son programme de réformes démocratiques.

C’est également une transition sociale qui voit structures claniques traditionnelles et anciens dirigeants formés à l’époque soviétique se confronter à une jeune population urbaine de familles nucléaires réclamant une amélioration de leur niveau de vie et l’accès aux droits démocratiques. La lutte contre la corruption, les inégalités et le chômage, la gestion de l’urbanisation et de l’inflation ou encore la restructuration du système éducatif suscitent de vives attentes à travers le pays. Tokayev doit aujourd’hui répondre à ces demandes de la population – 31 ans en moyenne – dont la majorité n’a pas connu l’ère soviétique (52 % aujourd’hui).

 

Démocratisation 

Dans cet esprit, lors de son discours très attendu du 16 mars dernier, intitulé « Nouveau Kazakhstan : La voie du renouveau et de la modernisation », le président a présenté au pays un volet d’une trentaine de réformes constitutionnelles entérinant le passage d’un régime « super-présidentiel » à une république présidentielle doté d’un Parlement fort. Parmi les propositions annoncées, l’interdiction constitutionnelle du népotisme est un renversement majeur du système clanique qui prévalait depuis l’indépendance. De fait, elle interdirait aux parents proches du président d’occuper des postes stratégiques dans la fonction publique et parapublique.

Elle permettrait, selon les mots empreints de libéralisme de Tokayev, rien de moins que « l’éradication du favoritisme et des monopoles dans toutes les sphères de la vie. » À noter également le passage à un système mixte proportionnel et majoritaire, la facilitation du multipartisme, la décentralisation de l’État ou l’accent mis sur les droits de l’Homme via la création d’une Cour constitutionnelle et le renforcement des pouvoirs du commissaire aux droits de l’Homme.

Ces projets d’amendements, qui affectent un tiers des articles de la Constitution, ont été examinés par un groupe de travail composé d’experts et de juristes puis validés par le Conseil constitutionnel. Tokayev entend désormais les soumettre au suffrage universel direct par référendum le 5 juin 2022, assurant que le vote « permettra à chaque citoyen de prendre directement part à l’événement historique qui déterminera l’avenir du Kazakhstan. » Alors que les espérances que soulèvent ces réformes laissent présager une large victoire du Oui, le référendum est un moyen idéal pour Tokayev de légitimer et d’imposer sur le long terme son projet politique. Il pourrait être, à cet égard, une étape politique capitale dans l’ancienne zone soviétique en Asie centrale.

 

La fenêtre ukrainienne 

Mais sur le plan de la politique étrangère, les réformes constitutionnelles sont aussi un signal fort envoyé aux pays occidentaux. En effet, le Kazakhstan déploie depuis son indépendance une diplomatie pragmatique qui vise à échapper à son enclavement géographique entre les deux géants russe et chinois en promouvant la multiplicité des partenaires. L’Union européenne est ainsi devenue le premier partenaire commercial et le premier investisseur étranger au Kazakhstan (40 % des échanges et 40 % des investissements). La voie sur laquelle Tokayev s’engage est une main tendue aux pays européens pour consolider les partenariats bilatéraux sur la base de valeurs partagées autour des principes démocratiques.

Plus significativement encore, l’agenda politique de ces réformes coïncide opportunément avec la guerre russo-ukrainienne. Car si la politique extérieure kazakhstanaise ne s’écrit pas à Moscou, elle ne peut pas faire fi des quelques 6846 km de frontière commune et des liens économiques, politiques et culturels étroits qui unissent les deux pays. Pourtant, l’enlisement des forces armées russes en Ukraine et l’affaiblissement consécutif de la Russie dans son voisinage direct semblent être saisis par le Kazakhstan comme l’opportunité de porter plus haute la voix de son indépendance stratégique. La neutralité lors de la résolution de l’ONU du 2 mars, la participation à l’aide humanitaire en Ukraine, l’autorisation de manifestations pro-Ukraine à Almaty ou encore la signature récente d’un accord de licence avec Ankara pour produire sur le sol kazakhstanais des drones Anka, sont autant de signes manifestes de cette émancipation.

Cette dernière coopération militaire avec un pays membre de l’OTAN ne peut pas en effet laisser Moscou indifférent. Enfin, le contraste entre les réformes constitutionnelles de démocratisation limitant les pouvoirs du président au Kazakhstan d’un côté et la toute-puissance de Vladimir Poutine unanimement incriminé par la presse européenne de l’autre, est évidemment un symbole significatif.

  1. journaliste à la revue Conflits.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d'études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

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