La neutralité suisse : dommage collatéral de la guerre en Ukraine

À défaut de la neutralité de la Suisse, orfèvre en la matière, entre l’Occident, d’une part, et la Chine, l’Inde et la Russie, d’autre part, c’est le monde qui pourrait en subir les conséquences et la Suisse.

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La neutralité suisse : dommage collatéral de la guerre en Ukraine

Publié le 22 mai 2022
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Le 6 août 2014, je publiais un article sur La neutralité de la Suisse et la guerre en Ukraine. J’y rappelais que la neutralité de la Suisse trouvait son origine dans la défaite de Marignan (1515) à partir de laquelle fut mis fin à la politique d’expansion des Confédérés.

Après une courte période, entre 1798 et 1815, la neutralité de la Suisse a toujours été effective, jusqu’en 1989. Elle est devenue de plus en plus relative notamment à la suite de son adhésion à l’ONU en 2002, bien que deux articles de la Constitution suisse énoncent qu’elle doit être préservée.

Ainsi l’article 173 de la Constitution précise que la première des tâches et compétences de l’Assemblée fédérale est de prendre « les mesures nécessaires pour préserver la sécurité extérieure, l’indépendance et la neutralité de la Suisse ».

Ainsi l’article 185 de la Constitution précise dans son premier alinéa que le Conseil fédéral « prend des mesures pour préserver la sécurité extérieure, l’indépendance et la neutralité de la Suisse ».

Ce qu’est, ou n’est pas, la neutralité de la Suisse n’est toutefois pas inscrit dans la Constitution, ce qui – c’est regrettable – permet à d’aucuns de dire et/ou de faire n’importe quoi à son sujet, à d’autres de la violer carrément en relativisant la neutralité, en la rendant prétendument flexible.

Le changement progressif de la Suisse vis-à-vis de l’OTAN

Déjà en 2014, au moment de l’annexion de la Crimée, la Suisse a pris des sanctions économiques contre la Russie, assimilables à de véritables actes de guerre1, emboîtant le pas aux États-Unis et à l’Union européenne.

À l’époque, il ne s’agissait pas encore de rapprochement de la Suisse avec l’OTAN, comme le souhaite la cheffe du département de la Défense Viola Amherd, représentant le Centre, ou de rattachement à cette organisation militaire comme le voudrait le président du Parti Libéral Radical Thierry Burcart.

À l’époque, il ne s’agissait pas non plus d’exporter en plein conflit des armes et des munitions à l’un des belligérants, c’est-à-dire de favoriser un soi-disant Camp du Bien contre ce qui serait le Camp du Mal.

À titre individuel, un Suisse peut avoir une opinion sur le conflit, condamner l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine et/ou en rechercher les causes profondes, mais les autorités suisses ont le devoir constitutionnel et moral de préserver la neutralité du pays.

En effet la neutralité de la Suisse originelle lui a permis d’assurer sa cohésion intérieure, de rester à l’écart des conflits, de poursuivre des échanges avec des belligérants, de remplir au XXe siècle une fonction d’équilibre européen, d’offrir ses bons offices1.

Cet abandon progressif de la neutralité de la Suisse, qui se traduit aujourd’hui par un parti pris effectif du pays pour l’un des belligérants contre un autre, est donc contraire à la fois à la sécurité et au bien-être des habitants de la Suisse et à l’instauration d’un dialogue de paix entre les nations.

Alors que, pendant plus de deux siècles, tant bien que mal, la Suisse a su conserver ce rôle de médiateur entre les nations, il serait dommageable aussi bien pour les habitants de la Suisse que pour les pays occidentaux d’y renoncer réellement, définitivement.

À défaut de médiation de la Suisse, orfèvre en la matière, entre l’Occident, d’une part, et la Chine, l’Inde et la Russie, d’autre part, c’est le monde qui pourrait en subir les conséquences et la Suisse, en premier lieu, petit pays de Guillaume Tell, qui ne pèse lourd dans ce concert que par son indépendance et sa neutralité.

Sur le web

  1. Citation de mon article évoqué plus haut.
  2. Citation de mon article évoqué plus haut.
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  • Je pense effectivement, je vous cite, « qu’il serait dommageable aussi bien pour les habitants de la Suisse que pour les pays occidentaux d’y renoncer réellement, définitivement. » Il me semble que la Suisse a un rôle clé qui serait dangereux qu’elle abandonne.

  • La neutralité suisse etait un avantage en cas de guerre limitée. Mais en cas de confrontation majeure ca peut aussi etre un probleme car personne viendra a votre secours. Ensuite penser que les russes respecteront la neutralite suisse en cas de guerre en europe me semble osé. Et si on a une guerre de ce type, de toute facon les retombees radioactives n epargneront pas la suisse (je suppose qu il y aura au moins l utislisation d armes nucleaires tactiques)

    Ensuite, il faut pas oublier que le monde change. La suisse actuelle est bien plus dependante de l etranger qu en 1940. La nourriture, l electronique … est aussi importe.

    PS: la neutralité suisse est aussi un fantasme. Durant la seconde guerre mondiale, la suisse a ete pro francaise de 39 a 40 puis de plus en plus pro nazi (les usines suisses tournaient a fond pour le reich, les trains passaient a travers la suisse pour ravitailler le front italien, l argent etait blanchi …)

  • Les commentaires sont fermés.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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