Stratégie internationale russe et tragédie ukrainienne

La stratégie russe en Ukraine montre de nombreuses faiblesses.

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Kremlin by Larry Koester(CC BY 2.0)

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Stratégie internationale russe et tragédie ukrainienne

Publié le 23 mars 2022
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La Russie s’est engagée dans une guerre sanglante contre l’Ukraine en estimant que le contrôle de son voisin lui permettrait de redevenir une puissance impériale, que le soutien chinois lui était acquis, que ses alliés les plus proches seraient impliqués dans le conflit et que les réactions occidentales seraient timorées et/ou divergentes.

Le calcul russe s’est en grande partie révélé erroné.

L’Ukraine et le rêve d’empire de la Russie

L’enjeu ukrainien est essentiel pour la partie russe. La question de l’extension de l’OTAN en Europe de l’Est soulevée par la Russie n’était en fait qu’une manœuvre de diversion afin de faire croire à l’Occident que la Russie amassait du matériel et concentrait des troupes aux frontières de l’Ukraine dans le cadre d’un grand jeu stratégique autour de l’architecture de sécurité européenne.

En fait ce n’était qu’une volonté russe de faire croire à la fois aux pays occidentaux et au pouvoir ukrainien que l’Ukraine ne constituait qu’un moyen de pression et non le but ultime. Vladimir Poutine voit en effet dans l’Ukraine une partie de la Grande Russie et il estime que le contrôle de ce voisin permettrait à son pays de redevenir une puissance impériale.

Loin d’être un enjeu secondaire, l’Ukraine se révèle l’ultima ratio de la stratégie russe. Cette conception géopolitique explique à la fois la narration historique Grande Russie et la négation de l’identité ukrainienne dans les discours poutiniens. C’est pourquoi la prise de Kiev est sans doute l’objectif central de la guerre de la Russie contre l’Ukraine.

La question du soutien de la Chine à la Russie

L’intervention russe s’appuie sur la foi en la force de l’alliance russo-chinoise. Afin de parer à l’exclusion des banques russes du système de messagerie interbancaire SWIFT, la Russie pourrait réaliser ses transactions transfrontalières à l’aide du système de paiement CIPS d’origine chinoise.

En cas de réduction de la consommation de pétrole et de gaz russes par l’Europe, la Russie pourrait vendre davantage d’hydrocarbures à son voisin oriental. Suite aux pertes importantes de matériel russe en Ukraine au cours des premières semaines de conflit, la Russie pourrait demander à la Chine le transfert de blindés afin de garder une armée opérationnelle durant les semaines suivantes.

On aura compris qu’une guerre en Ukraine s’inscrivant dans la durée et de lourdes sanctions occidentales maintenues à terme ne peuvent que pousser la Russie dans les bras de la Chine au risque toutefois de la voir progressivement se transformer en satellite de l’Empire du milieu.

Cependant, les perturbations économiques majeures entraînées par une guerre menée par cette guerre pourraient aussi pousser la Chine soucieuse du maintien d’échanges commerciaux importants avec l’Occident à faire pression sur la Russie afin de mettre un terme au conflit.

 

La faiblesse des alliances sécuritaires de la Russie dans la guerre contre l’Ukraine

Vladimir Poutine pensait sans doute que le Belarus et le Kazakhstan, deux proches alliés de la Russie, enverraient des troupes en Ukraine mais il n’en a jusqu’à présent rien été…

Tout en permettant à la Russie d’utiliser son territoire comme base arrière pour ses forces, le Belarus n’avait toujours pas envoyé ses troupes se battre au côté des forces russes en Ukraine au bout de près d’un mois de guerre. C’est ainsi que des dizaines d’unités russes ont quitté leur terrain de manœuvre en Belarus pour attaquer en direction de Tchernihiv et surtout de Kiev, qu’il y a eu des frappes aériennes effectuées par des avions russes stationnés en Belarus et que des dizaines de missiles russes ont été tirés depuis le sol biélorusse depuis le premier jour de la guerre.

S’il est aussi possible que certaines unités biélorusses aient pris part au combat aux côtés des forces russes dans le nord de l’Ukraine pour s’emparer de la ville de Tchernihiv, aucune unité biélorusse n’a officiellement été envoyée combattre sur le sol ukrainien. Le pouvoir biélorusse qui a accepté de faire du Belarus une base arrière pour l’invasion russe de l’Ukraine semble jusqu’à présent réticent à envoyer ses propres forces armées sur le théâtre d’opérations ukrainien. Cette attitude peut être liée à la fois à la crainte de pertes importantes et à l’éventuel rejet populaire de cette intervention directe.

De son côté, le Kazakhstan a décidé d’afficher une position de neutralité et a pris peu à peu ses distances avec la Russie. Dès le 26 février, les autorités kazakhes affirmèrent qu’elles n’enverraient pas de troupes en Ukraine. Le 6 mars une manifestation en faveur de l’Ukraine a même eu lieu dans le pays. Après avoir reçu une assistance militaire de la Russie en janvier 2022 pour faire face à une révolte populaire, le Kazakhstan a réussi à démontrer qu’il avait sa propre politique étrangère indépendante de celle de la Russie et a jugé préférable de ne pas s’impliquer dans un lointain conflit qui le soumettrait de surcroît à de dures sanctions économiques occidentales en rétorsion.

En fait, les seuls alliés de Moscou se révélèrent être Grozny et Damas. Le potentat tchétchène Kadyrov envoya ainsi un millier de Tchètchènes et le tyran syrien Assad laissa recruter un millier de Syriens. Si l’envoi de ce type de soldats ne peut bien sûr pas influer de manière décisive sur le conflit en cours, il montre qu’il y a bien une criminalisation de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, ces soldats tchétchènes et syriens étant connus pour leur irrespect absolu des lois de la guerre.

 

Les réactions de l’Occident à la menace puis à l’agression de la Russie

Pendant les mois précédant la guerre il y a eu des hésitations sur l’attitude à adopter en Occident vis-à-vis de la Russie. Si les autorités américaines et britanniques ne cessaient de se montrer alarmistes et insistaient sur l’urgence d’une aide à l’Ukraine, les responsables français et allemands insistaient au contraire sur la nécessité de dialoguer avec la Russie. La guerre d’agression russe contre l’Ukraine signe en fait l’échec de la volonté de la négociation diplomatique prônée par la présidence française de l’Union européenne en janvier et en février 2022.

C’est en fait la vision américaine de la crise ukrainienne qui domine depuis plusieurs semaines le camp occidental. Avant le début de l’attaque russe, les États-Unis avaient envoyé de l’armement antichar à l’Ukraine suivis en cela par certains de leurs alliés les plus proches comme le Royaume-Uni ou le Canada. Les USA avaient aussi mené une guerre de l’information contre la Russie consistant en l’annonce à plusieurs reprises d’une date d’invasion de l’Ukraine par la Russie et de la présentation de différents prétextes possiblement mis en œuvre par la même Russie afin de pouvoir agresser son voisin ukrainien. Enfin, les USA avaient tenu à marquer leur rôle de protecteur des pays d’Europe de l’Est en envoyant quelques milliers de soldats en Pologne et en Roumanie. À l’initiative de Washington, et en tant qu’alliance euro-américaine l’OTAN voit son rôle renforcé à l’occasion de la crise ukrainienne.

L’agression russe contre l’Ukraine a entraîné une véritable prise de conscience du danger russe pour les pays européens. Cela explique que l’Union européenne ait adopté des sanctions économiques de plus en plus lourdes envers la Russie telles que le gel des avoirs russes, l’exclusion des banques russes du système Swift, la réduction d’achat du pétrole russe et décidé d’apporter une aide militaire à l’Ukraine afin de l’aider à se défendre contre la Russie. C’est en particulier l’Allemagne qui a effectué le revirement stratégique le plus spectaculaire vis-à-vis de la Russie en enterrant le projet de gazoduc Nord Stream 2, en réfléchissant à une stratégie de réduction de la dépendance allemande au gaz russe tout en décidant de livrer des lance-roquettes à l’armée ukrainienne et en s’engageant à augmenter fortement les dépenses militaires allemandes.

Si l’Occident a fait preuve de fermeté et d’unité en décidant de sanctions lourdes contre les dirigeants, les oligarques et l’économie de la Russie et en envoyant des armes à l’Ukraine, il a aussi tenu à éviter à tout prix une confrontation militaire avec la Russie. L’OTAN a donné une fin de non recevoir à la demande ukrainienne d’interdiction de son espace aérien par les aviations otaniennes en estimant que cette décision constituerait une entrée en guerre entre l’OTAN et la Russie. C’est dans cet esprit qu’il a même été refusé de livrer aux pilotes ukrainiens quelques dizaines de Mig 29 dont disposent encore quelques pays d’Europe de l’Est membres de l’OTAN tels que la Pologne.

On peut aussi noter à côté de la réaction des gouvernements une émotion des populations et un élan en faveur de la cause ukrainienne. C’est ainsi que la question de l’accueil des réfugiés ukrainiens ne s’est même pas posée tant il était évident pour les opinions publiques qu’il fallait accueillir femmes et enfants en fuite de leur pays sous les bombes russes. De nombreuses manifestations de soutien à l’Ukraine ont été organisées dans de nombreuses villes d’Europe et d’Amérique du Nord. Des convois d’aide humanitaire ont été organisés par des collectifs citoyens depuis les pays d’Europe vers l’Ukraine.

Avec sa guerre contre l’Ukraine, la Russie est devenue un État paria pour les pays occidentaux : elle est apparue comme un ennemi et non plus un rival pour les pays membres de l’UE et de l’OTAN.

La Russie est aussi devenue inquiétante pour certains de ses alliés réticents à s’engager et elle ne dispose plus comme carte maîtresse que de l’appui mesuré de la Chine au niveau international.

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    Azoulay.denis@orange.fr
    23 mars 2022 at 10 h 53 min

    C est une vision à court terme
    En fait la Russie ne peut que gagner et l Europe que perdre.
    Dans un mois l Ukraine cédera 2 provinces contre la,paix et l Europe signera un accord.
    On reparlera alors des présidentielles des législatives et du covid

  • Cet article est de la propagande OTAN primaire. Américains gentils, Russes méchants. Les négociateurs francais sont des perdants. C’est assez pathétique. Les Européens devraient commencer a remarquer que l’aventurisme militaire américain leur pose de serieux problemes. Toutes les interventions US en Europe ou dans son voisinage n’ont fait qu’augmenter la charge sociale sur le continent. Guerre en Yougoslavie ; heroine bon marche. Guerre en Syrie; convois de réfugiés. Guerre en Libye; convois de réfugiés. Guerre en Ukraine; convois de réfugiés, une dette ukrainienne qui ne sera jamais remboursée, inflation et tout le potentiel de croissance économique a l’Est perdu. Il faut sérieusement vous réveiller. Et surtout arrêter de croire deux choses. La premiere est qu’un pays qui dépense 10% de son budget pour l’armée est un colombe pour la paix. La seconde est que la Russie, 144 millions d’habitants, puisse etre un risque militaire pour l’Europe, 500 millions d’habitants avec un PNB au moins 10x supérieur. Il faut aussi etre tres conscient du fait que la Russie, ne peut en aucun cas se défendre contre l’OTAN, environ 1 milliard d’habitants et des dépenses militaires 17 fois plus grandes, dans un contexte de guerre classique. Les seule alternatives pour la Russie sont soit une reddition complete et sans conditions soit l’emploi de l’arme nucléaire. Est-ce que vous voulez vraiment connaitre la fin de l’histoire?

    • Je suis globalement d’accord avec vous mais quand vous écrivez « Que la russie ne puisse se défendra face a l’OTAN », je ne parierais même pas un restau.
      – Napoléon a essayé, ça a mal tourné,
      – Hitlair a essayé, ça a mal tourné aussi alors que la situation technologique était a son avantage.

      Actuellement, si l’OTAN se frtitte avec les russes, ces derniers ont les moyens de détruire les satellites, couler les porte avions, ce qui va pas mal poser de soucis a l’OTAN car c’est sa toute puissance, et ce sans recours au nucléaire!

      Dans le conflit actuel, très probablement provoqué par les occidentaux pour affaiblir poutine, la stratégie occidentale est de causer un maximum de pertes à l’armée russe sur sa partie la plus faible en livrant aux résistants ukrainiens des armes pour faire de la guérilla afin d’affaiblir politiquement Poutine. La Russie a certainement sous estimé cela mais ne l’empêchera pas de vaincre militairement si elle sort l’artillerie lourde. En revanche l’espoir de rallier la majeure partie du territoire ukrainien à la fédération de Russie doit s’éloigner de plus en plus.

      Les dindons de la farce, c’est les ukrainiens et les soldats russes qui payent de leur sang un différent entre les démocrates US et V.Poutine. Et les européens qui vont se ruiner en enrichissant les USA afin d’égratigner légèrement l’économie russe en représailles à un conflit qu’ils n’ont pas compris.

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