Retraites : à problème mal posé, pas de bonne solution

Pour régler le problème des retraites il faut se tourner vers le capital humain.

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Retraites : à problème mal posé, pas de bonne solution

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 14 mars 2022
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Nommé Commissaire aux retraites en 2017, Jean-Paul Delevoye remit au Premier ministre Édouard Philippe son rapport sur la réforme des retraites le 18 juillet 2019. Las ! des oublis découverts dans sa déclaration de revenus amenèrent le Haut-commissaire à démissionner le 16 décembre. C’est donc son remplaçant, le député Laurent Pietrazewski, qui présenta au Parlement le projet de loi préparé par l’équipe Delevoye.

Ce texte fut enregistré à la présidence de l’Assemblée le 24 janvier 2020, sous la dénomination « équité et liberté dans le choix de départ à la retraite ». Le 5 mars 2020 ce projet de loi organique fut adopté en première lecture, mais on sentait bien que son adoption définitive, à commencer par son passage au Sénat, serait une opération délicate. L’entrée sur scène du covid survint à point nommé pour donner une bonne raison d’enterrer ce projet, ce qui fut fait le 16 mars.

Question cruciale : comment préparer les futures retraites ?

La grande faiblesse du rapport Delevoye réside dans sa méconnaissance du fonctionnement réel des systèmes de retraites dits par répartition. Alfred Sauvy, fondateur à la Libération de l’INED, l’Institut national d’études démographiques, avait pourtant expliqué les choses de façon parfaitement claire : « nous ne préparons pas nos pensions par nos cotisations, mais par nos enfants ». Un législateur qui ignore cette réalité est un âne, dirais-je si je ne craignais pas d’être terriblement injuste envers ces quadrupèdes. Hélas, depuis 1941, les cotisations aux caisses de retraite officielles sont utilisées, non pour investir, mais pour payer les pensions liquidées. Un mot magique, répartition, adopté par nos gouvernants et nos parlementaires, a suffi : en répartition, des sommes versées au profit des retraités actuels sont considérées comme donnant droit à une pension future !

Le droit a ainsi divorcé d’avec la réalité. Les cotisations vieillesse consistent en fait à prélever sur les travailleurs ce qu’ils doivent à leurs aînés qui les ont engendrés, puis entretenus et formés durant de longues années. « Cotiser pour sa retraite », en répartition, est une fiction juridique dépourvue de toute réalité économique. En réalité, ces cotisations ne sont pas des investissements préparant l’avenir, mais un retour sur investissement qui devrait se réaliser au profit des personnes ayant antérieurement élevé des enfants ou financé leur formation.

Les cotisations vieillesse actuelles des actifs constituent en somme le remboursement à leurs aînés de ce qu’ils ont fait pour que la génération suivante existe et soit composée pour une bonne part de travailleurs efficaces. Or rembourser n’est pas investir ! Le législateur a donné un contenu incroyable à la maxime « qui paie ses dettes s’enrichit ». Cet enrichissement est moral, pas financier ! Je rembourse ce que je dois, je suis un bon citoyen, un honnête homme, mais pourquoi diable cela me donnerait-il le droit d’aller quelques décennies plus tard piocher dans les poches des travailleurs ?

Telle est la question cruciale. La réponse est limpide : durant la partie professionnellement active de notre vie nous préparons la phase suivante, nos années de retraite, en mettant au monde et en élevant correctement des enfants, et/ou en contribuant à la formation de l’ensemble de ces futurs producteurs.

Comme toujours, c’est en investissant que nous préparons l’avenir, et l’investissement majeur est l’investissement dans la jeunesse. C’est lui, et non les cotisations versées au profit des personnes âgées, qui mérite d’être récompensé par des droits à pension.

La déraison du législateur

La situation actuelle est bloquée par l’ignorance qui sévit en haut lieu. Les personnes d’âge actif mettent au monde et entretiennent des enfants, et paient des impôts ou autres contributions destinées à financer la formation du capital humain : c’est cela qui permet et justifie d’exiger des personnes en âge d’être actives des cotisations au profit de leurs aînés. Mais il devrait clairement s’agir de remboursements, et les remboursements ne donnent logiquement aucun droit nouveau, ils apurent une dette. Dès lors qu’elles sont destinées au paiement des pensions liquidées, les cotisations vieillesse constituent des remboursements, comme ceux d’un crédit immobilier, pas des investissements ! En inventant le remboursement qui donne des droits à l’instar d’un investissement, le législateur a construit une monstruosité économique et juridique.

Imaginons un instant que les mensualités prélevées par les banques au titre du remboursement d’un emprunt donnent lieu à une inscription créditrice sur le compte du client, et nous aurons compris combien il est absurde d’attribuer des droits à pension en raison des cotisations versées pour que les personnes âgées perçoivent une pension !

Le fait d’accorder des droits à pension pour récompenser les personnes qui s’acquittent, en cotisant, de ce qu’elles doivent à leurs aînés, est une erreur gravissime. Cotiser pour les retraités apure la dette contractée envers nos aînés, qui nous ont entretenus et formés durant notre enfance et notre jeunesse. Ces cotisations ne peuvent pas, en même temps, nous ouvrir des droits sur la jeune génération ! La législation des retraites dites par répartition, dans beaucoup de pays dont la France, manifeste de la part du législateur d’une incompréhension totale de la façon dont fonctionnent les échanges entre générations successives, dont les retraites constituent un volet.

Que faire ?

D’abord, comprendre que s’agissant des retraites, nos législateurs se sont fourrés le doigt dans l’œil jusqu’au coude ! Il n’existe pas d’autres moyens de préparer des retraites que de mettre au monde des enfants, de les élever correctement, de leur fournir une formation de bonne qualité, et de pratiquer les investissements requis pour avoir une économie florissante.

Ensuite, effectuer une remise en ordre juridique telle que le droit ne fasse plus le grand écart avec la réalité. Les cotisations destinées aux personnes âgées doivent cesser de procurer des droits à pension ; en revanche, les dépenses publiques en faveur de la jeunesse, à commencer par le fonctionnement du système scolaire et universitaire, doivent être financées par une cotisation ouvrant des droits à pension, et non plus par des impôts. La fonction éducatrice et nourricière des parents doit elle aussi être reconnue à sa juste valeur, comme une sorte de cotisation en nature procurant des droits à pension.

Nous ne parviendrons à effectuer une telle réforme que si le législateur s’extrait de l’univers onirique dans lequel il évolue actuellement, pour plonger enfin dans la réalité. La France pourrait renouer avec le rôle de « mère des lettres, des arts et des lois » que lui attribuait Joachim du Bellay : le remplacement de systèmes de retraites que certains n’ont pas vraiment tort de considérer comme une version officielle des combines de Ponzi et Madoff serait une avancée considérable ! La retraite par capitalisation classique ne peut pas tout régler, il nous faut mobiliser intelligemment le capital humain. Quel homme politique sera-t-il capable d’engager cette réforme fondamentale ?

 

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  • Le français veut le beurre, l’ argent du beurre et le sourire de la crémière………Il veut travailler moins, gagner plus et payer moins.

  • Le problème avec la réforme des retraites de Macron c’est surtout le vol de tous les caisses de retraite pour les unifier. Pour masquer le déficit de certaines, l Etat voulait voler l’argent des libéraux. L’Etat cherche à s’en approprier aussi la gestion totale alors qu’à l’origine c est une affaire entre patronat et salariés.

    C’est aussi ça la gros problème des 60 dernières années. La retraite initialement était à destination des travailleurs. Alors qu actuellement, n’importe qui y a droit, même un étranger n’ayant jamais travaillé une journée en France. Il y aurait aussi moins de problèmes si la priorité était l’emploi.

  • L’auteur suggère que le financement de l’instruction scolaire et universitaire par une génération ouvre un droit légitime à pension due par les bénéficiaires de la génération suivante. Et par un raccourci audacieux il semble en déduire que ce sont les parents (de familles nombreuses?) qui mériteraient une pension. Or qui finance le budget de l’Education Nationale quasi-gratuite pour ses bénéficiaires ? Principalement les contribuables sans enfants. Attention, on pourrait en déduire que les célibataires méritent plus leur retraite que les autres … ?

  • Donc d’après l’auteur, les personnes qui n’ont pas d’enfants n’auront pas droit à une pension. J’espère qu’elles ne paieront pas de cotisations. Sinon on est bien loin de l’esprit du libéralisme.
    Le plus simple, plutôt que d’imaginer des dystopies d’ingénierie sociale, est de laisser les citoyens libres de s’organiser eux-mêmes, vous verrez cela sera plus efficace (en plus de respecter les droits fondamentaux).

  • article intéressant, qui constitue une bonne base de discussion. Si d’un point de vue financier et éthique, les argument sont légitimes, il ne faut pas oublier l’aspect social. En effet lors de la création du système, (système de base, complété plus tard par des régimes complémentaires) il fallait reconstruire…après des faillites. Et surtout trouver des fonds immédiatement disponibles. C’est la répartition qui s’est imposée, évidement ça ressemble à une pyramide….de … sauf que cela donnait accès à tous (selon la doctrine de l’époque) à des prestations. Les assurances sociales, ne sont pas des placements, mais comme le nom l’indique des assurances, et normalement réservées aux cotisants, mais le système a été dévoyé… Si tout n’est pas parfait, il y a deux avantages : la masse des cotisations reste liée à la masse salariale et « suit » plus ou moins une éventuelle inflation, et surtout permet au petits salaires qui ne pourraient pas épargner d’accéder (se créer des droits) à une retraite (parfois trop petite… il est vrai). Les complémentaires ont amélioré le régime de base. Les régimes spéciaux, s’ils ne sont pas déficitaires, n’ont besoin de personne, sinon, il faut les « renflouer » (toujours avec l’impôt…) et là il faut se poser les bonnes questions. Quant au régime des fonctionnaires, c’est « simple », c’est le budget de l’état qui paye…. Le premier problème découle du mode de gestion paritaire, où les syndicats n’ont pas su s’adapter (peut-être trop démagogues), ensuite où l’état n’a pas réfléchi à l’avenir…. mais aussi est endetté et en mauvais gestionnaire, cherche des recettes….
    Sans avoir la « bonne » solution, on peut prédire dès à présent, que la mise en oeuvre d’une réforme, même équitable sera difficile et rencontrera des blocages…

  • Non, monsieur:  » à la maxime « qui paie ses dettes s’enrichit ». Cet enrichissement est moral, pas financier !  »
    Il est en fait moral mais aussi financier car celui qui ne paie pas ses dettes ne peut plus s’endetter davantage alors que celui qui les paie peut continuer à s’enrichir

  • J’ai du mal à imaginer les consequences totales de ce changement d’approche.

  • C’est une grande évidence que les retraités sont financés par les actifs, tout comme ce qu’ils mangent pousse habituellement pendant l’année. Se préparer une retraite confortable suppose donc de faire en sorte que la génération suivante existe et soit aussi prospère que celle du futur retraité.
    Il est un peu rapide de dire que dans le système par répartition, le cotisant ne prépare pas sa retraite mais paie celle de la génération précédente. On peut tout aussi bien dire que ce faisant on évite aux familles de devoir assumer la charge de leurs vieux (ce que faisaient nos ancêtres paysans). Le système par répartition allège donc la charge des familles actives et leur permet donc de mieux élever leurs enfants. Donc même un cotisant sans enfants finance en fait les enfants des autres par ses cotisations de retraite (et aussi par ses impôts) ce qui justifie donc que ces enfants renvoient l’ascenseur ensuite. Le système par répartition n’est donc ni mauvais, ni injuste. Il a seulement besoin d’un ratio raisonnable entre actifs et retraités (et donc une retraite pas trop précoce et une entrée pas trop retardée dans le monde du travail).

  • Une discussion à avoir sérieusement est celle de l’équité entre générations. La dette « remboursée » par nos aînés n’est pas du même niveau que celle remboursée par les actifs actuels. De même, le « Retour sur investissement » qui risque d’être pour les actifs actuels proche de… Rien du tout. On passe d’une départ à la retraite à 60 ans (parfois moins) dans les années 90 à un départ à 65 ans loin d’être garanti pour le présent proche. On passe de retraités généreuses à un montant tout à fait limite. Il faut rectifier le tir en transformant immédiatement et avec rétroactivité le système de retraite en « garantie contre la pauvreté issue de la vieillesse ». Un montant égal pour tous, permettant de vivre dignement, versé à partir de 60 ans et en complément seulement des autres revenus éventuels, rentiers ou autres, et tenant compte de la propriété ou non de la résidence principale. Un RSA vieux si on veut d’un montant permettant de vivre dignement, j’insiste là dessus.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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