Conflit ukrainien : le piège du patriotisme

Attention au piège du patriotisme, qui pourrait faire de vous ou de votre voisin la personne à abattre ou la chair à canon d’un général de salon.

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Conflit ukrainien : le piège du patriotisme

Publié le 3 mars 2022
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Les anciens avaient pour habitude, lorsque les choses n’allaient pas au mieux dans le monde, d’en appeler à une bonne vieille guerre. Aussi, il n’est pas surprenant que nous nous retrouvions à l’aube d’une possible guerre de grande ampleur, après deux années pourries par le covid. M. Poutine a sans doute dû – au-delà des considérations géopolitiques – y voir une distraction utile à ses plans nationaux, alors que son bilan dans la gestion du virus de Wuhan est loin d’être flamboyant. Cependant, alors que je vois déjà fleurir les logos « Stand with Ukraine » sur les réseaux sociaux ou – à l’inverse – des diatribes pro-russes, voire même un sentiment pro-européen retrouvé, je me permets d’alerter les uns et les autres sur le piège qui nous est tendu : celui d’une fièvre patriotique généralisée.

Attention aux envolées patriotiques ukrainiennes et russes

J’apprécie la performance touchante et, je crois, sincère de M. Zelensky, ainsi que son courage. Étant donné sa situation et celle de son peuple, ses discours sont une étape nécessaire dans la défense du territoire ukrainien, et sa présence à Kiev est d’une bravoure à saluer. Mais cela ne me fait certainement pas oublier que tous les hommes de 18 à 60 ans sont interdits de sortie du territoire, afin de participer à l’effort de guerre. En tant qu’humaniste, libéral et volontariste, je trouve difficile à avaler que l’on condamne des innocents à une mort sinon certaine, au moins très probable, pour défendre un drapeau, quel qu’il soit.

Comme le disaient Frank Karsten et Karel Beckman, « [la] différence entre [les] communautés sociales et la démocratie, c’est que la démocratie est une organisation dont l’adhésion est obligatoire. »1 Nombreux sont les libéraux et libertariens qui soutiennent la fin des frontières pour cette raison. Que des Ukrainiens participent d’eux-mêmes au combat, ou que des Européens veuillent les assister, pas de souci. Mais n’ignorons pas le fait que cette poussée du nationalisme ukrainien s’accompagne d’un prix que peu d’entre nous seraient prêts à payer.

Pareillement, je m’inquiète de l’adulation de Poutine par des groupes divers et variés, y compris en Europe, sous prétexte qu’il serait un homme fort souhaitant défendre les intérêts et l’identité de sa nation. Envoyer des gens se faire zigouiller à sa place par folie expansionniste, empoisonner des opposants politiques par le slip… quel homme fort ! Il n’y a qu’un pas avant d’aller chercher un autocrate tout aussi mégalomane pour diriger la France, et pour quels résultats ? Pour rappel, les libertés civiles, politiques et économiques sont quasi inexistantes en Russie. En cette période électorale, pensez-donc bien à qui – si vous souhaitez voter – vous seriez prêt à donner un blanc-seing pour les cinq prochaines années, sous prétexte de vouloir préserver une supposée identité nationale ancestrale. Cela se fait toujours aux dépens des autres.

Les populations se font tuer

Tous ces discours grandiloquents et ces symboles que l’on agite devant les masses servent avant tout à les abrutir, les divertir et les asservir. Parfois même à les amener à commettre le sacrifice ultime. La classe politique et les capitalistes de connivence ont tout à gagner à se constituer des niches électorales et des poches de supporteurs serviles, prêts à mourir à leur place. Cette même classe dirigeante a le moins à perdre, quand bien même on l’empêcherait d’utiliser le système SWIFT. Hier, une histoire sortait dans les médias au sujet de 13 garde-côtes ukrainiens sur une petite île de la mer Noire, qui avaient décidé d’envoyer paître un navire de guerre russe. Spoiler : les garde-côtes sont tous morts . Le gouvernement ukrainien leur a promis les honneurs à titre posthume. La belle affaire ! Des tas de cendres honorés. Allez demander à leurs familles s’ils n’auraient pas préféré les avoir en vie, mais moins honorables. (Actualisation : il semblerait qu’ils aient finalement survécus selon les dernières informations)

En définitive, à l’aube d’une élection présidentielle et d’un possible conflit généralisé, attention au piège du patriotisme, qui pourrait faire de vous ou de votre voisin la personne à abattre ou la chair à canon d’un général de salon. La paix se fait d’abord par l’échange et la collaboration volontaire. Et si vous aimez les bruits de tambours, mettez-vous à la batterie !

 

  1. Dépasser la Démocratie, p. 71, Institut Coppet, 2013.
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  • La conduite des Ukrainiens est très honorable, mais il n’y a pas d’autre pays en lutte ouverte contre la Russie, mis l’abri par sa géographie d’une invasion par cette dernière, déterminé à résister, à partir duquel ils pourraient continuer le combat s’ils ne pouvaient plus le faire en Ukraine.
    Ils vont pleurer leurs milliers de morts, et leur pays ne sera plus qu’un champ de ruines.
    A mon sens, le réalisme commanderait qu’ils capitulent. Il n’y a pas de déshonneur à être vaincu par plus fort que soi.
    Et cela permettrait peut-être d’éviter le pire.

  • Si on ne peut qu’être d’accord pour dire que ceux qui appellent à se battre doivent être les premiers à donner l’exemple – car il est détestable de voir des gens appeler les autres à se faire trouer la peau pendantqu’eux-mêmes restent à l’arrière, bien à l’abri,
    Il me semble que l’on doit se poser la question suivante : prenons l’exemple de la Deuxième Guerre Mondiale, et de l’Occupation de la France par l’Allemagne nazie. Des gens en France, à l’époque, se disaient pacifistes, et refusaient de combattre les Allemands. Entre beaucoup d’autres, Jean Giono. À la limite, pourquoi pas, et cela signifiait, très concrètement, que ces gens acceptaient de vivre sous la férule allemande-nazie.
    En 44, il y eut les combats de la Libération, auxquels les gens comme Giono ne participèrent pas. Pourquoi pas, mais ne peut-on se poser la même question que je posais au début : les pacifistes ont laissé les Résistants et autres soldats alliés se faire trouer la peau pour que le pays redevienne libre – et qu’eux-mêmes bénéficient de cette liberté retrouvée. N’est-ce pas un peu facile ?

    On pourrait poser la question sous une autre forme : si un soldat russe (ou autre) débarque chez vous et s’en prend à vos biens, et pire, à votre famille, ou à vos voisins, vos amis, que faites-vous ? Vous quittez les lieux ? Ou vous prenez les moyens de défendre les gens agressés, même si ces moyens impliquent de s’en prendre physiquement à l’agresseur ?

  • « vous seriez prêt à donner un blanc-seing pour les cinq prochaines années, sous prétexte de vouloir préserver une supposée identité nationale ancestrale. »
    Oui, mille fois oui. car c’est moins d’identité nationale, dont il s’agit, que d’un fil historique, philosophique, culturel qui nous lie et nous oblige et que nous tentons d’entretenir depuis la civilisation gréco-romaine.

    Il est étonnant qu’au nom d’une universalité mercantile, les libéraux oublient leurs racines.

    De plus, je ne crois pas que Z ou MLP soient moins libéraux du point de vue économique que M. A moins que vous considériez que Macron soit libéral ?

  • Une sensation de dégoût m’inspire cet article. Ils se défendent, un point c’est tout. Ils font ce que les Français n’ont pas fait en 1940, alors un peu d’humilité svp. Renvoyer les parties dos à dos, c’est déjà criminel.

    -2
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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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