Quoi qu’il en coûte, fausse croissance et vrais problèmes

N'écoutez pas les rodomontades de Bruno Le Maire. En réalité, l’économie française n’a nullement retrouvé son niveau d’avant-crise, c’est-à-dire celui atteint en 2019.
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Bruno Le Maire by EU2017EE Estonian Presidency (CC BY 2.0)

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Quoi qu’il en coûte, fausse croissance et vrais problèmes

Publié le 1 février 2022
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Vous avez certainement eu connaissance de la grande et merveilleuse nouvelle : selon les chiffres provisoires de l’INSEE, l’économie française a connu une croissance de 7 % en 2021, l’un des meilleurs chiffres de la zone euro et du jamais vu en France depuis plus de cinquante ans ! Effacée, la crise du covid ! Oubliées, les craintes sur l’emploi et les faillites d’entreprises !

Et le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, tout sourire, d’entonner sa rengaine préférée depuis la rentrée : vive les Français qui ont fait preuve d’une détermination admirable dans l’adversité ; et surtout, vive le gouvernement dont la politique économique se révèle à l’évidence d’une pertinence inégalée !

Mais tout ceci n’est que la partie visible et sympathique de l’iceberg, la partie flatteuse dont les équipes macronistes se félicitent sans fin à quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle en espérant que la fable tiendra le coup jusque-là. Car en réalité, l’économie française n’a nullement retrouvé son niveau d’avant-crise, c’est-à-dire celui atteint en 2019.

Peut-être faudrait-il se rappeler d’abord que le recul du PIB fut de 8 % en 2020, soit l’un des plus violents dans l’Union européenne, comme on pouvait s’y attendre suite aux confinements et aux mises à l’arrêt brutales de multiples activités économiques. Si rattrapage voire dépassement il y eut en 2021, il ne concerne en réalité que les deux derniers trimestres 2021 comparés au quatrième trimestre 2019. Comme le précise l’INSEE sans équivoque dans sa publication :

En moyenne sur l’année 2021, le PIB augmente de +7,0 % après -8,0 % en 2020. Le niveau moyen du PIB en 2021 se situe ainsi 1,6 % en deçà de son niveau moyen en 2019.

Autrement dit, la France a retrouvé seulement 98,4 % de son niveau de 2019. Encore moins, en fait, car sans la pandémie, toutes choses étant égales par ailleurs, on peut supposer que notre économie aurait connu une certaine dose de croissance en 2020 et 2021 (Bruno Le Maire tablait par exemple sur 1,3 % dans son Projet de loi de Finances pour 2020).

Second point, le rebond « spectaculaire » de 7 % a eu un prix. Il comporte certes une part purement mécanique : quand les gens sont confinés, ils ne travaillent ni ne consomment ni ne se lancent dans de grands projets d’investissement faute de visibilité sur l’avenir ; mais dès lors qu’ils sont à nouveau libres de conduire leur vie économique à leur guise, ils se remettent à travailler, investir et consommer.

Mais il résulte aussi de la politique du « quoi qu’il en coûte » qui a consisté à soutenir l’économie à grands frais avec notamment la prise en charge du chômage partiel, le fonds de solidarité et les prêts garantis par l’État – tout ceci sans condition et sans qu’il y ait création de richesse proportionnelle concomitante.

L’année 2021 est donc fort différente de l’année 2019 car elle s’achève sur un niveau de dette publique exorbitant d’environ 116 % du PIB (chiffre INSEE du troisième trimestre 2021), après 98,1 % en 2019. Or à cette époque, notre niveau d’endettement public était déjà des plus périlleux, ne laissant à la France aucune latitude vraiment saine pour aborder la moindre secousse conjoncturelle, comme la crise du covid nous l’a amplement prouvé.

Une telle débauche d’argent magique, en France mais pas seulement, soutenue depuis plusieurs années par les politiques facilitantes des banques centrales a fini par avoir les conséquences auxquelles on pouvait s’attendre, à savoir le retour vrai de vrai de l’inflation – en attendant les hausses d’impôt.

Pour les banques centrales, la BCE en Europe, la Fed aux États-Unis, il s’agissait de soutenir l’économie par le rachat de blocs de prêts des banques, notamment leurs titres de dettes publiques – technique dite du quantitative easing – pour leur donner des marges de manœuvre supplémentaires afin de prêter encore plus aux entreprises privées et aux États « tout en faisant pression à la baisse sur les taux d’intérêt payés par tous les emprunteurs » – ainsi que l’écrivait en septembre dernier Agnès Bénassy-Quéré, chef économiste de la Direction générale du Trésor, dans une note sur l’endettement galopant de la France qui se voulait rassurante mais n’expliquait rien.

Mais bref, nous sommes aujourd’hui à 7 % d’inflation aux États-Unis, 5,3 % en Europe et 3,4 % en France. À noter que l’apparente meilleure situation française s’explique en partie par le fait qu’elle n’a pas connu de baisse de prix en 2020, contrairement à l’Allemagne ou les États-Unis par exemple. Mais ce dernier pays est néanmoins typique de la surchauffe inflationniste induite par le plan de relance démesuré de Joe Biden.

Oh, bien sûr, une partie de cette inflation résulte effectivement des inévitables goulots d’étranglement dans les approvisionnements consécutivement à la reprise de la production et de la demande un peu partout dans le monde au même moment. La présidente de la BCE Christine Lagarde aimerait même se persuader, et nous persuader avec elle, que c’est en fait la seule raison de cette inflation qui disparaitra dès que les échanges économiques auront retrouvé leur rythme de croisière, fin 2022 selon elle :

Mais au même moment, et au moment où Bruno Le Maire nous explique que oui, vraiment, tout va très très bien, la banque centrale américaine a annoncé qu’elle allait cesser ses rachats d’actifs des banques dès mars 2022 (plutôt qu’en juin) et qu’à cette date, elle allait aussi relever ses taux directeurs. Un serrage de vis suivi également au Royaume-Uni par la Bank of England.

Comme de son côté, le FMI a baissé ses prévisions de croissance pour 2022, aussi bien au niveau mondial (4,4 % contre 4,9 %) qu’en zone euro (3,9 % contre 4,3 %), en Chine ou aux États-Unis, autant dire que l’euphorie de l’argent facile n’est plus vraiment de mise. Les valeurs boursières ont sensiblement chuté ces derniers temps, ramenant nombre de valorisations optimistes à des niveaux plus compatibles avec l’économie réelle.

Pas de quoi pavoiser, donc. Et pas de quoi se réjouir non plus.

Dans un contexte de taux maintenus bas, le coût de la dette publique était presque négligeable, ce qui faisait dire à certains économistes que c’était le moment de s’endetter encore plus pour lancer de grands programmes de transition sociale et environnementale.

Mais avec la perspective de voir les taux remonter, une perspective à laquelle Mme Lagarde résiste mais qui n’a jamais été aussi probable qu’aujourd’hui, le futur n’est plus aussi simple. La fuite en avant dans la dette, cette politique économique jugée prodigieusement « efficace » par Bruno Le Maire, est en train de dérailler sévèrement.

Un de ces jours prochains, quand les aides publiques auront disparu et qu’il sera plus coûteux de s’endetter, l’économie réelle va se rappeler à notre bon souvenir, avec ses licenciements et ses faillites d’entreprises. Faillites dont le niveau 2021 est resté bizarrement très inférieur à celui de 2019 et des années précédentes (voir figure ci-dessous).

Il n’est pas exclu qu’Emmanuel Macron en soit pleinement conscient. On se rappelle qu’il s’était présenté à l’élection présidentielle de 2017 avec une mesure de réduction des effectifs de la fonction publique de 120 000 postes, puis qu’il l’avait promptement abandonnée sur l’autel de la proximité des services publics avec les citoyens peu après la crise des Gilets jaunes. Il se trouve qu’il envisage maintenant de faire de la préservation des services publics un grand argument de sa réélection. Nouveau concept : la modernisation de l’État ne doit pas être une question de suppressions de postes, mais de redéploiements sur le territoire.

Certainement une façon de récupérer un électorat traditionnellement socialiste tout en s’opposant par la même occasion à la candidate des Républicains Valérie Pécresse qui envisage pour sa part de tailler dans les effectifs des fonctionnaires à hauteur de 150 000 postes sur cinq ans. Mais peut-être aussi ce sentiment que la fonction publique est l’amortisseur idéal du chômage quand le chemin économique devient trop chaotique…

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  • Un peu vite il me semble, j’ai trouvé ceci:
    https://theconversation.com/la-dette-publique-boulet-des-banques-centrales-dans-la-lutte-contre-linflation-172629
    je n’ai aucune formation en économie (ni bac ES, ni licence d’économie-gestion), mais cet article semblent contredire ce que dit NMP, et si la banque centrale laisse filer (un peu) l’inflation pour desserrer l’étau budgétaire car l’inflation rend plus facile le paiement de la dette publique de la part de l’Etat, le tout avant de revenir à l’orthodoxie. Aussi les gouvernements peuvent forcer la banque centrale à maintenir les taux en émettant plus d’obligations, ce qui bloquent toute remontée des taux. Est-ce-que j’ai bien compris?

    • Bonjour,
      je ne suis pas économiste non plus, mais il me semble que toute dette qu’elle soit publique ou privée, doit un jour ou l’autre être remboursée! Et je ne vois guère de différence entre ces deux types de dette vu que seule la production de richesse ( matérielle comme les biens tangibles, ou immatérielle comme les productions intellectuelles) peut permettre de conférer à la monnaie imprimée par les banques une valeur réelle sauf à accepter que ladite monnaie soit dévaluée à proportion, spoliant « EN MEME TEMPS » les consommateurs et les épargnants!

    • La BCE peut jouer avec les dettes des différents pays de la zone Euros et les taux des emprunts dans cette zone, mais c’est oublier un peu vite que nous sommes dans une économie mondialisée et que ce petit jeu interne à l’UE risque de porter atteint à la valeur relative de l’€uro vis à vis d’autres monnaies et augmenter significativement le coût de nos importations ( vu que nous produisons de moins en moins en France ( Même pas les masques que nous avons du acheter en urgence aux chinois!)!

    • Si l’inflation revient, les taux d’intérêts monteront et la charge de la dette deviendra insoutenable. Charge de la dette 39Mrds, avec un taux de 0.11%. Si le taux passe à 5%, la charge de la dette des nouveaux emprunts pour rembourser le principal, sera multiplié par 50..

  • « Il n’est pas exclu qu’Emmanuel Macron en soit pleinement conscient.  »
    si il n’y avait que macron, il me semble que c’est une des caractéristique de l’époque.

    voyons donc…pour caricature la croissance c’est une mesure en fait de la consommation…( sa variation)

    c’est donc d’une certaine façon pour caricature , à un moment donné ce que le cultivateur utilise de son stock de récolte ou de ce qu’il emprunte. manger , ou semer..

    certes utiliser la récolte est le BUT de l’activité de l’agriculteur…

    mais se réjouir de augmentation de ce que l’agrcultuer mange…sans se soucier de son origine..
    c’est littéralement féliciter son voisin qui vit à crédits..

    l’agriculteur qui mange sa semaille..apparait pour son voisin « plus heureux »..
    et tant mieux pour lui…c’est son choix..

    sauf que l’etat a mis en place un stockage commun..et si on peut pousser la comparaison..avec des promesses de se voir retourner sa part de stock non en absolu mais en relatif…

  • économie , chômage , insécurité….rien ne va plus dans ce pays qui se tiers-mondisme ; l’aveuglement volontaire de ce gouvernement est à vomir ;

  • Les politiques sont en campagne, et là tout est dit…..
    pas besoin d’être économiste pour constater l’étendue de la dégringolade française : perte de l’industrie, balance importations/exportations catastrophique, endettement toujours croissant etc..
    Dans ce dernier quinquennat, l’argent « magique » va nous être « facturé » sous forme d’inflation. Les conséquences des arrêts de production dans le monde ont conduit à des pénuries qui vont alimenter des augmentations des prix…. les mécanismes mis en places par les banques centrales n’auront pas beaucoup d’effet sur le long terme. d’autant qu’une crise boursière peut éclater…

  • Ce qui est important c’est de revenir à ce que représente le PIB.
    L’article de Charles Gave sur l’Institut des Libertés est particulièrement clair : https://institutdeslibertes.org/le-pib-produit-interieur-brut-un-concept-non-seulement-faux-mais-aussi-extraordinairement-dangereux/
    En résumé, il suffit d’augmenter le nombre de fonctionnaires et d’emprunter pour cela et pour distribuer de l’argent « quoi qu’il en coûte » pour faire monter le PIB mais sans création de véritables richesses.

  • Oui, fausse croissance. Mais l’auteur reste un peu en retrait en citant les dépenses de chômage partiel ou le fonds de solidarité. Ces dépenses sont de type Keynesiennes et fabriquent indirectement de la « fausse croissance ». Mais il y a plus limpide, ce sont les dépenses de santé. Celles-ci viennent garnir la poche des profession de santé mais surtout elle rentrent directement pour la plupart dans la comptabilité du PIB. Et cette part du PIB se dégonfle automatiquement quand la pandémie s’en va, sauf à tester et vacciner sans raison jusqu’à plus soif ! Le contraire d’un investissement productif, où la croissance générée par la réalisation de l’investissement précède la croissance qui en résulte.

  • La charge de la dette est égale au montant des intérêts. Mais le montant à payer, ce n’est pas seulement les intérêts, mais aussi remboursement du principal. On peut toujours, au niveau du gouvernement, faire ‘rouler’ la dette en empruntant pour rembourser, ce qui, dans le domaine des affaires, est un délit appelé « cavalerie ». Ce procédé augmente le montant total à rembourser qu’il est d’usage de comparer conventionnellement au PIB. Le PIB est lui-même une image de la capacité de remboursement du pays.
    Si le gouvernement décidait de rembourser en un an la dette publique, il faudrait :
    1) qu’il crée une sorte de TVA pour toutes les entreprises d’un montant égal au chiffre d’affaires annuel de celle-ci, ce qui mettrait évidemment l’économie par terre, et tous les gens dans la rue, une fourche à la main.
    2) qu’il accepte de ne plus rien emprunter.
    Tout ceci pour dire qu’une dette égale à 115 % du PIB est une situation très inquiétante et dont il sera difficile de se sortir.

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