Hong Kong, vitrine de la « démocratie à la chinoise », au corps défendant de ses habitants

Pékin utilise Hong Kong comme un laboratoire pour sa vision de la « démocratie » qui apparait être un totalitarisme.

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Hong Kong, vitrine de la « démocratie à la chinoise », au corps défendant de ses habitants

Publié le 10 janvier 2022
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Par Chloé Froissart.
Un article de The Conversation.

Les élections législatives qui ont eu lieu le 19 décembre à Hong Kong ont parachevé l’alignement du système politique hongkongais sur celui de la Chine.

Pékin célèbre ce scrutin comme une victoire de la démocratie, en dépit du fait que les Hongkongais ont voté Non avec leurs pieds.

Ces élections, marquées par un taux d’abstention record (la participation n’a été que d’environ 30 %), ont vu les candidats pro-Pékin rafler 89 des 90 sièges du Parlement.

L’orchestration d’un plébiscite

Il ne pouvait en être autrement. Le scrutin a été organisé dans un territoire où il n’existe plus d’État de droit, plus de société civile, plus de liberté de la presse, plus d’opposition politique et où le système électoral a été réformé pour ne permettre l’élection que de personnalités loyales à Pékin.

L’adoption en juin 2020 de la Loi sur la sécurité nationale (LSN), qui condamne en termes extrêmement vagues les crimes de subversion, collusion avec les forces étrangères, sécession et activités terroristes et les rend passibles de prison à vie, s’est accompagnée de la création de nouvelles institutions, placées sous la férule de Pékin, pour la faire respecter. Ces institutions, de même que la reprise en main de la police, au sein de laquelle a été créée une véritable agence d’espionnage aux pouvoirs très étendus, et de la justice, où des juges spécialement désignés instruisent les dossiers des personnes arrêtées par la police spéciale, instaurent un état d’exception qui permet aux autorités hongkongaises d’« arrêter, détenir, censurer, perquisitionner, interdire et persécuter » sans garde-fou. De fait, cette loi et les réformes systémiques qui l’ont accompagnée ont achevé de faire disparaître toute opposition, que ce soit au sein de la société ou du système politique.

Les organisations de la société civile, autrefois l’une des plus dynamiques d’Asie, ne s’y sont pas trompées : une cinquantaine d’entre elles, notamment les piliers historiques du mouvement pro-démocratie hongkongais, se sont auto-dissoutes depuis cet été.

Quant aux médias, ils font l’objet d’une lente érosion depuis 2014 : suite au parachutage de cadres du Parti communiste chinois dans les rédactions, au rachat par des entreprises chinoises, à la persécution des journalistes, l’auto-censure, voire la censure ouverte, s’est installée. Cette dernière a notamment touché l’opérateur public Radio Television Hongkong, qui a dû supprimer de ses archives tous les documentaires ayant trait aux mouvements démocratiques. S’y ajoutent des coups d’éclat, comme celui dont ont été victimes l’Apple Daily, dont les bureaux ont été perquisitionnés et fouillés, et son fondateur Jimmy Lai, condamné à 20 mois de prison en décembre 2020 sous le coup de la LSN. Par conséquent, Hong Kong n’a cessé de dégringoler dans le classement mondial de la liberté de la presse publié chaque année par Reporters sans frontières, passant de la 18e place en 2002 à la 80ᵉ en 2021.

Dans les écoles et les universités, les enseignants sont sous surveillance voire soumis à des campagnes de diffamation, les programmes scolaires ont été révisés, les cours de culture générale et de pensée critique (liberal studies) supprimés.

Enfin, toute opposition politique a été réprimée. En 2016, Pékin a imposé aux députés l’obligation de prêter un serment d’allégeance au gouvernement de la Région administrative spéciale (RAS) – et in fine au PCC, c’est-à-dire d’exprimer leur « patriotisme » – pour expurger le Conseil législatif de ses représentants démocrates issus du mouvement des Parapluies. Cette obligation a également servi à annuler les résultats des élections locales de 2019 qui avaient permis au camp démocrate de remporter 17 des 18 conseils de district, les élus démocrates ayant été disqualifiés ou ayant démissionné pour ne pas avoir à prêter serment.

Le camp démocrate a subi un nouveau coup avec l’arrestation massive, en janvier 2021, de tous ceux qui avaient participé à l’organisation de primaires en vue des élections législatives qui devaient se tenir en septembre 2020 et qui ont été annulées au prétexte de la situation sanitaire. Sur 53 personnes arrêtées, 47 ont été inculpées fin février ; parmi elles, plusieurs grandes figures du combat démocratique à Hong Kong. Aujourd’hui, la majorité des démocrates hongkongais est soit exilée, soit en prison.

C’est dans ce contexte que les autorités hongkongaises ont procédé à une reprise en main drastique du système législatif. La loi de mai 2021 achève de verrouiller le système électoral, sans en toucher la structure. Les membres du Conseil législatif (LegCo) de Hong Kong sont élus de trois manières : directement dans les circonscriptions ; indirectement par un comité électoral de grands électeurs issus des conseillers de district ; par des collèges socio-professionnels, qui sont des instances corporatistes où sont représentées en majorité des élites traditionnellement pro-Pékin.

Les réformes électorales ont eu pour objectif de garantir la prépondérance au LegCo des députés loyaux à Pékin (dits « patriotes »), en faisant passer le nombre de sièges pourvus au suffrage direct de la moitié à moins d’un quart. En outre, être candidat suppose désormais d’avoir obtenu l’investiture d’au moins dix membres du Comité électoral. Or celui-ci est devenu essentiellement composé de membres pro-Pékin, suite à la stratégie de disqualification des élus démocrates issus des élections de 2019, et à la réforme qui accroît le nombre de ses membres désignés. Enfin, la composante pro-Pékin des collèges socio-professionnels a été renforcée, notamment parce que le collège réservé aux organisations sociales reflète la structure d’une société où les anciennes organisations de la société civile ont cédé le pas à des organisations entretenant des liens avec la Chine continentale.

Suivant le passage de cette loi qui prévoit également l’établissement d’un comité d’examen devant confirmer l’éligibilité des candidats en conformité avec la LSN (dont la décision est sans appel), la plupart des démocrates restants, notamment du People Power Party, du Civic Party et de la League of Social Democrats, ont renoncé à faire campagne et ont appelé au boycott des élections législatives du 19 décembre dernier.

Refus de se montrer « patriotes »

Ce scrutin se sera, en réalité, soldé par un camouflet pour Pékin et le gouvernement de la RAS : les Hongkongais ne se sont tout bonnement pas sentis concernés.

Avec seulement 30,2 % de votants, le taux de participation le plus bas depuis 1991 alors même que 92,5 % de la population éligible est inscrite sur les listes électorales, les habitants ont clairement exprimé leur refus d’« être des patriotes ». En outre, la proportion de bulletins blancs ou nuls est la plus élevée (2 %) des six élections législatives organisées depuis l’an 2000. Par comparaison, le taux de participation était de 58 % lors des élections législatives de 2016, et de 71 % lors des élections de conseils de district de 2019. Ce refus est celui de ravaler la politique à la seule amélioration des conditions de vie de la population, thème dominant la « campagne » conduite par tous les candidats autorisés et de valider le bilan sécuritaire du gouvernement de la RAS.

Pourtant, le gouvernement de la RAS avait tout fait pour mobiliser les Hongkongais afin qu’ils participent à ce plébiscite : ouverture de bureaux de vote aux portes de Shenzhen pour encourager le vote des électeurs habitant de l’autre côté de la frontière ; transports publics gratuits le jour de l’élection ; et jours de congés accordés en échange du vote par certaines grandes entreprises voulant témoigner de leur patriotisme.

Mais en profitant de l’aubaine pour se rendre à la plage ou dans les parcs, la population a signifié qu’elle n’était pas réceptive à ces tentatives de séduction, pas plus qu’à la « terreur blanche » que tente de faire régner le gouvernement de la RAS avec l’appui de Pékin. La dernière tentative pour imposer cette « terreur », la criminalisation de l’appel à voter blanc ou à ne pas voter, a conduit à l’arrestation d’une dizaine de Hongkongais ayant osé faire circuler des appels à boycotter le vote. Mais la population a trouvé la parade à la répression : l’activisme politique des années 2010 a cédé le pas à la résistance passive, au refus de collaborer.

Laboratoire de la « démocratie » à la chinoise : chronique d’un totalitarisme annoncé

Il n’en reste pas moins que ces élections ont été célébrées comme un plébiscite du gouvernement par la cheffe de l’exécutif Carrie Lam, qui a déclaré que le faible nombre de votants exprimait la satisfaction des Hongkongais à l’égard de leur gouvernement, et comme une victoire de la démocratie par Pékin.

Dans le contexte de guerre idéologique avec les États-Unis et dix jours après l’organisation du Sommet pour la démocratie par l’administration Biden, la Chine s’est servie de l’exemple hongkongais pour donner corps à ses tentatives de redéfinition de la démocratie et élargir son audience à l’international.

Au lendemain des élections, Pékin a publié un Livre blanc intitulé Hong Kong : progrès démocratique dans le cadre d’un pays, deux systèmes. Faisant suite à la publication début décembre d’un Livre blanc sur la démocratie populaire en Chine intitulé La démocratie qui marche et d’un autre sur la démocratie américaine exposant les lacunes et les abus de la démocratie aux États-Unis, celui sur Hong Kong rappelle que le Royaume-Uni n’a jamais instauré de véritable démocratie sur ce territoire qui a été sa colonie de 1842 à 1997 et vante les progrès accomplis par la RAS vers l’instauration du suffrage universel pour l’élection du Legco et du chef de l’exécutif tels que promis dans la Basic Law, autrement dit vers la réalisation pleine et entière du principe d’« un pays deux systèmes ».

Reprenant l’idée d’une démocratie efficace, il vante la LSN comme le meilleur garde-fou contre le chaos et les blocages qui ont caractérisé la vie politique hongkongaise avant son adoption. En somme, le Livre blanc présente la LSN et les réformes électorales comme les garants d’une démocratie de qualité au bénéfice du bien-être de la population hongkongaise.

Ce discours n’est pas nouveau : le PCC s’est toujours revendiqué de la démocratie, qu’il entend mettre en œuvre notamment grâce à des élections de villages et districts urbains. Les principes de cette « démocratie » ont désormais été étendus à Hong Kong : un homme, une voix, mais dans le cadre d’un pluralisme et d’une représentation limités où les candidats, même s’ils ne sont pas nécessairement membres du PCC, en reconnaissent l’autorité, et sont élus selon un scrutin uninominal, celui-ci ayant été substitué au scrutin de liste, plus représentatif, par la réforme électorale hongkongaise.

Après avoir redéfini, avec la LSN, l’État de droit comme un état sécuritaire, Pékin redéfinit la démocratie comme un régime politique où règnent l’ordre et l’efficacité puisqu’il n’existe plus d’opposition politique.

Prochaine étape : l’élection du chef de l’exécutif

L’enjeu est désormais d’obtenir coûte que coûte l’adhésion populaire à cette démocratie autoritaire dans la perspective de l’élection du chef de l’exécutif, le 27 mars 2022, selon les modalités – exercice du suffrage universel pour choisir parmi des candidats investis par un Comité électoral entièrement contrôlé par Pékin – qui ont été refusées par la population lors du mouvement des Parapluies.

Les élus hongkongais s’y emploient déjà, soulignant qu’ils auront pour rôle de superviser le gouvernement et de faire des propositions constructives. Et il est à craindre que la disparition des derniers bastions de presse libre avec la fermeture des médias indépendants en ligne – dont Stand News et Citizen News ne sont que les premiers d’une hécatombe qui procèdera de la même manière que celle qui a frappé les organisations sociales –, alliée à la reprise en main annoncée d’Internet, n’achève d’aligner Hongkong sur le système totalitaire de la Chine en propageant le cynisme.

Car, comme le soulignait Hannah Arendt, « à partir du moment où il n’y a plus de presse libre, tout peut arriver. Ce qui rend possible le gouvernement d’un régime totalitaire c’est que les gens ne sont pas informés. Comment avoir un avis si l’on n’est pas informé ? Si tout le monde ment, la conséquence n’est pas que vous croyez aux mensonges, mais plutôt que personne ne croit plus à rien. »The Conversation

Chloé Froissart, Professeur d’histoire et de science politique au département d’études chinoises de l’Inalco, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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  • Il y a un pays qui se situe a 9 620 km de Hong-Kong où il n’existe plus non plus d’État de droit, plus de société civile, plus de liberté de la presse et plus d’opposition politique et ou un scrutin pourrait être organisé avec une forme d’éviction d’une partie de la population qui sert de bouc-émissaire au pouvoir.
    Ça restera une autre surprise de cette période: la désintégration complète des intellectuels « libéraux » empêtrés dans leur extrémisme idéologique devant la montée de ce qui est un véritable fascisme.

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