C’est avec beaucoup de tristesse que j’ai appris la disparition de Laurent Bouvet samedi dernier. Laurent Bouvet s’est fait connaître dans le débat public comme un ardent défenseur de la laïcité et de la gauche républicaine contre le cancer identitaire qui la ronge depuis des années.
Ancien militant de l’Unef, du parti socialiste puis co-fondateur du « Printemps républicain », Laurent Bouvet n’appartenait pas vraiment à la famille politique libérale, qu’il critiquait volontiers. Il était toutefois un défenseur exigeant des principes de la démocratie représentative contre ses dérives populistes et un analyste sérieux qui avait répondu plus d’une fois à nos questions.
Sur le plan des idées, Laurent Bouvet était un interlocuteur profond et respectueux du pluralisme politique qu’il estimait nécessaire à la vie démocratique. Sur le plan humain, sa bienveillance naturelle en faisait un de ces honnêtes hommes des Lumières capable de prendre au sérieux vos convictions sans se départir de son humour décapant.
Philosopher avec Laurent Bouvet
Lire Laurent Bouvet était un plaisir (et il est vrai aussi, pour le libéral radical que je suis, un sujet d’agacement), le connaître, même un peu, a été pour moi un honneur. Inscrit en droit à l’Université de Lille 2, j’avais suivi ses cours de science politique à la fin des années 1990 comme des centaines d’autres robins. Il m’en était toutefois resté quelque chose, car contrairement aux cours de ses collègues politologues disciples de Pierre Bourdieu, on y parlait vie de philosophie politique, de Claude Lefort, de Cornélius Castoriadis de Hannah Arendt ou encore de Machiavel.
Fuyant le bourdivisme dominant de la région, je me suis retrouvé quelques années après en doctorat à Paris, où je retrouve Laurent, cette fois-ci au sein d’un groupe de recherches sur les États-Unis associé à Science po. Si la politologie lilloise était majoritairement bourdivine, celle parisienne sur les USA était déjà passablement pénétrée d’identity politics et de gauchisme culturel. Assez peu au fait des mœurs universitaires, je m’y étais présenté candidement comme travaillant sur le conservatisme, l’ancien comme le nouveau, et le libéralisme politique, provoquant l’hostilité sourde de la majorité de mes interlocuteurs, à l’exception de Laurent Bouvet.
Les idées ont des conséquences
Bien que militant et intellectuel social-démocrate, il était intéressé par ces sujets et ne perdait aucune occasion d’en discuter avec moi. Il était un excellent connaisseur de la démocratie américaine, de son système fédéral et des débats sur le sens à donner à sa Constitution libérale. Il avait consacré sa thèse au multiculturalisme, et écrit en 1997 avec Thierry Chopin Le Fédéraliste : la Démocratie apprivoisée, le célèbre recueil d’articles écrit par les pères fondateurs de la Constitution américaine. C’est d’ailleurs grâce à François Furet qu’il était parti étudier aux États-Unis.
Laurent Bouvet aimait la vie de l’esprit : il pensait comme Richard Weaver que « les idées ont des conséquences », que leur déroulement ne devait jamais tourner au monologue, et j’en étais aussi convaincu. C’est donc tout naturellement que j’assistais aux rencontres qu’il organisait dans le courant des années 2000, rue de Sèvres, dans le cadre du Parti socialiste, qu’il a ensuite perpétué sous d’autres formes, notamment au sein de la Fondation Jean Jaurès quelques années après.
Parmi ses sujets de recherches, on trouvait le social-libéralisme et l’expérience de troisième voie britannique des Anthony Giddens et des Tony Blair. Mais ses convictions profondes restaient marquées par son attachement à une gauche populaire profondément associée dans son esprit à la méritocratie républicaine.
J’ai ensuite perdu de vue l’homme, tout en suivant de loin sa carrière et ses idées. Il me semble que certaines désillusions sur l’université comme sur l’avenir du Parti socialiste l’ont conduit à se consacrer à la vie civique, dans laquelle il a excellé, tirant ses interlocuteurs vers le haut : les idées ont des conséquences, mais l’enseignement supérieur et les partis bureaucratisés ne les prennent plus au sérieux depuis bien longtemps.
Je l’ai retrouvé au meilleur de sa forme au moment de la fondation du Printemps républicain, entamant une véritable seconde carrière publique. Il n’était pas qu’un enseignant, c’était aussi un citoyen d’un courage hors norme. Loin des caricatures malveillantes que ses nombreux ennemis ont véhiculé sur les réseaux sociaux pour détruire tout ce qu’il représentait, je garde en mémoire le souvenir d’un homme intègre, tolérant, et d’un éducateur exemplaire. Qu’il repose en paix.
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