Par Gérard-Michel Thermeau.
La légende de Fei relève du wuxia. Les séries chinoises sont très souvent des adaptations de web romans. Parmi les auteurs, l’un des plus connus est Priest. Ce pseudonyme religieux dissimule une prolifique romancière dont plusieurs web romans ont été adaptés en Chine sous forme de BD, séries d’animation ou drames télévisés. Elle est considérée comme une des meilleurs auteurs de wuxia.
Un grand nombre de ces Å“uvres sont des Boy’s love mais You Fei relève du Boy’s Girl. Si plusieurs de ses romans ont ainsi fait l’objet d’une adaptation, les résultats ont été peu satisfaisants semble-t-il. La légende de Fei n’échapperait pas à la règle selon les connaisseurs.
Un nouveau succès pour Wang Yibo
Wang Yibo partageait la vedette de The Untamed avec Xiao Zhan. Aussi la nouvelle série tournée par le danseur devenu acteur était-elle attendue avec impatience. Le succès devait être au rendez-vous. La légende de Fei est cependant centrée sur un personnage féminin mais, disons-le tout de suite, un personnage plus intéressant que dans The Wolf ou Douluo Continent. La Légende de Fei adapte donc, de façon assez libre semble-t-il, le web roman désigné sous le nom de You Fei ou de Bandits.
Soucieux d’enrichir sa palette d’acteur Wang Yibo interprète un personnage aux antipodes de celui qui l’a rendu célèbre. Léger et bavard, il campe l’héritier d’une dynastie déchue qui lui vaut d’être surnommé le « petit empereur ». Bien que comptant des fidèles dans une Chine ravagée par les troubles, Xie Yun n’est guère intéressé par la conquête du pouvoir, moins encore après avoir rencontré notre héroïne, la Fei du titre. Il ont d’abord commencé par croiser le fer, enfin façon de parler, notre héros étant surtout un roi de l’esquive.
Les lecteurs du roman original ont trouvé que son personnage prenait trop de place au détriment de l’héroïne. Mais le vedettariat a ses exigences.
La Légende de Fei, un récit initiatique
Cette farouche et juvénile amazone, Zhou Fei, est l’héritière du Maître d’une confédération de clans réfugiée dans une montagne inaccessible. On traduit le lieu par l’expression 48 Forteresses (ou bastions) mais il serait plus logique de dire Forteresse des 48 puisque cette « forteresse » abrite 48 clans. Le Maître en question est d’ailleurs une maîtresse femme, qui a hérité son pouvoir de son papa. Le grand-père joue un rôle dans cette aventure, les retours en arrière étant de rigueur, histoire de compliquer un peu la narration.
Sans entrer dans le détail d’une intrigue compliquée, disons qu’il est beaucoup question de poison, presque tous les personnages étant empoisonnés à un moment ou à un autre, et de sabres brisés. Ces derniers le sont régulièrement par une héroïne qui change d’arme plus souvent que de chemise. Rien ne lui résiste à cette gamine douée. Nous avons typiquement un récit initiatique où notre héroïne va enrichir sa palette de compétences par des rencontres successives avec des maîtres (des deux genres) de la génération précédente en voie d’effacement. On regrette simplement que les combats soient le plus souvent si mal filmés.
L’amour menacé par la mort
Au couple principal s’agrège deux couples secondaires. Li Sheng, le cousin de l’héroïne, au départ jaloux, va gagner en maturité et rencontrer une intellectuelle de bonne famille, Chuchu. De son côté, la cousine écervelée, Li Yan, va tomber dans les bras d’un gros benêt, Yang Jin, plus prompt à brandir son arme gigantesque qu’à utiliser sa cervelle. Qui se rassemble s’assemble.
Mais l’accent est avant tout mis sur l’amour menacé de nos deux protagonistes. Le « petit empereur », rongé par un poison incurable (à moins que…) est semble-t-il condamné à mourir. En attendant, il ne cesse de s’affaiblir tout en connaissant des périodes de rémission. Notre amazone intrépide va dès lors se lancer à la recherche des rares ingrédients qui pourraient, sinon le guérir, du moins ralentir l’issue fatale. Tout cela baigne un moment dans une atmosphère mélancolique qui n’est pas sans charme.
Une bien longue série
Mais 51 épisodes c’est bien long, et l’intérêt languit souvent, certaines situations étant longuement étirées sans beaucoup de nécessités. On a l’impression que les scénaristes, comme Dumas autrefois, sont payés à la ligne. Les dialogues lourdingues et inutiles prolifèrent dans La Légende de Fei. Le nombre de fois où dans chaque épisode les divers personnages demandent : « Ça va ? » ou « Comment vas-tu ? » est incalculable.
On se demande également où est passé le pognon dans cette production affichant un budget considérable. Certainement pas dans les costumes assez moches dans l’ensemble. Mais peut-être dans la plantation de faux arbres et l’installation de faux rochers. Par rapport à d’autres séries qui utilisent davantage les décors naturels, La Légende de Fei use et abuse des forêts artificielles.
Zhao Liying reine des drames chinois
En dépit de son énorme succès, elle a été critiquée par les connaisseurs du genre pour ses infidélités à l’Å“uvre d’origine et la médiocrité de sa mise en scène. Zhao Liying a été jugée peu convaincante dans le rôle principal. De méchantes langues ont lourdement insisté sur l’âge du capitaine.
Ces reproches sont assez étonnants. Si elle n’a peut-être plus l’âge de jouer les adolescentes naïves, son solide métier la rend néanmoins fort convaincante dans son incarnation d’une jeune combattante qui va combiner les styles de combat pour s’imposer dans le monde des arts martiaux. À la voir, on comprend pourquoi elle est considérée comme la reine des drames chinois.
Les méchants dans La Légende de Fei
La légende de Fei bénéficie aussi d’une belle galerie de méchants, tous bien typés. D’un côté, nous trouvons les Quatre Dieux, notamment le sournois Dragon Azur avec sa souris espion et l’excentrique Maitre Vermillon, sorte de Bianca Castafiore masculine. De l’autre, la secte Disha, toute de noire vêtue, compte de nombreux adeptes adorant porter masques et capes avec capuches. Ses leaders portent des noms pittoresques, Chien Vert ou Panthère Géante.
À la tête de ce Manoir maléfique, une sorte de Richelieu chinois, Shen Tianshu (Geng Le) flanqué de sa Milady, Lianshen l’empoisonneuse, est un méchant de très grande classe.
Disha sert aussi les desseins d’un prince comploteur même si la situation politique présentée dans la série est assez confuse. Ajoutons quelques crapules de second ordre mais de bonne facture comme un eunuque impérial et un chef de secte qui se croit plus malin qu’il n’est. Tous courent après un trésor caché qui doit donner la toute puissance, air connu.
La légende de Fei, un spectacle divertissant mais bien moyen
L’analyse politique ne vole pas haut. Il semble que l’on ait fortement édulcoré le roman d’origine dans ses dimensions critiques. La Forteresse des 48 était un havre de paix dans un monde troublé mais aussi un lieu échappant au pouvoir politique. La critique du pouvoir étatique est ici très fortement atténuée.
Le pouvoir est mauvais quand il est entre de mauvaises mains. Il est bon quand il est en de bonnes mains. Une fois éliminé le mauvais prince et la secte de Disha, la paix revient et tout est pour le mieux dans la meilleure des Chines possibles. Soucieux du bonheur du peuple, le « petit empereur » renonce à toute prétention au trône pour vivre heureux avec sa bien-aimée.
Spectacle divertissant, la Légende de Fei est néanmoins d’une qualité très moyenne, à des années-lumière de The Untamed. Mais elle est sans doute très représentative de ces séries chinoises produites à la chaîne. Elle a été, en tout cas, la deuxième plus regardée de la première moitié de l’année 2021.
Si son succès était prévisible, il n’en va pas de même de la plus grosse surprise de ce premier semestre 2021, Word of Honor. Là aussi, il s’agit d’une adaptation d’un roman de Priest. Nous en parlons dans le prochain épisode.
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