Supprimer l’ENA, mais aussi la tradition saint-simonienne et l’État-providence

Pour en finir avec l’ENA, il faut non seulement la supprimer mais aussi restaurer les formations universitaires, réduire au strict minimum les investissements publics, et ramener l’État à ses missions subsidiaires régaliennes.

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Supprimer l’ENA, mais aussi la tradition saint-simonienne et l’État-providence

Publié le 21 avril 2021
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Par Jacques Garello.

La suppression de l’ENA n’est qu’une impudente opération de communication parce qu’elle a déjà été évoquée par Emmanuel Macron dans sa campagne électorale et relancée il y a plus d’un an dans la perspective des municipales.

Suppression de l’ENA en campagne électorale

En effet, le mardi 18 février 2020 était remis au gouvernement le rapport de Frédéric Thiriez, investi par le Président de la mission d’étudier la suppression de l’ENA, qui coûtait trop cher depuis son transfert à Strasbourg.

Depuis quinze mois rien de nouveau : une farce est par nature sans lendemain ; mais la voici qui fait la Une de l’actualité depuis la semaine dernière ! C’est que notre cher Président ressort le lapin de l’ENA de son chapeau électoral chaque fois qu’il s’agit de conquérir l’appoint de quelques millions de citoyens populistes qui exècrent à juste titre le pouvoir élitiste. C’est réellement se moquer de la démocratie que d’utiliser une propagande aussi grossière.

Nous ne savons pas aujourd’hui si la propagande aura des effets électoraux proches (régionales de juin 2021) ou éloignées (présidentielles de 2022). Mais suivant son habitude, le Président entend séduire « en même temps et ensemble » tout le spectre des électeurs et exploiter les mécontentements populaires – car la majorité des Français n’aime ni l’ENA ni les énarques.

Bien évidemment les libéraux français ont toujours été opposés à l’ENA.

Deux députés libéraux, Hervé Novelli et Jean Michel Fourgous, avaient déposé en 1993 une proposition de loi pour la suppression de l’ENA. Naturellement ils n’avaient pas été suivis par une Assemblée nationale de droite dûment chapitrée par le gouvernement Balladur.

Mais les libéraux savent bien que l’ENA n’est pas en soi le problème. À la question débattue depuis quelques jours de savoir si les énarques sont formatés il a souvent été répondu Non. « Je ne suis pas sorti d’un moule » avait dit Emmanuel Macron pendant sa campagne, lorsque lui avait été demandé s’il pourrait réformer le pays alors qu’il était énarque.

L’énarque est-il formaté ?

La réponse est évidemment oui, quatre fois oui.

Le programme et les enseignants de la prestigieuse école

La pensée unique y triomphe depuis sa création en 1945 : du point de vue économique la troisième voie entre communisme et libéralisme, entre plan et marché ; du point de vue politique un pouvoir absolu et jacobin.

Le recrutement des énarques

La plupart d’entre eux est issue des grandes écoles qui sélectionnent de jeunes esprits parmi les plus brillants. L’université et les diplômes qu’elle délivre n’ont aucun intérêt, l’enseignement supérieur y étant en fait nivelé par le bas depuis des décennies. La grande école est une spécificité française, alors qu’ailleurs les études se font dans les universités. Mais une grande école est une école où le savoir ne se discute pas, alors que la tradition universitaire tolère une large ouverture d’esprit et la diversité culturelle.

La culture du socialisme saint-simonien

Les grandes écoles françaises, et en particulier l’École polytechnique, cultivent consciemment ou non, le socialisme saint-simonien. Peut-être parce qu’il n’y avait pas été admis, Henri de Saint Simon lui vouait une admiration sans borne, et avait conçu l’idée que seule une élite d’un niveau intellectuel élevé pouvait être utile à une société scientifiquement organisée.

Toute son œuvre est imprégnée du mépris pour les politiciens, juristes, magistrats, propriétaires, et de l’admiration pour les scientifiques, les industriels. Selon Daniel Villey, « il appelle de ses vœux une nouvelle noblesse de laboratoire et d’affaires. Banquiers et entrepreneurs sont faits pour s’entendre car le crédit est nécessaire pour réaliser les grands projets de la nouvelle ère scientifique ; Saint Simon partageait ici la croyance d’Auguste Comte dans l’avènement d’un nouveau monde.

Les disciples de Saint Simon vont en effet donner toute la mesure de leur créativité, mais aussi de leurs débordements, avec le Second Empire. Napoléon III les a encouragés – et les grands travaux publics aussi bien que les grandes banques (et les grands scandales financiers aussi) vont laisser des traces dans l’esprit français : l’État est innovateur, le pouvoir est au service du progrès et de la richesse.

Voilà sans doute la grande aventure du capitalisme de connivence qui commence. Voilà pourquoi Valéry Giscard d’Estaing a créé la Fondation Saint Simon dans les lieux mêmes de l’École, les anciens bâtiments de la rue Descartes.

L’étatisme jacobin

La tradition saint-simonienne s’inscrit dans la séculaire exception française de l’étatisme jacobin.

L’Ancien Régime avait concentré le pouvoir entre les mains d’un despote absolu, mercantiliste spoliateur maître de l’économie et de la monnaie. La Révolution crée l’École en 1794 pour donner à la République les ingénieurs dont elle a besoin. Napoléon Ier couronne le tout en donnant à l’école une vocation et une organisation militaires.

La devise sera désormais : « Pour la patrie, les sciences et la gloire ».

Et depuis plus de deux siècles l’État élargit sans cesse son périmètre, jusqu’à devenir Providence quand le socialisme contaminé par le collectivisme communiste deviendra égalitarisme. Dans cette voie l’ENA elle-même sera réorganisée en pratiquant la discrimination positive, en tenant compte de l’origine sociale, de la parité des sexes, etc.

Emmanuel Macron voudrait que la nouvelle École d’Administration Publique soit un modèle de mixité.

Rien ne change, il faut en finir avec l’ENA

En conclusion, vous vous apercevrez sans doute que les thèmes, les phrases et les projets de notre Président s’inscrivent parfaitement dans la longue histoire de l’ENA : partant du despotisme de l’Ancien Régime, passant par le jacobinisme révolutionnaire et impérial, puis par le socialisme saint-simonien, l’École Nationale d’Administration est bien devenue le creuset où se fondent pouvoir politique, haute administration, grandes entreprises. Tous ensemble, et en même temps.

C’est ce qui a rendu l’ENA odieuse non seulement aux populistes, mais aussi aux démocrates, et aux libéraux.

Pour en finir avec l’ENA, il faut non seulement la supprimer mais aussi restaurer les formations universitaires, réduire au strict minimum les investissements publics, et ramener l’État à ses missions subsidiaires régaliennes.

C’est pour quand ?

Cet article est paru dans la Nouvelle Lettre du 16 avril 2021

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  • et si Marx et ses avatars étaient supprimés de l’ENA ?

    • Et si on demandait aux énarques de créer une entreprise avec au moins 20 salariés à leurs frais exclusifs avec le devoir d’être rentable dans les deux ans ?

    • Super article !
      Oui, agiter la possibilité de supprimer l’ENA est bien dans la tradition du mercantilisme politique français, où se sont illustrés Mitterandiens, Chiraquiens, Sarkozistes, Hollandistes, AristideBriandesque, LéonBlumesque… et j’en passe et des pas mal du tout.
      Comment voulez-vous SUPPRIMER une école qui fournit, la préfectorale, le judiciaire (administratif, et d’autres, sinon par une copie conforme.
      Donc, le mieux c’est de la rebaptiser « École d’Administration MACRON ». Et là tout va mieux.

  • Oui, vous avez raison.
    Mais nous sommes en France où seuls ceux que vous voulez remettre à leur juste place ont la parole et tiennent les leviers du pouvoir quitte à se jouer des institutions comme le fait Macron depuis son élection et surtout depuis la pandémie sans même y mettre les formes.

  • Je ne vois pas le rapport avec polytechnique si ce n’est que ce sont deux grandes écoles (enfin si on ose appeler ENA une grande école).

    • l’ENA est l’école d’où sortent les grands corps non techniques (Inspection des Finances, Cour des Comptes, Conseil d’Etat, prefectorale, et autres Administrateurs Civils). Polytechnique est l’école d’où sortent les grands corps techniques (Mines, Ponts et Chaussées, Telecoms, Eaux et Forêts, Instrument de Mesure, Aviation Civile, Météo etc). Il ya également quelques places (deux je crois) réservées à l’ENA pour les X.
      Les Corps de l’état ont d’autres ressources : Les contractuels, l’ENM etc pour les non techniques. Les TPE, et les écoles dédiés en concours direct pour les « Ingénieurs des travaux » divers des corps techniques. Ces deux écoles sont à la base de l’administration « de tête » en France. dans ces deux écoles, on peut également démissionner et passer directement (ou après un certain temps) au privé, avec des facilités de « paiement » pour rembourser la pantoufle (dans les deux cas, les élèves sont payés par l’état comme fonctionnaires lors de leur scolarité.

      • J’aime bien la réponse de Jamboree, à un bémol près ! Tout ce qui est finance est ultra-technique aussi. Le clivage entre charrue, armes.. etc, et monnaie, est de la plus haute antiquité.

  • renommer l’ENA, pour de basses vues politiques,si ce n’est pas prendre les francais pour des …s c’est quoi?

  • Notre système politique français est tellement sclérosé que la farce de la suppression de l’Ena n’y changera rien.
    Les 6 millions de fonctionnaires continueront de faire tourner la logique énarchique de notre Etat.
    Ensuite que ferions-nous de 2 ou 3 millions de chômeurs de plus? Qui paiera?
    Qui osera supprimer le millefeuille français?
    Qui osera flinguer le code du travail tellement destructeur d’emplois?
    Qui osera valoriser les régions en leur donnant une part de pouvoir et de budget?
    Qui?

  • Renommer l’ENA ils vont le faire mais supprimer cette structure jamais !

  • Déjà dit mais à redire : suis-je le seul à trouver vraiment curieux le fait que quelqu’un veuille supprimer l’école qu’il a faite ? Ca ne viendrait pas à l’esprit d’un X en tout cas ça.. Mais c’est comme si Macron nous disait qu’il considère avoir été mal formé (lui et tout ses camarades de promo, dont en particulier le patron de l’AFP..), et que cette école est néfaste pour notre pays.
    En fait il n’a pas le moindre début de conviction, de loyauté ou d’honneur..

    • Ma foi, pour l’ avoir faite E. Macron est plutôt bien placé pour savoir que cette école fabrique les crânes d’ œuf qui nous plombent. Ce qui est curieux…enfin le mot est faible, ce qui est et reste complètement scandaleux chez ce type c’ est le moment choisi, c’ est qu’ il la supprime et en même temps il ne la supprime pas, pour ne pas froisser les copains et en ouvrant l’ESP à toutes les origines pour bien savonner la planche aux critiques, d’ extrême droite forcément. Et je vous rejoins sur son manque abyssal de conviction.

      • Le simple faite qu’ une école soit ouverte à toutes les origines sociales ne devrait pas être un sujet.

        • Judicieuse remarque Stephane, oui c’est aussi curieux qu’on mentionne que la nouvelle ENA accueillera toutes les origines sociales.. Vive la France !

    • Effectivement, avoir soutenu un candidat socialiste se proclamant ennemi de la finance internationale tout en ayant soi-même fait ses armes chez Rotschild en dit long sur les convictions pour le moins ondoyantes du personnage.

    • S’il a les honneurs dans les roubignols … cela doit être roubignolesque 😉

  • dans la lignée jacobine de l’état français, ne pas oublier la période vichyste (avec les synarques), dont beaucoup de « réalisations » n’ont pas été remises en cause à la Libération…

  • Les commentaires sont fermés.

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