Tourisme et hôtellerie, tombés au champ d’honneur de la guerre sanitaire

Le monde d’après ressemblera en tout point au monde d’avant : une économie de surendettement sous tutelle publique, entravant la croissance économique et aggravant la précarité sociale.

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Hotel by SkyLuke8 (CC BY-NC-ND 2.0)

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Tourisme et hôtellerie, tombés au champ d’honneur de la guerre sanitaire

Publié le 27 novembre 2020
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Par Erwan Queinnec et Awena Queinnec1.

Parmi les secteurs économiques que mettent à mal la crise sanitaire, dans sa double-dimension de phénomène épidémique et politique, peu sont aussi atteints que la filière touristique. En France, celle-ci pèse lourd dans l’économie nationale -entre 7 % et 9 % du PIB selon les estimations, ce qui la situe au cinquième rang mondial sur ce critère, notablement au-dessus de la moyenne de l’OCDE (4,4 %).

Les sombres perspectives de l’hôtellerie

Tandis que nombre de secteurs industriels résistent grâce au commerce en ligne, le tourisme présente le profil d’une industrie de capacité – hôtels, moyens de transport, parcs, salles – dont le modèle d’affaires se conçoit difficilement en distanciel, quand bien même observe-t-on un développement du tourisme virtuel.

Qui dit « industrie de capacité » dit « frais fixes importants » que seul un chiffre d’affaires et donc, une fréquentation, permet d’absorber. Par exemple, au-delà des frais de personnel, un hôtel doit assumer des loyers immobiliers représentant fréquemment entre 10 % et 15 % du chiffre d’affaires annuel.

En outre, même en bénéficiant du report, voire de l’annulation, de ses charges fiscales ou sociales, un établissement doit assumer d’importants frais de maintenance : ainsi, une chambre ne saurait être laissée à l’abandon, sauf à entraîner des coûts considérables de remise en état.

Indépendamment de tout confinement, l’épidémie aurait réduit le flux mondial de touristes, donc impacté le secteur hôtelier, comme les attentats terroristes l’ont fait en 2015-2016. La clientèle professionnelle aurait également été tarie, dans le sillage d’une baisse internationale de l’activité.

Aggravant la tendance, les politiques publiques menées un peu partout dans le monde se sont avérées pro-cycliques, quoique selon des modalités variant notablement en degrés, mais affectant partout le tourisme international, 9 pays sur 10 ayant imposé des restrictions aux voyages.

En France, le premier confinement a ainsi entraîné la fermeture des établissements hôteliers pour une durée de 55 jours. Si l’hôtellerie de villégiature a ensuite pu limiter la casse en profitant du rebond de l’été – d’origine domestique – l’hôtellerie urbaine et péri-urbaine pâtit fortement de la perte des touristes étrangers, d’une part (35 % des nuitées, en temps normal, soit sensiblement plus que la moyenne de l’OCDE), de l’annulation de centaines de salons professionnels affectant sa clientèle business, d’autre part ; la clientèle professionnelle représente environ la moitié du marché hôtelier français.

Il est pour l’heure difficile d’établir un bilan d’ensemble des pertes induites tant les fonds de commerce hôteliers diffèrent selon leur localisation, leur taille ou leur gamme mais le chiffre d’affaires du secteur devrait accuser un recul de 50 %-60 % par rapport à l’étiage 2019 (les estimations d’après le premier confinement faisaient état d’une fourchette 35 %-45 %, que le second confinement aura bien entendu relevée). Accor, par exemple, fait état d’une diminution de 60 % de son revenu par chambre (RevPar), au premier semestre 2020.

Les grands groupes hôteliers comme Accor semblent avoir les reins assez solides pour absorber le choc, les établissements de chaîne représentant 17 % du parc hôtelier français : ils sont géographiquement diversifiés, commercialement segmentés, disposent de liquidités importantes et ont eu tendance, ces dernières années, à externaliser, donc flexibiliser leurs charges immobilières.

Pour autant, la crise challenge le modèle d’affaires de ces groupes, confrontés à des perspectives de reprise internationale plutôt moroses. Certaines estimations font état de 5 ans avant de retrouver les niveaux de fréquentation d’avant-crise.

Nombre d’établissements traversent la crise en diversifiant leur gamme de services, s’orientent vers une vocation que l’on pourrait qualifier d’établissement de jour, fournissant des espaces de télétravail ou des services de proximité ; d’autres repensent leurs modalités d’accueil pour devenir des lieux d’évasion – quasi-résidences secondaires à la journée – plutôt que des lieux de passage. Le secteur s’adapte donc, innove mais ne fera pas l’économie de restructurations douloureuses, se traduisant déjà par des plans de licenciement.

Pour ce qui concerne les 83 % d’établissements indépendants que compte le parc français, l’avenir est encore plus bouché. À l’horizon de quelques semaines ou mois, 15 % à 30 % de ces établissements seraient menacés de disparition et les pertes d’emplois se compteront en dizaines voire centaines de milliers.

Or, à l’instar de la filière touristique en général (7 % de l’emploi total en France), l’hôtellerie-restauration est un gros pourvoyeur d’emplois et surtout, d’emplois peu qualifiés.

Le secteur remplit donc une fonction sociale que la crise met à mal, même si elle ne fait souvent qu’ajouter aux fragilités structurelles de nombre de petits établissements, comptant moins de 30 chambres et peinant, en conséquence, à amortir leurs charges fixes.

Indemniser, relancer ou réformer ?

Si la bonne tenue de la saison estivale y rendra la pilule moins amère qu’ailleurs, l’impact de la crise sur la filière touristique française devrait se traduire par une perte de 2 % de PIB au bas mot, soit une quarantaine de milliards d’euros, environ 25 % de l’activité du secteur.

Dès lors, le plan de 18 milliards d’euros annoncé en mai dernier pour financer chômage partiel et besoin en fonds de roulement des entreprises (reports de charges, remboursements différés, prêts garantis) semble en-deçà des besoins ; quant au fameux plan de relance de 100 milliards d’euros, il ne prévoit pas de volet spécifique consacré à la relance du tourisme même si sa formulation transversale (diminution des impôts de production, en particulier) lui bénéficiera en partie.

Il est difficile de discerner ce qui, dans la crise du secteur, relève de la fatalité épidémique -cause contingente- ou de mesures politiques sacrifiant des pans entiers de l’économie nationale à la logique sanitaire.

Si l’on privilégie la cause politique, alors le bon sens voudrait que le supplément de dette publique induit par la crise soit réservé à l’indemnisation des pertes provoquées par les mesures de confinement. Si l’on privilégie la cause contingente, il appartiendrait alors au marché de réorganiser l’offre, nombre de fonds de commerce déjà structurellement fragiles changeant notamment de mains, à des prix sensiblement dévalués.

Le plan de relance n’obéit à aucune des deux logiques susmentionnées. Il constitue une sorte d’effet d’aubaine, permettant à l’autorité publique de s’affranchir du semblant de rigueur dont la fin des années 2010 aura été très brièvement contemporaine.

La crise sanitaire de 2020 referme ainsi une parenthèse ouverte par la crise grecque de 2011, au cours de laquelle l’attention portée à l’état des finances publiques ne se sera d’abord traduite que par des mesures d’austérité fiscale évidemment sans effet significatif sur les déficits (puisque les hausses d’impôt réduisent l’activité économique) avant que la monétisation des dettes publiques européennes, à partir de 2015, ne prenne définitivement acte de cette impuissance.

La crise sanitaire encourage donc les pouvoirs publics des pays surendettés à renouer avec leurs habitudes de gouvernement, consistant à dépenser sans compter. La double logique keynésienne (financement d’investissements dogmatiques, tels que la verdisation de l’économie) et planiste (le Haut-Commissariat au Plan) présidant à l’idéologie française de la « relance » permet ainsi à l’autorité publique de donner cours à ses « dépenses préférées », dans le cadre technocratique hors duquel il lui est impossible de penser ou d’agir.

À l’indemnisation ou la relance, un État éclairé aurait préféré une logique de réforme se traduisant par une libération massive de l’économie : levée des obstacles fiscaux et réglementaires à la transmission d’entreprises, à l’investissement et à l’embauche, de manière à ce que la filière touristique puisse se refinancer et se réorganiser, réformes structurelles allant dans le sens de la frugalité fiscale et la débureaucratisation du pays.

Il ne s’agirait donc pas « d’investir » à la va-vite dans tel ou tel secteur d’activité mais de créer les conditions institutionnelles permettant à un secteur privé requinqué de le faire, en fonction du seul critère permettant de qualifier un investissement de tel, à savoir les perspectives de rentabilité, donc de création de richesses, inférées des dépenses engagées.

Ce ne sera pas le cas et, en conséquence, le monde d’après ressemblera en tout point au monde d’avant, à savoir une économie de surendettement sous tutelle publique, entravant la croissance économique et aggravant la précarité sociale, jusqu’à l’avènement d’une nouvelle crise, sanitaire, politique ou financière.

  1. Awena Queinnec est titulaire d’un Master en management hôtellerie et tourisme, Montpellier Management, Université de Montpellier
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  • Destination touristique majeure, la France subit de plein fouet le choc des a entraves à

  • (suite)
    à la liberté de circuler prises au niveau mondial. Contrairement à d’autres pays moins « passants », la France ne peut pas se permettre une fermeture durable de ses frontières physiques sans un impact très lourd sur son économie. Nous ne sommes pas Taïwan, l’Islande ni même le Brésil! Cette donnée de base aurait dû être intégrée d’emblée dans les principes de gestion de l’épidémie : identification des pays à risque pour des contaminations extérieures, développement des capacités de test pour les voyageurs en provenance de ces pays, réactivité maximale… On en est très loin !

    • De même qu’on pouvait laisser les restaurants qui le souhaitent ouvrir leur terrasse. Les parcs sont pleins de gens qui piquent-niquent en ce moment. Avec une couverture (comme cela se fait beaucoup en Allemagne), c’est très agréable de déjeuner dehors ou de prendre un verre en hiver. Ca nuit aussi au tourisme, notamment au tourisme des Français. Des amis étrangers voulaient venir faire un petit tour de France. Pour se loger, ils imaginaient des Air bnb, mais la persective de ne même pas pouvoir manger un sandwich assis à une terrasse chauffée en sortant d’un musée ou après une marche à travers une ville française, les fait renoncer.

      • Il convient de rappeler que le virus incriminé a laissé en vie 99,96% de la population.
        Le confinement et l’arrêt de beaucoup d’activités était un objectif de « ceux qui nous gouvernent » (et qui ne sont pas ceux qu’on croit).
        Au point ù l’on en est, alors que cet automne ressemble à tous les autres du point de vue du nombre de réa et de décès, on peut se demander si le gouvernement ne souhaite pas avant tout éviter les moments de détente où l’on se retrouve. Cela permet de maintenir la camisole et évite que les gens puissent discuter…

  •  » le monde d’après ressemblera au monde d’avant « ….en pire , il y aura quelques millions de pauvres en plus….plusieurs milliers d’entreprises en moins ….

    • Oui Véra. Et pour les entreprises en moins, cela se voit déjà à l’oeil nu. Les façades fermées, taguées, barrées, « bail à céder », « à vendre » se multplient et offrent un triste spectacle.

  • Notre chère classe politique de tout bords qui a fait le choix de désindustrialiser la France et du chômage de masse au motif qu’il est bien indemnisé avait tout misé sur le tourisme et les services en transformant la France en parc d’attraction,quand on arrête ce secteur il ne reste plus grand chose et c’est la catastrophe.

  • certains s’imaginent , à tord , qu’ils ont la science infuse et qu’ils sont plus intelligent que les autres ; pourquoi se fatiguer à écouter les cours ?

  • DSK connaît très bien l’œuvre de Gary Becker, ça ne l’a pas empêché d’être socialiste.

  • Les mesures économiques efficaces sont politiquement impopulaires dans un pays très majoritairement socialo-collectiviste comme la France. Or des décisions politiques impopulaires ne permettent pas de se faire (re-)élire.

    Qui plus est, de telles décisions ne peuvent plus passer au-dessus du barrage de moins en moins insidieux et de plus en plus ouvert de l’administration. Car de telles mesures mettraient en cause son pouvoir et une partie de son existence même pour les recentrer sur le régalien.

    La priorité de l’immense majorité des personnes issues de Science-Po et de l’ENA étant de vivre confortablement dans le système étatique et grâce au système étatique, il ne faut pas leur demander de remettre en cause ce dernier. La gamelle est trop bonne. Ils feront tout pour que cela continu.
    CPEF

  • Bonjour (je suis l’auteur de l’article). Je ne suis pas « enseignant à ScPo » mais « diplômé de Scpo » ce qui n’est pas pareil… Par ailleurs, il existe quantité de cursus, au sein de ScPo, qui n’orientent pas vers la fonction publique; en gros, il faut avoir fait scPo avant d’intégrer l’ENA mais on peut faire ScPo sans même aspirer à l’ENA. Ceci dit, à ScPo comme au sein de l’université française, la religion dogmatique est interventionniste, donc socialiste. Je suis une exception…

  • Y a pas de quoi s’inquiéter, il va y avoir des changements de propriétaires et tout va repartir comme avant, c’est ça le grand reset ou comment voler vos biens pour les redistribuer aux bonnes personnes qui vous ont prêté de l’argent depuis des années.

  • Macron fait des déclarations toutes les semaines sur la covid, sa femme a disparut de la totalité du paysage audio visuel, des magasines et des journaux, est-elle toujours en vie ? si oui, les Macrons seraient-ils en train de préparer le plus grand crash financier et immobilier du 21 siècle, les faillites des hôtels, restaurants, salles de spectacles, campings etc… vont généré des millions de chômeurs, les rues deviendront encore plus dangereuses, les enfants connaîtrons de nouveaux la faim, les migrants rentreront chez eux, les personnes ayant une double nationalité quitterons la France et des requins rachèterons pour une bouchée de pain ces bâtiments qui étaient des commerces, hôtels etc…, quelques privilégiés auront été sauvé de la maladie mais des millions d’autres mourront de faim

  • ou alors qu’ils se fou… vraiment de notre gueule lorsqu’ils sont au pouvoir ?

    Vous mettez le doigt au bon endroit.

  • Comme pour l’énergie, pour la santé et tant d’autres domaines, il s’agit tout simplement de sabotage.
    Sans aucune justification réelle.
    Il ne reste plus qu’à espérer que les saboteurs seront traduits devant une Cour de Justice.

    • Toute collectivisation est par définition un sabotage puisqu’elle consiste à confier la prise de décision à des incompétents par destination, c’est-à-dire à des fonctionnaires bureaucrates.

      L’Etat obèse socialo-collectiviste est le sabotage ultime.

      7 secteurs économiques sabotés à libérer d’urgence : éducation, santé, retraites, énergie, transports, logement, culture.

  • Petite précision : l’ensemble des emplois liés au tourisme représentaient 2,87 millions (selon un article de banquedesterritoires.fr de 2018).
    Or, si on retranche au nombre d’actifs les fonctionnaires et salariés d’état, les chômeurs et emplois précaires, on trouve 13.7 millions d’emplois privés seulement.
    Le tourisme représenterait donc 20.9% des emplois privés.
    L’article concluait que la France n’était pas très dépendante du tourisme (91ème place mondiale selon le WTTC) ce qui était plutôt bizarre pour un pays qui était la « première destination touristique mondiale ».
    Le PIB de la France ainsi que son tissu économique étant artificiellement gonflés par l’état, les ramener à leur juste proportion donne une idée de la catastrophe que va subir la France à travers son secteur touristique qui est en première ligne de cette folie autoritaire.

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