Comment l’épidémie permet à l’État chinois d’étendre son contrôle sur la population

La mise en place de prérogatives exceptionnelles soutenues par une technologie de surveillance avancée pourrait permettre à l’État d’exercer à long terme un niveau de contrôle inédit sur sa population.

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Comment l’épidémie permet à l’État chinois d’étendre son contrôle sur la population

Publié le 19 mars 2020
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Par Dionysios Stivas et Nicholas Ross Smith.
Un article de The Conversation

La réaction de la Chine à l’épidémie de coronavirus est suivie de très près, mais la plupart des analyses porte avant tout sur son degré d’efficacité. Un aspect important est souvent négligé : l’impact que cette réaction aura sur le fonctionnement de l’État en Chine.

Or la mise en place de prérogatives exceptionnelles soutenues par une technologie de surveillance avancée pourrait permettre à l’État d’exercer à long terme un niveau de contrôle inédit sur sa population.

Pour contenir efficacement l’épidémie dès son apparition, l’élite politique chinoise devait établir publiquement le fait que le virus constituait une menace pour la sécurité de la société. Ce processus, consistant à faire d’un élément (un problème de santé, en l’occurrence) un problème de sécurité alors qu’il ne serait normalement pas considéré comme tel, est connu en science politique sous le nom de « sécuritisation ».

La sécuritisation consiste à informer et à éduquer le public sur la question (ce qui est crucial lors d’une épidémie de maladie hautement infectieuse), mais aussi à l’alarmer au maximum sur la nature et la gravité de la menace, à un point tel qu’il apparaît alors légitime que l’État se dote, « temporairement », de prérogatives exceptionnelles.

La réaction initiale de la Chine à l’épidémie de coronavirus a consisté non pas à tout faire pour endiguer la propagation du virus, mais à tout faire pour endiguer toute information relative à l’épidémie. En conséquence, le grand public chinois n’était au départ pas du tout conscient de la gravité du virus.

 

Quand il est apparu que le problème ne disparaîtrait pas de lui-même, la Chine a opté pour la sécuritisation, prenant des décisions exceptionnelles comme la mise en quarantaine de plusieurs villes de la province de Hubei. Mais, dans le même temps, le gouvernement a continué d’étouffer tout débat public sur l’épidémie.

L’exemple le plus fameux de cette approche est le cas du médecin lanceur d’alerte Li Wenliang. Li a été l’un des premiers à essayer d’alerter le public sur la gravité de l’épidémie. Mais ses efforts lui ont valu d’être convoqué par la police locale et forcé de cesser ses activités.

Li est décédé le 7 février, après avoir contracté le virus. La colère causée par sa mort a conduit certains commentateurs à suggérer que la Chine pourrait connaître un « moment Tchernobyl », c’est-à-dire que l’État verrait sa légitimité significativement affaiblie et perdrait donc dans une large mesure le pouvoir et le contrôle qu’il exerce sur sa population.

L’hyper-sécuritisation

La sécuritisation consiste notamment à donner aux élites politiques la légitimité populaire nécessaire pour qu’elles puissent s’attaquer à un problème rapidement et avec force. Mais la réaction initiale de la Chine – dissimuler des informations importantes et harceler les lanceurs d’alerte – a eu l’effet inverse, nuisant à la légitimité du gouvernement.

Cependant, si la catastrophe de Tchernobyl en 1986, a provoqué un important examen de conscience au sein des élites de l’Union soviétique, la réponse du gouvernement chinois à l’épidémie de coronavirus a jusqu’à présent pris une autre direction. Les dirigeants ont « hyper-sécuritisé » la menace, non seulement pour s’attaquer plus rapidement au virus, mais aussi pour regagner une partie de la légitimité perdue du fait de leurs faux pas initiaux.

Ainsi, plutôt que de minimiser la gravité du problème, les autorités ont présenté l’épidémie comme une menace sans précédent pour la Chine, ne pouvant être résolue que par des mesures extraordinaires. Comme le président Xi Jinping l’a récemment déclaré dans une adresse en ligne destinée à 170 000 responsables du parti et de l’armée :

C’est une crise et c’est aussi une épreuve majeure… l’efficacité du travail de prévention et de contrôle a une fois de plus montré les avantages significatifs de la direction du Parti communiste de Chine et du système socialiste à caractéristiques chinoises.

Il n’est pas surprenant qu’après les premiers faux pas, la Chine se soit montrée extrêmement dynamique dans la mise en œuvre des mesures d’urgence. Dans le Hubei, le gouvernement a fait appel à l’armée pour garantir la bonne application des mesures de quarantaine tout en transférant des médecins depuis d’autres provinces pour venir en aide au personnel médical local. L’État a également organisé la construction de deux nouveaux hôpitaux à Wuhan en quelques semaines seulement.

Mais ces mesures d’urgence ont été accompagnées de l’introduction de nouvelles formes de contrôle. La Chine a notamment utilisé de hautes technologies telles que des drones, des caméras de reconnaissance faciale et l’intelligence artificielle pour surveiller de plus près ses citoyens, tout cela au nom de la lutte contre le virus.

Grâce à une simple pression sur quelques boutons, l’État chinois a pu recueillir des données sur la quasi-totalité des habitants du pays. L’État sait exactement où se trouve chaque personne, quelle est sa routine quotidienne et même la température de son corps. Des sanctions sont infligées à ceux qui enfreignent les règles.

Cela représente un niveau de surveillance sans précédent. Mais étant donné la gravité de la menace présumée d’une épidémie de coronavirus, ces mesures ont été étudiées et saluées par les chercheurs internationaux.

Que ces mesures aient été ou non efficaces pour lutter contre l’épidémie de coronavirus, les implications politiques pour la Chine pourraient être durables. Quand un État réussit à « sécuritiser » une question, il s’engage sur une pente glissante. Plus la menace est présentée comme existentielle, plus l’État obtient de prérogatives pour y répondre, et plus sa puissance et son degré de contrôle sur la population augmentent.

La question est maintenant de savoir ce que la Chine fera des nouvelles formes de contrôle dont elle dispose une fois la menace surmontée. L’expérience montre qu’une « sécuritisation » réussie peut peser longtemps sur le modèle de gouvernance d’un État. Par exemple, à la suite des attentats du 11 septembre, l’expansion des prérogatives du gouvernement américain en matière de surveillance a duré plus d’une décennie après l’événement qui avait justifié l’adoption de ces mesures.

Mais dans le cas du coronavirus, la question ne se pose pas seulement pour la Chine. Les effets de l’hypersécuritisation de cette épidémie pourraient se faire sentir au niveau mondial. La mauvaise gestion initiale de l’État chinois a fait passer l’épidémie d’un problème local à un problème mondial et, aujourd’hui, de nombreux autres pays s’interrogent en urgence sur la meilleure façon de répondre à la menace. Ironiquement, bon nombre d’entre eux saluent les avantages du modèle chinois…

Dionysios Stivas, Lecturer in International Relations, Hong Kong Baptist University et Nicholas Ross Smith, Assistant Professor of International Studies, University of Nottingham

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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  • Croyez-vous qu’en France, l’épidémie ne sera pas une occasion pour le gouvernement de contrôler davantage la population? Pour son bien, évidemment…

  • je pense que cette épidémie va être prétexte à beaucoup de choses qui seront à l’encontre de la liberté des populations ; combien de dirigeants bénissent en secret ce virus ? y compris dans les pays démocratique ?

  • Un article qui fait la même erreur pour les libertés que celle que nous avons faite pour le virus : dénoncer un problème chinois, alors qu’il devient évident que le reste du monde va en pâtir encore plus.

  • Le pouvoir immonde étend son contrôle mais la population chinoise a certainement les yeux dessillés. Les Chinois émergent, se frottent les yeux, et se demandent étonnés qui sont ces abrutis arrogants et violents qui prétendent les diriger. Il se pourrait bien qu’il y ait un peu de sport dans « le pire des milieux » au cours des années à venir.

    • Votre wishful thinking vous égare. Le Chinois lambda retiendra la supériorité de son modèle qui aura jugulé l’épidémie en deux mois quand les démocraties occidentales comme l’Italie laissent leurs malades crever faute d’hôpitaux et de masques.

  • Plutôt que regarder la Chine, regardons chez nous en sachant que ce pays est un modèle pour beaucoup d’élites occidentales.
    Le gouvernement fait tout, depuis le début, pour laisser faire la crise, tout en ayant l’air de s’en préoccuper, tandis que les médias travaillent l’opinion dans le sens de la panique.

    Dès la fin janvier, le gouvernement avait tous les éléments pour prendre des décisions responsables (les récents propos d’A. Buzyn, s’ils ont vrais, en sont la confirmation).

    Cette crise sanitaire intervient dans un certain contexte:
    – une crise financière internationale (épicentre européen) était sur le point de se produire;
    – dans de nombreux peuples, la révolte montait, de plus en plus difficile à étouffer
    – Macron était en grande difficulté et notre pays est en récession depuis plusieurs mois – récession cachée derrière la com et des statistiques faussées ou habilement présentées;
    – il faut ajouter l’accélération de la dérive autoritaire de l’Etat par l’actuel président de la République – dérive entamée cependant bien avant lui.

    Tout gouvernement autoritaire veut étendre le contrôle sur sa population. Si le pouvoir n’est pas assorti de contrepouvoirs, il s’étend à l’infini.
    Et si, dans un contexte de difficultés, une crise permet d’aller dans le sens voulu, autant l’utiliser.

    Que va-t-il se passer?
    L’exécutif (quel joli mot!) va encore « serrer la vis » au prétexte que quelques banlieues désobéissent.
    L’augmentation des chiffres sera aussi un prétexte (comme nous manquons de tests, toute personne suspecte est confinée et ça fait « +1 »).

    Ces décisions ne sont pas prises d’abord pour notre bien, mais pour masquer l’incurie de nos gouvernants – depuis longtemps – sur les questions sanitaires. Même si elles servent à ralentir l’épidémie.
    Elles sont prises pour accroître le pouvoir de l’Etat et le contrôle de la population.
    Que faire? Rester calme et objectif.
    Nous devons dire et redire que notre santé, notre vie, ne sont pas en danger, à part pour des personnes fragiles. Les médecins qui le disent sont censurés. Les mêmes alertent depuis des mois sur l’état de notre système de santé.
    Prendre des précautions, c’est bien. S’il y avait assez de masques et de tests, le problème serait réglé, comme en Corée du sud.
    Il faut aussi diffuser les précautions naturelles: notre santé dépend de chacun de nous.
    Sans la défaillance de notre système de santé, fragilisé par le manque de moyens, la déresponsabilisation, la bureaucratie et l’imprévoyance des décideurs (masques, respirateurs, non-décisions etc…), nous n’en serions pas là.
    Il faut que les gens le sachent.
    L’Etat n’est plus au service de la sécurité des Français, et pas seulement dans le domaine sanitaire.
    Cette épidémie est exploitée au service du pouvoir, comme le terrorisme d’ailleurs. Ça fonctionne exactement de la même manière.
    Si collectivement, nous réagissons comme des moutons reconnaissants, EM n’a pas de raison de s’arrêter dans son projet machiavélique.
    La seule solution c’est, grâce à l’information et à la réflexion collectives, de mettre ce gouvernement face à ses responsabilités dans cette crise. Le coupable, le danger n’est pas le virus, mais lui. La ressource, c’est nous tous et le corps médical.
    C’est cette désignation des vrais coupables qu’il faut opérer.
    Il n’y a que l’opinion, quand elle est massive, qui peut infléchir le cours des choses.

    Il faut aussi faire prendre conscience que les grands médias influencent, construisent notre perception de la réalité. Réalité qui est donc tronquée, orientée, non contextualisée, voire carrément faussée, afin de susciter et utiliser nos émotions et nos opinions.
    Cherchons, partageons des informations variées, en discernant ce qui est valable et ce qui l’est moins. Quelquefois, les chiffres officiels suffisent, à condition de les chercher.
    Le problème est européen et mondial, mais on peut observer à travers cette crise, qu’il reste beaucoup de chefs d’Etat qui pensent d’abord au bien de leur population.
    A nous de ramener le nôtre à ce qui devrait être sa tâche essentielle.

    • En tout cas merci à Xavier Bertrand d’avoir arrêté les stocks de masques, ça prenait trop de place.
      Heureusement que Daesh n’a pas investi dans le terrorisme épidémiologique.

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