L’industrie pharmaceutique abandonne-t-elle la recherche ?

Contrairement aux idées reçues, les entreprises pharmaceutiques dépensent de plus en plus en R&D et les aides à la recherche fournies par le gouvernement américain sont, somme toute, peu importantes.

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L’industrie pharmaceutique abandonne-t-elle la recherche ?

Publié le 15 novembre 2019
- A +

Par le Minarchiste.

Dans un livre dont je vous parlerai davantage dans un prochain billet (The Entrepreneurial State de Mariana Mazzucato), l’auteur affirme que les entreprises pharmaceutiques investissent de moins en moins en recherche et développement (R&D) et profitent de plus en plus de recherches financées par l’État.

L’auteur pense que comme l’État ne perçoit pas de recettes reliées directement à ces recherches, ces entreprises agissent comme des « passagers clandestins » qui s’enrichissent sur le dos des contribuables.

Cette idée est souvent reprise par d’autres intervenants et par les journalistes qui recueillent leurs propos.

Quelques vérifications nécessaires

Cependant, cette affirmation va à l’encontre de ce que je pensais ; j’ai donc décidé de  vérifier par moi-même en consultant les états financiers des 10 plus grandes entreprises pharmaceutiques du monde, qui combinées, génèrent la grande majorité des revenus de cette industrie.

Sur les 20 dernières années, j’ai compilé trois types de dépenses :

  1. Dépenses en R&D
  2. Dépenses en capital (laboratoires, usines de fabrication, équipements, etc.
  3. Acquisitions d’entreprises

En additionnant ces trois types d’investissements et en divisant par les revenus, on peut dresser un portrait complet du niveau d’investissement dans l’industrie pharmaceutique. On constate d’ailleurs que ce ratio a graduellement augmenté ces 20 dernières années.

Cela est peu surprenant car les industries pharmaceutiques font face depuis plusieurs années à ce qu’elles appellent un patent cliff : de nombreux brevets sont arrivés à échéance, permettant aux fabricants de génériques de s’emparer du marché.

Pour remplacer cette perte de revenus, elles ont dû investir davantage dans le développement de nouveaux produits.

Mais comment ont-elles procédé ?

Tout d’abord, le constat le plus surprenant est que les dépenses en R&D ont significativement augmenté depuis 20 ans, tant en dollars absolus qu’en termes relatifs !

Donc l’affirmation de base, voulant qu’elles investissent de moins en moins, est carrément fausse.

Deuxième constat : les investissements en capital sont restés plus ou moins stables en pourcentage des revenus.

Comme les nouveaux médicaments viennent souvent en remplacer d’anciens moins efficaces, les laboratoires et usines peuvent être réutilisés à d’autres fins, les entreprises n’ont donc pas besoin d’investir autant relativement à leurs revenus.

Mais ces investissements ont tout de même augmenté en dollars absolus.

La troisième chose que l’on remarque est que les acquisitions d’entreprises ont augmenté. Il y a d’ailleurs eu quatre pics représentant des périodes où le marché était favorable et durant lesquelles plusieurs de ces 10 entreprises ont fait des transactions.

Cette stratégie est tout à fait logique

En achetant une petite start up qui a déjà amené une molécule en phase un ou deux, le temps avant d’atteindre le marché est moindre, tout comme le niveau de risque.

Le coût est potentiellement plus élevé, mais reste rentable compte tenu des avantages.

De leur côté, les entrepreneurs qui vendent leur petite entreprise à une plus grande paient d’abord une grosse facture d’impôt sur le gain en capital.

Puis certains d’entre eux vont démarrer une autre entreprise, alors que les firmes de capital risque qui les ont financés au départ vont recycler ce capital dans une autre opportunité, redémarrant le cycle de l’innovation.

Cette stratégie est favorable à un processus d’innovation plus efficace. En réduisant le temps entre l’investissement et la mise sur le marché, les grandes entreprises pharmaceutiques peuvent maintenir des valeurs boursières plus élevées : leur coût en capital est plus faible, elles peuvent investir davantage dans la croissance et donc favoriser l’innovation.

Est-ce vraiment de l’innovation ?

Certains leur reprochent, avec raison, de se concentrer sur le développement de médicaments dits me-too, c’est-à-dire ayant sensiblement la même formule qu’un médicament existant, mais qui permettent d’allonger la durée de leur brevet et préserver leurs revenus.

On peut dire sans se tromper qu’il ne s’agit pas vraiment d’innovation, mais bien de recherche de rentes économiques non-souhaitables pour la société.

Il est vrai que malgré la hausse des dépenses en R&D, l’industrie produit de moins en moins de nouvelles molécules et de plus en plus de nouvelles versions du même médicament.

Cependant, il s’agit là d’une conséquence indésirable du système de brevets administré par l’État, lequel aurait fortement besoin d’une réforme en profondeur.

Des chercheurs ont récemment démontré que certains changements des lois sur les brevets, comme par exemple le brevetage d’outils de recherche, ont nui à l’innovation (Mazzoleni & Nelson 1998).

Et l’État dans tout ça ?

Évidemment, ces petites start-ups qui développent de nouvelles molécules ont souvent reçu des subventions de l’État.

L’idée part souvent d’un chercheur universitaire qui reçoit des fonds gouvernementaux pour ses travaux et qui découvre une nouvelle molécule qui pourrait devenir un médicament prometteur.

Il démarre ensuite une start-up pour développer le médicament en question, laquelle est susceptible de recevoir des subventions étatiques.

En achetant ces entreprises, les grandes entreprises pharmaceutiques capturent ainsi de l’argent des contribuables. Est-ce souhaitable ?

Aux États-Unis, le National Institute of Health supporte plus de 325 000 chercheurs dans plus de 3000 universités. Entre 1938 et 2013, cette agence a dépensé 884 milliards de dollars pour soutenir la recherche médicale.

Cela équivaut à 11,6 milliards par année soit 0,3 % des revenus des 10 grandes entreprises pharmaceutiques mentionnées plus haut.

Peut-on vraiment dire que l’industrie vit au crochet de l’État ? Ce serait nettement exagéré…

Les médicaments « orphelins »

L’auteur de The Entrepreneurial State affirme que le gouvernement américain a grandement aidé l’industrie grâce à son fameux Orphan Drug Act de 1983. Sans une telle « intervention », des entreprises comme Genzyme, Biogen, Amgen et Genentech ne seraient jamais apparues.

Cette loi a permis d’amener environ 370 nouveaux médicaments sur le marché.

Cependant, cette loi ne fait qu’alléger le fardeau règlementaire relatif à l’approbation du médicament par la FDA, permettant de réduire les coûts de développement.

C’est ce qui attire les investissements dans ce type de R&D.

De plus, ces nouveaux médicaments bénéficient d’une période d’exclusivité plus longue.

Lorsque l’État se fait moins lourd sur les épaules de l’industrie, l’innovation émerge plus facilement… Il serait exagéré de prétendre que cette loi constitue un « soutien étatique » envers l’industrie.

L’exemple de Gilead

Sofosbuvir, commercialisé par Gilead sous le nom de Sovaldi, a pratiquement permis d’éradiquer l’hépatite C, une maladie auparavant incurable. Cette molécule a été découverte par Michael Sofia en 2007. Gilead a acheté son entreprise, Pharmasset, pour 11,2 milliards de dollars en 2011.

À l’époque, cette entreprise était cotée en bourse et le prix d’acquisition fut 89 % au-dessus de la valeur du marché des actions, lesquelles avaient déjà triplé quelques mois auparavant !

Sur Wall Street, le consensus était qu’il s’agissait d’une acquisition très risquée, que Gilead avait payé trop cher, ce qui n’était évidemment pas le cas.

La molécule avait atteint la phase deux, mais il restait encore plus de trois ans avant sa commercialisation.

Gilead a dû financer les essais cliniques de phase trois.

Cette entreprise avait été fondée par des chercheurs de l’Université Emory.

Le fondateur, Raymond Schinazi, avait reçu des subventions de recherche du National Institutes of Health (NIH). Un rapport de l’organisme Americans for Tax Fairness estime à 4,2 millions de dollars l’aide gouvernementale versée à M. Schinazi et Pharmasset entre 2002 et 2011 (incluant des crédits d’impôts), laquelle ne peut cependant pas être entièrement attribuée à sofosbuvir, car M. Schinazi faisait alors des recherches sur le traitement du VIH, et non sur l’hépatite C.0

Ce n’est que beaucoup plus tard que M. Sophia a redirigé les efforts vers l’hépatite C puisque le marché des médicaments contre le VIH était déjà devenu saturé.

M. Schninazi a empoché plus de 400 millions de dollars lors de la vente de son entreprise à Gilead. Pharmasset avait été financée par la firme de capital risque Burrill & Co, qui empocha aussi une somme comparable, réinvestie dans d’autres start-ups de biotechnologie.

Après la vente de Pharmasset, le Dr Sophia a démarré une autre start-up visant à s’attaquer à l’hépatite B.

Certains pensent que l’État n’aurait pas dû subventionner M. Schinazi et Pharmasset, mais une fois cela réalisé, cet argent aurait pu être échangé contre des parts du brevet plutôt que d’être simplement octroyé, ce qui aurait pu permettre aux contribuables d’obtenir une part des gains.

Néanmoins, on constate que le processus d’innovation capitaliste a assez bien fonctionné dans ce cas.

Une start-up a été achetée par une grande entreprise pharmaceutique, qui a pu alors dépenser les sommes substantielles nécessaires à procéder à des essais cliniques de phase trois et amener le médicament sur le marché (possiblement plus de 100 millions de dollars en coûts, alors que Pharmasset n’avait levé que 45 millions lors de son premier appel public à l’épargne).

Une partie de ces gains est revenue à l’État sous forme d’impôts sur les profits et gains en capital, et bien davantage que les maigres 4,2 millions versés à M. Schinazi.

Il s’agit donc d’un excellent placement pour l’État.

Ce que cet exemple démontre est que même s’il y avait eu une baisse de la R&D en pourcentage des revenus, les industries pharmaceutiques peuvent quand même financer la R&D en achetant des start-ups.
Certains pensent même que cette approche est plus efficiente.

Conclusion

Les idées reçues ont souvent la vie dure.

J’espère que celle-ci disparaîtra éventuellement. Je ne comprends pas pourquoi tant de gens continuent à dire des faussetés alors que les données sont disponibles à tous, il suffit d’en prendre connaissance.

La réalité est que les entreprises pharmaceutiques dépensent de plus en plus en R&D et que les aides à la recherche fournies par le gouvernement américain sont, somme toute, peu importantes.

Il est faux de prétendre que sans cette aide gouvernementale, il y aurait beaucoup moins d’innovation dans cette industrie.

Sur le web

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  • très bon article .. très complet
    un distinguo tout de meme entre les recherches dites  » éthiques » concernant les grandes maladies affectant les pays pauvres et les recherches dites
    de « confort » chargées d’alimenter les caisses..
    il est plus rentable de faire maigrir les occidentales avec des édulcorants de synthèse , ou d’offrir des performances aux mâles occidentaux , que de faire des recherches sur la lèpre par exemple..
    Ainsi , la FDA (food & drugg administration) chargée des validation des mises sur le marché , restera sensible a la présence d’études en cours sur les produits éthiques..
    Par ailleurs la question des prix des spécialités « critiques » reste en suspend
    a cheval sur les coûts des assurances santé et des subventions d’états..
    ceci mériterai un autre article

  • Cet article a le mérite de dissiper les idées reçues des socialistes sur les labos, accusés de pompes à fric! Oubliant que sans eux pas de médicaments.

  • Personnellement je ne vois pas le problème qu’il y aurait à ce que les labo privés « exploitent » la recherche publique. A la base, la recherche publique est faite pour être ouverte et bénéficier à tous. Un labo qui exploite et commercialise un produit ne fait pas « rien ».
    Et de toute façon comme l’est rappelé dans l’article, l’état « exploite » la firme en faisant payer des taxes.
    Pour résumer, non seulement les labo privés n’exploitent pas le public, mais même s’ils le faisaient ce ne serait qu’un juste retour des choses par définition de ce qu’est la « recherche publique ».

  • les brevets sont une catastrophe pour la société tout entière et pour la recherche en particulier.
    les labo dépenses de plus en plus parce que la validation des nouveau médicaments est de plus en plus longue et onéreuse. En deux mots, les labos ne font pas de la recherche, ils font de la paperasse administrative.
    Aucune des grande découverte médicale du 20 ième siècles ne serait possible dans le cadre réglementaire actuel. c’est comme si on faisait tout ce que l’on peut pour ne avancer.

    • Les brevets de médicaments tombent au bout de 11 ans afin que les chinois et indiens puissent nous fournir en génériques, mais si vous dessinez Mickey même après 80 ans, les avocats de Disney ne vous louperont pas…

  • ah la réalité…
    nous sommes dans un monde où des tas de gens nous expliquent que les simples grandes surfaces font des marges « excessives »..

    ils ne comprennent pas l’économie.

    bon…tout au bout ils y abien un idée qui peut se comprendre ..la crainte des grands groupes..qui ont effectivement un potentiel de corruption..

    mais le problème est la corruption pas le grand groupe.

  • Les commentaires sont fermés.

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