Sexe et érotisme dans l’Antiquité gréco-romaine

L’art érotique gréco-romain nous montre que, pour l’essentiel, les grands fantasmes sexuels humains n’ont guère changé depuis deux millénaires.

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Venus de Milo by Richard Mortel(CC BY-NC-SA 2.0)

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Sexe et érotisme dans l’Antiquité gréco-romaine

Publié le 11 novembre 2019
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Par Christian-Georges Schwentzel1.
Un article de The Conversation

Comme l’écrit Georges Bataille, « l’érotisme est l’un des aspects de la vie intérieure de l’homme » (L’Erotisme, éditions de Minuit, Paris, 1957). C’est un phénomène proprement humain, dans le sens où il revêt toujours une dimension psychique et fantasmée.

À l’inverse, la sexualité est pratiquée autant par les êtres humains que par les animaux. Nous seuls, hommes et femmes, avons donc le privilège d’être des animaux érotiques, c’est-à-dire capables d’élaborer des scénarios sexuels imaginaires, voire de produire des récits ou des œuvres exprimant la toute-puissance du désir, appelé eros en grec.

Dans l’art et la littérature de l’Antiquité, comme de nos jours, le corps érotisé est affiché dans une nudité plus ou moins complète. Il est associé à des vêtements qui le mettent en valeur, à des objets qui le parent (bijoux, chaussures…) ou accroissent son potentiel érotique (chaînes, armes…). Ces divers ingrédients alimentent des scénarios érotiques, plus ou moins explicites.

Voici quelques exemples de cet érotisme gréco-romain.

L’effet de striptease

La Vénus de Milo, détail. IIᵉ siècle av J.-C. Paris, Musée du Louvre. Christian-Georges Schwentzel, Author provided

La célèbre statue de la Vénus de Milo a été conçue comme l’incarnation même de la beauté féminine grecque. Par un remarquable contraste, le corps lisse de la déesse de l’Amour surgit d’un drapé aux nombreux plis qui s’écoulent vers ses pieds. Ce mouvement produit un effet de dénudement. Le dévoilement de la hanche droite est déjà bien entamé. L’artiste a figé le moment précis où le triangle pubien commence à se découvrir. Si vous vous placez à l’arrière de la statue, vous verrez le haut de ses fesses, en partie dévoilées.

Le corps masculin peut être mis en valeur de la même façon, comme le montre une fresque récemment découverte à Pompéi : Narcisse, un beau jeune homme de la mythologie, offre au spectateur son torse qui paraît fraîchement dénudé par le glissement de son drapé rouge. C’est l’effet de déshabillage, plus encore que le nu en lui-même, qui provoque ici le désir.

Narcisse au repos. Fresque de Pompéi, Iᵉʳ siècle apr. J.-C.

Parures et chaussures excitantes

Aphrodite assise. Terre cuite provenant de Myrina. Iᵉʳ siècle av. J.-C. – Iᵉʳ siècle apr. J.-C. Paris, Musée du Louvre. RMNGP

Le corps féminin peut être érotisé au moyen de parures : bijoux, chaînes métalliques croisées sur la poitrine ou encore chaussures. Des statuettes d’Aphrodite montrent la déesse chaussée de sandales pourvues de très hautes semelles, véritables platform boots de l’Antiquité. L’écrivain antique Athénée de Naucratis (Deipnosophistes XIII, 23) nous rapporte que les semelles de ces étonnantes chaussures étaient faites de liège.

Elles devaient servir de piédestal à des courtisanes, vues comme de véritables œuvres érotiques vivantes.

Chaînes et bondage

Le poète Ovide (Métamorphoses IV, 663-773) raconte le mythe d’Andromède, une belle princesse condamnée à une mort atroce. Attachée à un rocher, elle est offerte en pâture à un monstre marin qui doit venir la dévorer.

C’est alors qu’elle est sauvée, in extremis, par le héros Persée qui justement passait par là. Ovide se plaît à décrire la scène : Persée contemple la jeune fille qui ne peut se mouvoir ; seule une brise légère lui soulève les cheveux, laissant apercevoir ses yeux remplis de larmes. Si seulement elle n’était pas enchaînée, écrit le poète, elle se couvrirait aussitôt le visage de ses mains ! Mais, prisonnière de ses liens, elle est bien obligée de se livrer au regard du héros. Ses pleurs redoublent, tandis que Persée, lui, est très excité.

Le mythe d’Andromède traduit un rêve de bondage, c’est-à-dire de possession d’un corps entravé. De la même manière, l’historien grec Hérodote (Histoires I, 199) avait imaginé, au Ve siècle av. J.-C., des prostituées babyloniennes attachées par la tête et exposées dans la cour d’un temple qui leur servait de bordel.

Léda et le cygne. Statue en marbre. IIᵉ siècle apr. J.-C., d’après un original hellénistique. Venise, Musée archéologique

Viol et domination phallique

Léda venait tout juste de sortir de l’enfance et de se marier, à l’âge de treize ou quatorze ans comme la plupart des filles en Grèce antique. En épousant Tyndare, roi de Sparte, elle était devenue reine de la célèbre cité du Péloponnèse.

C’est alors que Zeus, maître des dieux, avait repéré cette jeune beauté du haut de son Olympe. Tandis qu’elle se promène le long du fleuve Eurotas, il se jette sur elle, après s’être métamorphosé en cygne. Une statue du Musée archéologique de Venise nous montre Léda au moment où elle s’apprête à recevoir, sur ses lèvres, le bec phallique de l’oiseau. La reine est figée à l’instant où elle prend conscience qu’elle est en train de se faire violer.

érotisme

Léda et le cygne. Statue en marbre. IIᵉ siècle apr. J.-C., d’après un original hellénistique.Venise, Musée archéologique

Les images de Léda, possédée par Zeus, connurent un très grand succès, comme en témoigne encore une fresque découverte à Pompéi en 2018.

Ces œuvres satisfaisaient un fantasme de domination virile. Le cygne incarne le phallus de Zeus en érection, une toute-puissance masculine mêlant ruse et violence, tromperie et viol.

Sexe et combat

érotisme
Médaillon romain en terre cuite, découvert près d’Arles, montrant une femme armée chevauchant un homme. Iᵉʳ siècle apr. J.-C. Dessin de C.G. Schwentzel, Author provided

Un autre « classique » de l’imagerie érotique est l’association du corps féminin à des armes et tenues de combat. Les Grecs ont imaginé les Amazones, peuple de guerrières, excellentes cavalières, pourvues d’arcs et de haches à double tranchant, vêtues de tuniques courtes et de peaux de bêtes. Des filles farouches et fortement érotisées, selon un fantasme que l’on retrouve ensuite à Rome. Ainsi, l’empereur Néron faisait vêtir certaines de ses concubines en Amazones, nous raconte l’historien latin Suétone (Néron 44), sans doute en prélude à leurs ébats.

Un médaillon romain en terre cuite nous offre une vivante image de ce désir érotique : on y voit une femme nue, armée d’un glaive et d’un bouclier, chevauchant un homme qui a l’air ravi. Le texte qui accompagne la scène peut se traduire par : « Super, c’est le bouclier ! ». Certainement le cri de l’homme au comble de l’excitation.

On retrouve aujourd’hui encore ce fantasme à travers diverses figures de guerrières sexy, de Lara Croft à Wonder Woman, pour un succès toujours assuré.

L’érotisme : de grands fantasmes millénaires

Les techniques permettant d’érotiser les corps n’ont guère changé depuis l’Antiquité. Ce qui a excité nos ancêtres, il y a 2000 ans, suscite toujours le désir aujourd’hui, comme le montrent tant d’exemples au cinéma, dans les clips, la publicité ou les défilés de mode.

On note seulement quelques variations formelles. Ainsi, la Vénus de Milo peut paraître un peu potelée au regard des injonctions de notre XXIe siècle. Victoria’s Secret lui demanderait sans doute de perdre plusieurs kilos avant de la recruter pour faire la promotion de sa lingerie. La publicité vante aujourd’hui les « ventres plats », alors qu’Aphrodite possède un petit mont qui surplombe son pubis.

Les mensurations de l’amante rêvée varient d’une époque à l’autre. Les accessoires érotiques aussi subissent quelques évolutions dues aux progrès techniques. Ainsi, l’Amazone d’aujourd’hui, telle Lara Croft, peut chevaucher une moto ou brandir des pistolets. Mais il ne s’agit là que de variations superficielles. L’art érotique gréco-romain nous montre que, pour l’essentiel, les grands fantasmes sexuels humains n’ont guère changé depuis deux millénaires.

Sur le web-Article publié sous licence Creative Commons

  1. Professeur d’histoire ancienne, Université de Lorraine.
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  • A Athènes il y avait des bordels d’Etat où travaillaient des esclaves sexuels (surtout des filles mais aussi des mignons). C’est beau le service public… L’Etat se finançait en réduisant des esclaves au rang de sex toy biologique. Quand on sait qu’aujourd’hui, on taxe les revenus des péripatéticiennes, et que ça ne choque pas les péripatéticiens (philosophes qui s’expriment dans la rue) de gauche, moi ça me choque.

    Pour revenir au sujet:
    L’érotisme antique est indissociable de prostitution. Les pretresses d’aphrodite se prostituaient. Sous Rome il était mal vu de prendre sa femme pour le plaisir. Une épouse servait à faire de moutards. Quand on voulait prendre du bon temps on allait sans s’en cacher, au boxon du coin. Les lupanars étaient des établissements de rencontre et c’est souvant là (et dans les soirées privées) que la séduction érotique s’opérait ET s’apprenait. L’interdiction de la prostitution dans l’antiquité ce serait comme l’interdiction des débits de boisson de nos jours. Ca aurait semblé parfaitement incongru voir despotique.

  • Nos lointains ancêtres semblent avoir compris qu’une suggestion subtile est plus émoustillante que le tape-à-l’œil explicite qu’on nous sert aujourd’hui ad nauseam.

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