La condition numérique

Les usages ont changé en profondeur notre réflexion sur la nature humaine, que ne peut plus ignorer cette nouvelle condition numérique « celle de l’humain enchaîné à sa connexion comme Sisyphe à son rocher ». 

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Aerial view of woman using computer laptop and a smartphone on wooden table By: Rawpixel Ltd - CC BY 2.0

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La condition numérique

Publié le 8 octobre 2019
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Par Farid Gueham.
Un article de Trop Libre

« L’Homo sapiens est-il devenu l’Homo numericus ? Connectés en permanence, nous interrogeons des moteurs de recherche, communiquons, partageons des fichiers. Loisirs, système de production, rapports interpersonnels : de simple média, Internet est devenu un espace social, une extension de notre réalité. Une nouvelle forme de la condition humaine naît de cet accès au réseau : la condition numérique ». 

Jean-François Fogel, consultant et Bruno Patino, responsable des programmes et du développement numérique de France Télévisions, analysent les mutations que nous traversons, impactant un réseau qui façonne lui-même notre monde.

La condition humaine

« Aujourd’hui, tout utilisateur des médias numériques sait que l’effet produit par une information dépend moins de sa source que de la manière dont elle circule. Mais sous Louis XV, agit contre un texte hostile suppose de frapper son auteur. Le souverain exige donc l’arrestation du poète sans mesurer qu’il défie un pouvoir hors d’atteinte, même pour un monarque absolu ». 

Pour Jean-François Fogel et Bruno Patino, les sociétés semi-illettrées du passé impliquaient, pour la circulation de l’information, la reproduction d’un message, un exercice de mémoire. La circulation de l’information était également orale : c’était celle des poèmes, des pamphlets, portés par des airs et des chansons populaires faciles à retenir. « Mais pour qu’une information circule, il fallait que deux personnes se rencontrent, une tâche qui se ramène dans notre univers numérique à la simple activation d’un bouton « faire suivre » avec impact immédiat chez le destinataire ». 

Les usages ont changé en profondeur notre réflexion sur la nature humaine, que ne peut plus ignorer cette nouvelle condition numérique « celle de l’humain enchaîné à sa connexion comme Sisyphe à son rocher ». 

La carte et le territoire

« Un espace où l’internaute est toujours au centre et jamais dans la marge, c’est le réseau. Un monde numérique unique puisqu’un seul moteur de recherche suffit à en donner l’accès sans restriction. Un monde numérique global, puisqu’il est possible pour tous de se connecter. Un monde numérique universel, puisque la connexion est partout possible ». 

Le protocole d‘internet a été créé et ajusté au milieu des années 70 sur la côte Ouest des Etats-Unis. Dès 1976, il fonctionnait sans accroc sur le réseau Arparnet, l’ancêtre d’Internet, développé grâce aux crédits de la recherche militaire. Au temps des pionniers inventeurs du protocole, la réponse allait de soit : il était impossible de produire, de stocker ou de consommer de l’information en dehors des centres informatiques universitaires et des énormes ordinateurs qu’ils abritaient. « L’ordinateur personnel a tout changé » ;

Selon la parabole de l’essayiste Nicholas Carr, « c’est une invention comparable à celle du courant électrique alternatif pour l’industrie ». Il ne faut pas s’y tromper, c’est aujourd’hui le réseau qui façonne le monde et non l’inverse. Internet n’est pas la carte d’un réseau c’est au contraire le traitement des données numériques, le Big data, qui déterminent la mise en forme du monde réel. « Même sans connexion, nul ne vit plus à l’écart du monde d’Internet ». 

Les mots et les choses

« Trois langages cohabitent dans une société numérisée : la parole, le texte et le code. Ils interagissent entre eux, mais le code, qui écrit pour les machines numériques, occupe une place particulière dans ce trio. Le code est le seul langage qui produise des effets par lui-même ». 

Le code est donc un langage qui s’active de façon directe, dès lors qu’il est activé par l’internaute.

Du passage de la parole à l’écrit, puis de l’écrit au code, chaque langage s’est nourrit de celui qui l’avait précédé, l’installant dans sa propre logique d’expression. « Ce qui distingue le code et le place à part, c’est qu’il est, pour le moment, le seul langage commun aux humains, et aux machines numériques », rappellent les auteurs.

Et l’exercice solitaire de l’écriture devient, par le biais de l’écran, le fruit d’un travail collectif. Un constat qui balaie des siècles d’écrits imprimés et pose à chaque internaute une question fondamentale : « la pensée est-elle encore une activité individuelle ? ». 

L’humeur vagabonde

« La vie numérique va si vite que les théories s’épuisent à la poursuivre. Avant-même d’être énoncées, elles sont démenties par l’évolution de la technologie et des usages. Aucune des visions utilisées pour décrire le réseau – canal de diffusion, média à part entière, mon alternatif, plate-forme mondiale, réseau social – n’a encore fait l’unanimité ». 

L’humeur vagabonde, c’est en somme la nouvelle errance des consommateurs, des internautes : avec le piratage, l’apparition du livre numérique ne sont que le fruits d’un changement qui émane du public lui-même : il possède la triple faculté de pouvoir publier, de lire ceux qui publient, ou de republier en tiers place ce que d’autres ont publié avant lui.

Dans le domaine culturel, l’efficacité du réseau transforme la relation entre le public et la création. Pour Bruno Patino, la culture est mise en mouvement autrement que dans les supports traditionnels. « Images, textes, vidéos et sons vont plus vite et se télescopent avec les opinions. Le choix entre les milliers d’œuvres qui s’ajoutent chaque jour à l’offre disponible en ligne utilise des filtres qui n’existaient pas au siècle dernier ».

Le Capital

« Avec l’apparition de nouveaux acteurs, un bouleversement des lois de l’échange et de la valeur et une accumulation de richesse aussi rapide que cryptique, un nouveau capitalisme naît dans l’espace numérique. Il est si innovant que les actions les plus banales, comme produire ou acheter, ne sont pas comprises par beaucoup de ceux qui les réalisent en ligne ». 

Notre nouveau modèle économique, c’est celui des « services contre données ». Quand nous recherchons, quand nous partageons, quand nous hébergeons sur un site pour mettre à disposition, nous payons. En échange de la recherche, du partage ou de la copie, nous laissons un peu de nous mêmes », rappellent Jean-François Fogel et Bruno Patino.

Régie par des nouveaux empires, les GAFA, cette nouvelle économie instaure également de nouvelles lois : les clients sont les produits, la gratuité est réglée d’avance, la valeur réside dans l’expérience, et acheter n’implique plus de posséder. « Le réseau, cet univers pluriel, continu, stimulant est la place de marché où chacun négocie sa réalité ».

Pour aller plus loin :

–      « La Condition numérique : l’impact d’Internet sur notre rapport au réel et à la vie », lemonde.fr

–       « Ce qui change, c’est que le portable nous sollicite quand on est préoccupé à faire autre chose », europe1.fr

–       « L’Histoire de l’information : du néolithique au numérique », eduscol.education.fr

–       « Le devenir numérique de l’édition : du livre objet au livre droit »,culture.gouv.fr

Sur le web

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  • Peu se rendent compte que le numerique va déstabiliser aussi les grands corps de l’etat..
    comme Education nationale par exemple..
    un professeur pour des millions d’élèves , sans injustice géographique..
    çà existe deja dans les faits , on peut avoir accès aux cours de Harvard au fin fond de la Nièvre ou de l’Afrique..
    et çà çà va etre la révolution de fond.

    la structure meme de l »EN est incapable d’imaginer le mouvement
    de la société qui va la rendre obsolete

    • Vous pouvez mettre les meilleurs profs en libre accès, le seul résultat concret est que chacun se dit que ça n’est pas la peine de retenir quoi que ce soit puisqu’il pourra faire appel à ce prof si besoin. Le rôle du prof est d’apporter à chacun les bases du discernement qui lui permettra de reconnaître et de comprendre, au moment crucial, la connaissance dont il aura besoin. Toute disponible qu’elle soit sur internet. Et ça, ça ne s’apprend pas de sa propre initiative.
      Mon sentiment personnel est aussi que pour retenir quelque chose, il faut « toucher » ceux qui ont fait l’effort de le mettre en forme, et comprendre que ça n’est pas facile. Mais peut-être avez-vous raison, et n’est-ce qu’une affaire de génération si j’ai autant apprécié les grands profs que j’ai eus et si peu recherché leurs collègues pourtant disponibles sur internet…

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