Boko Haram, 10 ans après : les secrets de la longévité

Voilà dix ans que le mouvement terroriste Boko Haram a lancé sa première attaque sur Maiduguri. Comment expliquer que le mouvement existe toujours ?

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Boko Haram by Think Defence(CC BY-NC 2.0)

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Boko Haram, 10 ans après : les secrets de la longévité

Publié le 12 août 2019
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Par Narcisse Oredje.
Un article de Libre Afrique

De juillet 2009 à juillet 2019 : dix ans que le mouvement terroriste Boko Haram a lancé sa première attaque sur Maiduguri en réponse à l’assassinat de son leader fondateur Mohamed Yusuf. Depuis, le groupe revendique une série interminable d’attaques faisant des milliers de victimes. Entre 2015 et 2016, la secte est annoncée « morte » suite aux actions militaires individuelles et conjointes des États touchés. Toutefois, les récentes attaques viennent remettre en cause l’idée d’un Boko Haram en pleine déperdition. Alors comment peut-on expliquer la survie de la secte depuis 2009 ?

Boko Haram n’est pas mort

Entre 2016 et 2017, une baisse des attaques a été constatée sur le terrain. Un calme relatif que les dirigeants, le Nigérian Buhari en tête, se sont empressés de déclarer comme étant la fin de Boko Haram. Pourtant la secte continue à sévir même avec des opérations de moindre envergure.

En réalité, l’annonce de la fin de Boko Haram a coïncidé avec un changement de cap dans le traitement médiatique de ses massacres. Les médias de la sous-région ont pris enfin conscience que la couverture régulière des massacres de Boko Haram ne fait qu’amplifier la psychose chez la population, lui rendant ainsi service.

Pour autant, ses exactions sur le terrain n’ont pas cessé, mais elles sont de moins en moins visibles. En témoignent les attaques du camp de la Force Multinationale Mixte en décembre 2018 et celle du 27 juillet 2019 faisant 65 morts près de Maiduguri au Nigéria.

La survie de Boko Haram par le financement

Sans sources de financement pérennes, Boko Haram ne tiendrait pas aussi longtemps face aux assauts multiples des forces gouvernementales. Éclatée en deux factions, elle trouve des combinaisons financières parfaites pour sa survie.

La  branche radicale dirigée par Shekau tire entre deux à trois millions de dollars, d’une part, en provenance du pillage des villages et du vol de bétail, et d’autre part, des taxes prélevées dans les marchés des zones qu’elle contrôle.

Quant à la branche de Al Barnawi, elle vit grâce au financement de l’EI (Daech) qui lui a débloqué environ deux millions de dollars entre 2016 et 2017. Un financement qui lui aussi provient des trafics d’armes, des stupéfiants et de l’exploitation des matières premières dont le pétrole à Mossoul par exemple.

C’est dire que les sources de financement, qui s’élèvent à environ trois millions de dollars par mois, sont diversifiées et permettent à Boko Haram de maintenir ses troupes mais aussi d’en recruter d’autres.

La survie par le recrutement

Selon quelques données recueillies par l’ONU, Boko Haram regroupe plus de 27 000 combattants. Même si le groupe a perdu environ 4000 combattants (2009 à 2017), il en compte toujours entre 6000 et 30 000 selon les estimations, grâce à une filière de recrutement toujours favorable.

Boko Haram recrute dans les milieux frappés par la pauvreté et dont les populations s’estiment abandonnées par les pouvoirs centraux. Le recrutement s’appuie sur l’endoctrinement religieux et la mise en avant de la victimisation des populations locales vis-à-vis des pouvoirs centraux.

Combattre pour Boko Haram devient donc un engagement personnel guidé soit par les convictions religieuses, soit pour dire non à l’injustice perpétrée par les gouvernants, soit encore par simple peur de représailles. Le recrutement se fait en concordance avec les nouvelles stratégies de guerre développées par la secte.

Survie par de nouvelles stratégies de guerre

En 2015, impulsée par le président Buhari, l’armée nigériane est sortie de son carcan et a lancé des opérations d’envergure, en coopération avec les pays voisins, pour reconquérir les zones sous contrôle de Boko Haram. Coincée, la secte a évité les affrontements directs mais a multiplié les attaques surprises menées par de petits groupes de motards armés de fusils d’assaut.

La pose de mines et d’autres engins explosifs artisanaux devient le mode opératoire qui permet d’éviter de lourdes pertes comme en janvier 2015 où elle perd 123 combattants face à l’armée tchadienne.

Boko Haram exploite aussi et surtout les femmes et enfants comme kamikazes ; une stratégie utilisée pour échapper aux différents dispositifs de surveillance mis en place dans les États.

Un terreau favorable à la survie de Boko Haram

Malgré la mise en place de la Force Mixte Multinationale CBLT, la riposte n’est pas à la hauteur de la menace. Parce que d’une part l’armée nigériane sous équipée est critiquée pour son manque de dynamisme. D’autre part, les forces régulières ont du mal à contenir les nouvelles attaques de Boko Haram, œuvres de motards capables de disparaître en un temps record. Mêmes les forces tchadiennes habituées aux poursuites via des Toyota Land Cruiser n’y arrivent pas.

À côté de cet échec militaire il y a la question de gouvernance souvent décriée. Selon l’indice de la Gouvernance 2018 de la fondation Mo Ibrahim, l’ensemble des États ont récolté une moyenne de 45,1. Seul le Niger dépasse la moyenne (51,2) alors que le Tchad, mauvais élève affiche un score de 35,4.

Pourtant, la mauvaise gouvernance est l’un des principaux griefs instrumentalisés par Boko Haram pour justifier ses attentas. Entre 2016 et 2017, plus de 1300 terroristes se sont rendus au gouvernement tchadien qui leur a promis des aides à la réinsertion. En attendant des aides qui ne sont jamais arrivées, ils ont été replacés dans leurs communautés d’origines.

Cependant, ces communautés sont durement frappées par la pauvreté en raison de l’échec des efforts visant à reconstruire le tissu économique détruit par la crise Boko Haram. Les filières pêche, commerce, agriculture et élevage étant fortement compromises par les conflits, la population active perd l’essentiel de ses activités et se retrouve à plus de 75 % sans emploi. Selon le système des Nations Unies, plus de 10 millions de personnes ont besoin d’aide alimentaire dont 4 millions d’enfants frappés par la malnutrition. Les infrastructures sociales de base sont absentes ou ont été détruites lors des combats. Dans la zone, plus 12 000 écoles sont détruites mettant plus de 3 millions d’élèves en attente. Un terreau favorable à la survie du mouvement terroriste.

Bref, bien que Boko Haram trouve des palliatifs pour se maintenir, sa survie repose sur l’échec de différentes stratégies de lutte mises en place par les États concernés. La solution militaire bien que vitale a montré ses limites. C’est pourquoi il faut s’attaquer aux questions de gouvernance et de l’inclusion socio-économiques dans le bassin du Lac Tchad et y vulgariser des contre-discours capables de détruire l’idéologie extrémiste inculquée par la secte.

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Les auteurs : Jacques Amar est Maître de conférences HDR en droit privé, CR2D à l'Université Dauphine-PSL et docteur en sociologie à l'Université Paris Dauphine – PSL. Arnaud Raynouard est Professeur des universités en droit, CR2D à l'Université Dauphine-PSL.

 

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