Pourquoi l’école échoue en banlieue ? Parce que tout le monde s’en fout

En France, la mobilité sociale est faible : la société manque de fluidité et de concurrence, qui permettent aux plus méritants, d’où qu’ils viennent, de réussir.

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Pourquoi l’école échoue en banlieue ? Parce que tout le monde s’en fout

Publié le 29 juin 2019
- A +

Par Erwan Le Noan.
Un article de Trop Libre

En début de semaine prochaine auront lieu les épreuves du brevet, examen de fin de collège. Elles ne sont pas d’une difficulté abyssale. Elles sont pourtant un défi dans de nombreux établissements de banlieue un peu délicats.

Vu et entendu dans un collège d’« éducation prioritaire », la semaine dernière : pour les élèves, réussir une petite dictée sans faire moins de huit fautes est une performance. Souvent, celles-ci trouvent leur source dans une insuffisante capacité à comprendre le contexte dans lequel les mots sont employés – dans un texte décrivant la joie, la gaieté devient « guetter ». En histoire, les déficits sont criants. Pour certains, il est impossible de reconstituer la chronologie du XXe siècle à partir de photos de quelques-uns de ses grands évènements (« Hitler, c’était avant ou après la Guerre froide ? »).

La plupart de ces jeunes sont sympathiques et intelligents. Mais force est de constater qu’ils ont parfois de graves difficultés, par manque de vocabulaire (« Ça veut dire quoi, conséquences ? ») ou de connaissances, et parce que des capacités cognitives n’ont pas été acquises. Beaucoup auraient dû bénéficier d’une prise en charge en amont. Les plus en difficultés ont déjà sombré, les plus futés n’ont pas l’opportunité de se déployer.

Les conditions d’enseignement sont évidemment complexes. L’attention est limitée, le brouhaha est permanent. Le tout face à des enseignants souvent motivés – mais pas toujours – et généralement désemparés, et à des parents parfois démissionnaires. Mais la raison de l’échec est plus profonde, et plus simple : tout le monde s’en fout.

 

Deux réalités parallèles

Personne ne s’en soucie, parmi ceux qui pourraient donner une réelle inflexion de changement, car en réalité jamais aucun n’a mis les pieds quelques instants dans ces classes ni même ces quartiers ; jamais personne ne fréquente ces jeunes qui ne sont pas entrés dans la vie, mais dont l’avenir est déjà compromis.

Les statistiques sont assez claires : très peu feront des études supérieures (et presque aucun les plus prestigieuses), ils n’auront donc pas accès aux emplois qualifiés, et seront confrontés au risque du chômage de masse. La précarité sera leur lot. À l’inverse, les enfants de l’élite réussiront : s’ils n’intègrent pas les meilleurs établissements, ils partiront étudier à l’étranger puis, forts du capital parental, ils lanceront leur startup. Le chômage ne sera pour eux qu’une statistique dans la presse.

La culpabilité des élites n’est pas de réussir, c’est de ne pas agir pour autoriser le succès des autres. En France, la mobilité sociale est faible : la société manque de fluidité et de concurrence, qui permet aux plus méritants, d’où qu’ils viennent, de réussir. L’OCDE a récemment montré qu’il fallait six générations pour qu’une famille du bas de l’échelle sociale atteigne la moyenne.

La société est ainsi figée entre des classes qui s’ignorent. Il n’y a pas de destin commun, mais des avenirs parallèles. Notre pays a abandonné une partie de sa jeunesse par désintérêt de ses élites. C’est un scandale moral et une faillite économique : tant de talents gâchés ! C’est aussi un péril politique : comment une démocratie saine peut-elle durer sur ces bases, en excluant de la réussite toute une partie de sa population ?

En 2007, l’Académie des sciences morales et politiques avait publié un livre intitulé La France prépare mal l’avenir de sa jeunesse. Une décennie plus tard, rien n’a changé.

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  •  » attention limité , brouhaha permanent , professeur pas toujours motivés voire lassés …..et dans les autres pays , comment ça se passe ?

  • que les classes sociales soit plus ou moins fixe n’est pas un signe flagrant d’injustice.. alors on peut ergoter mais reste que quand la mobilité sociale est la plus faible dans le pays où le gouvernement prétend la combattre indique que la politiques éducative en France est néfaste ou inefficace…et on en a qu’une, éducation nationale oblige. Si au moins plusieurs systèmes étaient en concurrence….

    • un peu quand meme.
      A moins de penser que l intelligence est hereditaire, on devrait pas etre assigne au bas de l echelle car ses parents etaient pauvres car eux meme issus de familles pauvres

      • cdg L’intelligence est en partie héréditaire, je l’ai appris récemment par une neuropsy : les enfants naissent avec une échelle de capacités mentales plus ou moins étendue venant des parents. Il se situe à un certain niveau sur cette échelle. Si ces mêmes parents font baigner leur enfant dans les connaissances, l’enfant pourra atteindre la limite maximum de son échelle et même la dépasser un peu.
        Ensuite vous mélangez pauvreté et intelligence, ce qui n’a rien à voir. Dans notre système éducatif actuel, un enfant pauvre mais intelligent peut progresser (même les livres au lycée sont désormais fournis). Il peut faire un apprentissage et démarrer dans la vie à un poste correct, puis progresser par son travail.
        L’enfant qui n’a pas les capacités intellectuelles d’aller au bac et au-delà, peut commencer aussi en apprentissage, plus tôt, dans un métier manuel, et ensuite lui aussi progresser par son travail.
        Les parents pauvres n’attendent pas de leur enfant qu’il deviennent trader, haut fonctionnaire ou je ne sais quoi pour lequel il faut avoir fait des études longues et coûteuses, : ils attendent juste un métier plus reconnu que le leur, chef d’équipe, responsable technique, cuisinier à son compte comme restaurateur ou traiteur, etc, tout à fait accessible aux manuels.

  • Je ne pense pas que l’auteur de l’article ait beaucoup côtoyé de jeunes de banlieue dans sa vie, à part ceux qui arrivent jusqu’à Sciences Po et qui doivent être plus faciles à vivre.

    Bien joli de dire « tout le monde s’en fiche ».
    Qu’il aille vivre une expérience inédite : 1 an d’enseignement du français dans un collège, aller, avec des gentils petits 6ème….. J’aimerais savoir ce qu’il en pensera ensuite.
    On a interdit les redoublements, les sanctions, les gifles, les coups de pied au cul, et surtout la sélection, etc. Reste le chaos.

    J’ai grandi comme beaucoup de jeunes de ma génération dans une cité dans les années 60-70, la discipline faisait partie des règles, on prenait parfois une baffe et on s’en vantait pas.
    Les punitions étaient régulières et les devoirs le soir conséquents avec plein de trucs à apprendre par coeur.
    Il existait surtout des filières de niveau au collège qui ont été abolies par la catastrophique réforme Haby, « le collège unique et l’égalité ». Le collège unique, c’est les bons stagnent, les mauvais ne rattrapent jamais parce que c’est impossible.

    Je crois vraiment qu’avant la réforme Haby, les classes réparties par 3 niveaux sur chaque palier de la 6ème à la 3ème, c’était fantastique. Les meilleurs en type 1 pouvaient progresser à leur rythme, les moyens en type 2, classes plus légères, programmes moins lourds, pédagogies adaptées pouvaient combler leurs retards, les faibles en type 3, toutes petites classes, programmes préparant à la vie professionnelle, pouvaient acquérir tout de même les basiques indispensables et à leur rythme, etc.
    C’était génial car on pouvait faire une 6ème type 3, montrer un bon niveau et passer en 5ème type 2 et finir tout de même en 4ème ou 3ème type 1 pour poursuivre au lycée.
    Et toute une génération sortie de ces collèges de cités, régit par l’ ordre, le travail et la sélection, a plutôt bien réussi.

    Quand au primaire, si on conviait les mères africaines, qui ne travaillent pas, à venir à l’école avec leurs enfants, on y gagnerait doublement, en alphabétisant les parents en même temps que les enfants, et en aidant à remettre de l’ordre, car les africaines, elles en ont de la poigne et elles auraient davantage de légitimité !

    • kassy Je ne savais pas ce qu’il y avait avant le collège unique et vous venez de me l’expliquer, merci. En effet, ce système est forcément le meilleur. Pourquoi le beau précepte gauchiste : « à chacun selon ses besoins, de chacun selon ses moyens » ne devrait s’appliquer qu’aux revenus/impôts. Ce collège permettait à chacun d’évoluer selon ses capacités, avec la possibilité de progresser. Pourquoi les différences de capacités ne devraient-elles être acceptées qu’en sport, je ne le comprendrais jamais.
      Tout ce que vous écrivez n’est que du bon sens, concernant les sanctions également. J’ai grandi à Argenteuil, notre collège (de 81 à 85) et le lycée ensuite avaient une discipline. Mes classes étaient calmes, bon j’ai fait allemand 1ère langue, ça aide. Mais surtout, tous mes amis comme moi-même avons eu du travail en sortant, plus ou moins « prestigieux » mais du travail. Ceux qui se sont retrouvés à galérer l’ont bien voulu.
      Mais allez expliquer ça aux bien-pensants…
      Bon week-end caniculaire-du-au-mechant-réchauffement-climatique-à-cause-que-l-homme-est-pas-gentil.

    • «la discipline faisait partie des règles, on prenait parfois une baffe et on s’en vantait pas.»
      Si l’on en parlait, (et généralement, comme cette baffe était un peu méritée…) on en ramassait le double le soir à la maison !

  • Pourquoi l’école échoue, et pas seulement, en banlieue ?
    Tous les diplômes ont perdu de leur valeur, et tout le monde ne souhaite pas (ne se plaise pas) rester 15 ans à l’école !
    Il y a quelques décennies un certificat d’études primaires était suffisant pour bosser à la mairie du coin (secrétaire ne faisant pas de faute d’orthographe et écrivant de façon lisible par tous)
    Peut-être faut-il, dès les premières classes introduire la langue du pays limitrophe et enseigner deux matières dans cette langue (géographie européenne, entre autre)… apprendre des trucs utiles comme l’utilisation d’un clavier d’ordinateur avec tous les doigts…
    Rendre plus d’actualité les épreuves du BAC et le rendre plus sélectif… mais aussi valoriser la formation continue et ça c’est indispensable !

    • Il ne sert pas à grand-chose d’enseigner des matières, si utiles soient-elles, si parents et élèves ne sont pas convaincus que les apprendre est à la fois à leur portée et le meilleur moyen de s’élever dans la société.

      • oui…le pire est surtout l’absence de choix, car l’école n’est pas le moyen de s’élever dans la société pour tout le monde..
        l’école française porte un projet politique..
        j’étais un peu gêné quelque part quand des profs disaient à des gosses qui travaillaient mal qu’ils finiraient femmes de chambre ou éboueurs…

        vous passez entre les mains de personnes qui si ils avaient affaire à des clients se comporteraient tout autrement..ça ne va pas..

        dans l’ed nat vous pouvez dépenser beaucoup d ‘argent et d’énergie à essayer d’apprendre des trucs à un gamin qui ne veut pas contre l’avis des parents.. et des parents pauvres par contres peuvent faire des sacrifices pour donner des cours privés à leur gosses..

        ok donner sa chance ( de quoi?) à un gamin justifierait cela..
        on peut en douter…
        dans l’ed nat vous posez que des parents peuvent être indignes si ils veulent pas que leur parents apprennent des trucs…et pour moi c’est comme retirer un gamin à la garde de parents, ce doit être des cas extrêmes..au nom de quoi?
        d’ailleurs ça tourne parfois à la complète tartuferie..des profs qui font semblant d’enseigner des gosses qui font semblant d’apprendre et des diplômes qui ne trompent personnes..

    • Du pays « limitrophe » ? Vous voulez dire « d’origine », je suppose ? Pour que les enfants accèdent plus facilement que par le français à certaines connaissances ?

  • l’école échoue partout…
    pas qu’en banlieue, pour tenter de faire que çà se voit moins on joue sur le niveau des examens.. du coup les postulants a l’enseignement sont de moins en moins bons
    on recrute chez les brèles.. et çà se voit
    Bref comme tous les services publics l’EN est nulle point

  • comment motiver des élèves quand les professeurs montrent le mauvais exemple. La durée des congés d’été ne cesse d’augmenter;
    En collège et lycée, c’est la préparation des épreuves du brevet et du bac qui justifie (?) la fermeture des établissements dès le 20 ou 21 juin. Ce n’est plus la peine de publier les dates des vacances scolaires la sortie est partout largement anticipée: 7 juin dans certains lycées de Champigny sur Marne !Cela fait maintenant plus de 2,5 mois de congés pour les prof, et ce en été seulement!
    Sans parler de l’bsence pour cause de fin du ramadan, ou autre raison. Ne conviendrait-il pas de faire le décompte de l’absentéisme en collège et lycée et de comparer au travailleur ordinaire? Mais on m’objectera que les profs sont « surchargés » A quand l’imposition d’un devoir corrigé par matière et par classe au moins tous les 15 jours????
    Quant à la faculté, les congés démarrent le 15 mai et les cours reprennent le 15 sptembre ou plus tard. nos étudiants français sont surement plus géniaux que ceux du reste du monde dans lequel les congés d’été durent 1mois ou , 5 mois, et où les épreuves ont lieu et sont corrigés pendant les congés des élèves, sans avoir à reduire la durée normale des cours !

    • Ce discours est hallucinant : les congés d’été des enseignants ont étés raccourcis, si les examens prennent tant de place, c’est parce que l’on ne cesse de complexifier l’enseignement en le découpant.
      Mettre un devoir tous les 15 jours lorsque l’enseignant ne dispose que de 2 à 3 heures par semaine est tout simplement inepte.
      Enfin, les élèves ont aujourd’hui en moyenne plus de 10 matières différentes, avec 5 devoirs par matière chaque semaine, ils ne font plus que cela (ou des corrections).
      Se prononcer sur une situation sans se poser de questions pratiques ne fait pas avancer les choses…
      Pour finir sur l’idée qu’il faut plus de cours, nous sommes déjà les champions d’Europe au lycée, avec le résultat que l’on voit !

  • les soucis commencent au sein des familles puis à la maternelle où l’on n’apprend pas (ou trop rarement) aux enfants à concentrer leur attention, à écouter, à effectuer des efforts (tout ne tombe pas tout de suite)…
    Après, forcément tout est plus compliqué, voire frustrant.

  • Avant de râler, il faut faire le bon diagnostique et utiliser les bons mots sur les problèmes sinon ça ne sert à rien … L’auteur parle d’élèves de banlieues ou de classe sociale défavorisée alors qu’il s’agit en premier lieu d’enfants d’immigrés. Le problème n’est pas une question d’école, d’enseignants ou d’immobilité sociale dans ce pays, mais de parents et de culture !

    • Il est effectif que l’auteur aseptise son analyse pour rester politiquement correct, dans le cadre actuel (merdique) de l’EN, les enfants bobos y arrivent malgré tout, il faudrait surtout évoquer le cadre plus rigide devenu nécessaire aujourd’hui face aux populations issues de l’immigration africaine principalement.

      • Les populations issues de l’immigration africaine ne sont pas une découverte, elles ne viennent pas d’arriver en France. La bonne question est : pourquoi les populations issues de l’immigration africaine des années 60 étaient-elles parfaitement intégrées (visuellement, comportementalement, socialement), pourquoi ne le sont-elles plus ?
        Que s’est-il passé entre-temps ?
        Réponse : clientélisme, laxisme, victimisation, ghettoïsation.

    • Je suis en partie d’accord avec vous, juste la fin : je ne pense pas que le problème soit celui des parents et de la culture d’origine, mais bien de la culture qui s’est développée dans cette population par le fait de la politique française de victimisation, de repentance permanente, de reconnaissance de nos heures sombres etc. A force, la facilité d’aller réclamer un dû prend le pas sur la volonté de travailler. Ajoutez à cela leur nombre exponentiel, tout ce qui est obtenu sur le plan social (cantine sans porc, voile etc), la lutte du plus grand nombre pour que les quelques-uns qui veulent s’intégrer ne le fasse surtout pas, et vous obtenez la situation actuelle.
      Mais le problème au départ (et à l’arrivée on le voit tous les jours) reste le manque de courage politique et le clientélisme.

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Les auteurs : Nathalie Sayac est Professeure des universités en didactique des mathématiques, directrice de l’Inspe de Normandie Rouen-Le Havre, Université de Rouen Normandie. Eric Mounier est Maitre de Conférences en didactique des mathématiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC).

 

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