Par Ludovic Delory.
Des journaux en ligne refusent les commentaires ? Face aux restrictions imposées en matière de liberté d’expression, le génie entrepreneurial aura toujours le dernier mot. Et lorsqu’il nous offre l’opportunité de lancer un cocorico, c’est encore plus jubilatoire.
Les raisons pour lesquelles certains journaux en ligne modèrent leurs sites sont connues : les trollages, insultes et attaques ad hominem sont légion sur le web. Il est donc normal que des propos sanctionnés par la loi soient bannis (c’est le cas également sur Contrepoints). Effet collatéral : certains commentateurs se déplacent vers les réseaux sociaux, plus immédiats, et donc moins propices à la modération a priori. Un simple détour par les clashes de Twitter suffit à s’en convaincre.
Commentaires : pourquoi les journaux refusent le débat
L’interactivité entre un journal et ses lecteurs a toujours existé. Mais les temps changent et les technologies aussi. S’il faut encore prendre sa plume ou son clavier pour espérer obtenir une colonne dans le courrier des lecteurs de jadis, le temps s’est accéléré et un article, sitôt mis en ligne, peut immédiatement générer des dizaines de réactions. Dans tous les sens.
C’est ce qui explique que, débordés par l’afflux de commentaires, certains titres ont choisi de bloquer l’accès à leurs colonnes.
En revanche, il est parfois difficile de distinguer la modération de la censure véritable. L’argument de l’anonymat, brandi par les représentants des structures étatiques, laisse ainsi perplexe. Lorsque Christopher Wolf, (ex-)président du Comité contre la haine en ligne de la Ligue anti-diffamation, explique que “l’anonymat pourrait avoir tué le commentaire en ligne“, et que “s’identifier est vital pour la civilité en ligne”, l’ère du flicage se dessine.
“Les lecteurs enrichissent le journalisme” (The Guardian)
Soyons clairs : les journaux ont le droit d’interdire les commentaires sous leurs articles. Mais en les acceptant, ils prennent la responsabilité de modérer ceux qui enfreignent la loi pour des raisons immédiatement compréhensibles : incitation à la haine, diffamation, etc. Le 16 juin 2015, la Grande chambre de la Cour européenne des Droits de l’Homme, insistant sur le niveau de responsabilité des sociétés d’édition, stipule que les sites web sont chargés de réguler leurs commentaires et d’anticiper les éventuels débordements liés à un article.
Trop de travail pour les éditeurs ? Il faut le croire. Face à certaines déferlantes, certains ont décidé de jeter l’éponge ou de sous-traiter le travail de modération.
Mais la suppression des commentaires peut poser problème à la démocratie, à laquelle les grands textes de déontologie associent le journalisme. Si l’agora n’existe plus, comment instaurer le dialogue entre le journal en ligne et ses lecteurs ? Si l’éditorial orienté d’un journal “très à droite” ou “très à gauche” ne permet pas d’offrir, par le truchement des commentaires, un regard plus avisé, comment rétablir l’équilibre des opinions ?
Le marché libre des idées
Grâce à LeavUr.Com, il est désormais possible d’instaurer un dialogue de qualité sur les sites des journaux fermés aux commentaires.
Cette plateforme est née dans l’esprit de trois jeunes entrepreneurs français. L’idée repose sur le principe fondamental de liberté d’expression : si certains sites ou journaux refusent les commentaires de leurs lecteurs, forçons la porte.
Voilà donc le principe : laisser son commentaire, même sur les sites qui les refusent. L’anonymat est semi-garanti, ce qui signifie qu’il faut un e-mail valide pour pouvoir commenter, mais que le pseudo est laissé à la discrétion de l’utilisateur. La plateforme respecte la loi. Des modérateurs entrent en action sur base de critères objectifs, et certains utilisateurs peuvent être bannis.
La philosophie de ce projet ? Comme l’explique l’un des créateurs de l’interface, Paul-Louis Donnard :
Vu le recul des espaces d’expression sur le web, les commentaires sont essentiels. D’abord parce que certains sont d’utilité publique. L’information plus transparente, c’est ce que recherchent les internautes. Enfin, quand un journaliste donne son avis sur une question d’actualité, il est normal de laisser aux utilisateurs le droit de répondre, d’instaurer un dialogue.
Permettre, installer des commentaires plus longs, plus développés, qui apportent quelque chose à la discussion. L’idée est aussi d’éviter l’instauration de bulles cognitives décidées par les algorithmes des réseaux sociaux. Bref, une voie vers la liberté.
L’extension est disponible, pour l’instant, pour Chrome et Firefox. Elle vient s’ajouter en deux clics sur votre navigateur :
Et une application mobile sera disponible le mois prochain.
Une forme d’auto-régulation des commentaires, transposable à n’importe quel modèle de presse en ligne, est-elle en train de voir le jour ? C’est le souhait porté par tous les amoureux de la liberté.
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Retrouvez notre dossier du mois de juin consacré à la liberté d’expression.
exellente idee
Ironiquement les commentaires étaient fermé sur cette page a sa parution 😀
Excellente idée.
Seul un alinéa m’a surpris dans cet article :
“L’idée repose sur le principe fondamental de liberté d’expression : si certains sites ou journaux refusent les commentaires de leurs lecteurs, forçons la porte.”
– Quelle liberté d’expression, dans un espace privé ?
– La porte n’est pas forcée, un autre espace seulement est créé.