« Si l’Europe m’était contée »

À l’occasion des élections européennes du 26 mai, nous publions en exclusivité un des nouveaux textes qui figureront dans la nouvelle version de l’anthologie de textes libéraux « Vous avez dit liberté ? »

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europe by Jakob Braun Source : https://unsplash.com/photos/vpsPRd_rz-A

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« Si l’Europe m’était contée »

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Publié le 24 mai 2019
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Une tribune Les Affranchis-Students For Liberty

En Octobre 2018, Les Affranchis – Students For Liberty France ont publié une anthologie de textes libéraux, chacun préfacé par un auteur contemporain, intitulée Vous avez dit liberté ?  Suite au succès de cet ouvrage, une seconde édition augmentée est en préparation.

À l’occasion des élections européennes du 26 mai, nous publions en exclusivité un des nouveaux textes qui figureront dans la nouvelle version de l’anthologie. Les extraits ci-dessous, préfacés par Pierre Garello, sont issus de « Si l’Europe m’était contée », un texte de Leonard Liggio dont la version originale est disponible en ligne sur le site de l’Institut Coppet.

Préface de Pierre Garello

Le libéralisme est une philosophie politique, une façon de vivre ensemble qui repose sur une répartition bien précise des pouvoirs, et plus particulièrement sur une limitation très forte du droit de faire usage de la force contre autrui. La clé de cette philosophie est que l’individu a des droits que personne, pas même un souverain roi ou un souverain peuple, ne saurait lui retirer : le droit à la vie, à la propriété et la liberté d’utiliser ce qui lui appartient dans le respect de la liberté des autres.

Cette philosophie a été un extraordinaire vecteur de paix et de prospérité pour les sociétés qui l’ont adoptée. Mais où et quand a-t-elle vu le jour ? Leonard Liggio avance l’idée plutôt consensuelle chez les historiens et les philosophes (et pas seulement occidentaux ou libéraux) que c’est dans l’Europe du Moyen-Âge tardif que des avancées cruciales se sont opérées en ce sens. Pour cet historien du droit il n’y a donc aucun doute : c’est autour de cette conception de la liberté que l’Europe a trouvé son identité !

Mais plus remarquable encore est le contexte de l’émergence de la liberté. On pourrait citer ici quelques noms de fiers combattants, de brillants leaders politiques, de grands économistes, philosophes ou artistes inspirés. Ce serait faire fausse route. Le salut pour l’Europe est venu… de la concurrence entre les pouvoirs. L’Europe de la liberté a vu le jour parce qu’il n’y avait pas de chef absolu sur ce vaste territoire et que les multiples pouvoirs en présence étaient en conflit permanent. Et c’est précisément parce que personne n’était en mesure d’imposer « son » droit que le Droit a pu émerger. Le Droit de la liberté n’a pas été inventé, créé ; il a été découvert puis repris dans cet immense laboratoire institutionnel qu’était l’Europe.

Pour Liggio, cette histoire n’est pas sans leçon pour notre monde contemporain. Certes, les derniers siècles ont été ceux des États souverains qui n’ont que trop souvent bafoué le Droit et massacré les individus. Mais, précisément, une concurrence institutionnelle et pacifique entre ces États, dans le respect des droits individuels, peut aujourd’hui comme hier nous aider à reprendre le sens de l’Histoire, à retrouver le goût de la liberté. Il est urgent pour cela d’éviter en Europe, je le cite, « la double erreur de l’harmonisation et de la centralisation ».

Cette analyse s’inscrit dans la plus pure tradition libérale de la seconde moitié du XXe siècle. Après des études d’histoire (avec des thèmes allant des relations internationales à la France moderne en passant par l’histoire économique du Moyen- Âge), de philosophie et d’économie (il a suivi le séminaire de Ludwig von Mises à l’université de New York), Leonard Liggio s’est en effet très rapidement intégré au cercle, alors petit mais grandissant, des penseurs libéraux d’après-guerre. En 1958, il participe pour la première fois au rendez-vous des libéraux de la Société du Mont-Pèlerin, une société savante qu’il présidera quelques décennies plus tard. On le retrouve encore à la présidence de l’Institute for Humane Studies, de l’Atlas Economic Research Network (aujourd’hui Atlas Network), de l’Institute for Economic Studies-Europe ou encore de la Philadelphia Society. Autant d’organisations qu’il a activement contribué à créer. À dire vrai, il n’y a guère d’organisations libérales auxquelles il n’ait donné, à un moment ou à un autre, un petit coup de pouce, voire plus : Acton Institute, Competitive Enterprise Institute, Cato Institute, Liberty Fund, fondation John Templeton ou, en Europe, Hayek Institut et chez nous l’Association pour la Liberté Économique et le Progrès Social. Je peux témoigner à titre personnel du rôle majeur qu’il a joué en France dans le renouveau des idées libérales à partir des années 1980, que ce soit en acceptant de présider l’Institute for Economic Studies-Europe mais encore et surtout en faisant se rencontrer les chercheurs libéraux de la vieille Europe et d’outre-Atlantique, dans le cadre des Universités d’été de la Nouvelle Économie qui se tenaient déjà régulièrement à Aix-en-Provence.

Si Leonard Liggio était un chercheur accompli, il fut donc également un infatigable et brillant avocat du libéralisme, ayant contribué plus que quiconque à l’organisation de ce mouvement dans la seconde moitié du XXe siècle. Cela justifie amplement que cet ouvrage lui consacre quelques pages. Je terminerai en insistant sur deux points qui font que ne pas l’inclure eût été un manquement au bon sens. Tout d’abord son amour pour la pensée française : il a grandement contribué à nous faire redécouvrir des auteurs français que l’on n’osait plus trop mettre en avant et j’ai plus haut souligné son rôle de fédérateur des talents en Europe. Enfin et surtout sa conviction que les idées de la liberté n’ont aucun avenir si de jeunes étudiants – en particulier ceux qui se destinent à une carrière académique – ne prennent pas de la distance avec des sujets souvent trop étroits, certes valorisés dans le monde académique d’aujourd’hui mais ne leur permettant pas d’appréhender la pensée libérale dans toute sa profondeur et toute sa richesse. Il est urgent de raviver la flamme d’une vision authentiquement libérale et cela nécessite l’enthousiasme de jeunes talents. Tel était le vœu le plus cher de celui que l’on a appelé à juste titre : « The Original Student for Liberty ».

Extraits de « Si l’Europe m’était contée » (1990), retranscription d’une conférence prononcée à l’Institut EURO 92 par Leonard Liggio en février 1990.

Nous cherchons à comprendre pourquoi c’est l’Europe, et non d’autres régions plus riches et mieux peuplées du monde, pourquoi c’est cette petite péninsule insignifiante au bord du continent eurasien qui est devenue la source de la liberté et de la prospérité pour tous. Pourquoi c’est elle par exemple qui, grâce à ses découvertes dans les sciences de la nature et de l’économie, permet à tous les autres hommes dans le monde de vivre plus longtemps.

[…]

Pourquoi, donc, est-ce l’Europe et non la Chine, ou bien l’Inde, par exemple ? Si nous avions observé l’Empire Ottoman au XVe siècle nous aurions pu lui trouver une grande richesse et une culture brillante. C’était aussi le cas de l’Empire de la Perse, ou celui des Moghols en Inde ou encore l’Empire du Milieu. Ils étaient beaucoup plus riches, même artistiquement, ils produisaient énormément, et des choses d’une grande valeur ; pourquoi ne sont-ils pas parvenus à tout ce que l’Occident a accompli ? Il nous faudrait répondre que la raison se trouve d’abord dans l’originalité du système de droit. À cette époque, on considérait déjà l’Europe comme une République unique.

C’est que la République en question, européenne ou chrétienne, était largement unifiée à bien des égards, même si elle ne l’était pas politiquement. Pour ce qui est de la politique, justement, elle ne connaissait aucune espèce de centralisation ; elle était au contraire extrêmement divisée, faite d’entités politiques minuscules. Si les gens l’envisageaient comme une République, ce terme n’avait aucune implication politique ; c’était une notion strictement culturelle, juridique, philosophique et religieuse.

[…]

Il s’est produit un phénomène extrêmement nouveau au XVe siècle : l’Europe, et l’Europe établie sur la tradition médiévale comme République européenne unique sans que jamais il y n’ait une entité politique unifiée. Si on l’interrogeait sur les origines de cette situation unique au début du Moyen-Âge, Anthony de Jasay dirait que le fait essentiel est que l’Empire Carolingien n’a pas pu se maintenir ; que l’événement le plus important de l’histoire européenne est l’échec de la tentative faite par Charlemagne pour créer un État unique et centralisé.

[…]

Il y avait en Europe tellement d’entités politiques, dans lesquelles chacun se trouvait au centre d’un véritable système de droits réciproques, que personne n’avait le pouvoir d’imposer son arbitraire à qui que ce soit.

[…]

C’était une époque où on reconnaissait que le Droit est un fait objectif qu’on doit découvrir par la raison et l’expérience et cela nous ramène naturellement aux travaux de Hayek dans Droit, Législation et Liberté ou The Constitution of Liberty, de même qu’à Freedom and the Law de Bruno Leoni. Ils ont souligné la conception médiévale du Droit comme une chose à découvrir et non à créer, à savoir que le juge est là pour découvrir ce qu’est le Droit et non pour appliquer mécaniquement une loi faite par une assemblée.

Cette vision est naturellement en conflit ouvert avec la conception moderne de la législation, où la loi est produite par un vague rassemblement de personnes dans un lieu appelé Parlement, laquelle assemblée se juge fondée, à un moment donné, à imposer des décrets arbitraires. Hayek et Leoni affirment qu’elle ne représente rien d’autre qu’une majorité de circonstance, un groupe de personnes rassemblées à un certain moment en un endroit donné, alors qu’au cours du Moyen-Âge, le Droit était progressivement identifié au sein du système judiciaire par une évolution multiséculaire fondée sur le précédent, l’expérience, la découverte, la découverte et encore la découverte…

[…]

Il n’était pas rare aux Xe et Xle siècles que les empereurs épousent des princesses byzantines et celles-ci n’étaient pas les dernières à leur suggérer une centralisation de leur empire sur le modèle de Constantinople. C’était bel et bien leur intention, qui n’a été finalement mise en échec que par les rivalités inattendues entre l’Église et l’État. Pourquoi était-il tellement important que cette centralisation soit mise en échec ? À cause de la concurrence. Tous les petits potentats étaient en concurrence entre eux ; ils rivalisaient dans le respect et la préservation du Droit pour attirer les gens chez eux. Si vous avez le choix entre plusieurs villes différentes pour votre installation, vous n’irez pas dans un endroit où les impôts sont élevés. Les commerçants avaient de nombreuses occasions de quitter un système politique qui leur coûtait cher en termes d’impôts pour un système où les taxes étaient moins élevées. L’absence de centralisation politique conduisait par conséquent à rivaliser pour abaisser les impôts, afin de faire venir les entreprises et accroître les richesses. Si l’Europe avait été « moderne » au Xle siècle, si elle avait eu de grands penseurs pour mettre au point l’« harmonisation » des impôts, eh bien nous en serions encore à manger des lentilles dans les champs et bien contents de les avoir comme seule source de protéines.

[…]

Ce système commercial a malheureusement été perturbé vers la fin du XIIIe siècle par le début des troubles qui conduisirent à la guerre de Cent Ans (dans les années 1290), lorsque le Roi d’Angleterre et le Roi de France se disputèrent le contrôle des Flandres. Les Rois voulaient se faire la guerre et devant les obstacles qu’ils rencontraient décidèrent de recourir à d’anciennes méthodes de recrutement. Comme ceux qui travaillaient ne pouvaient pas se battre certains jours de la semaine ou de l’année, ils décidèrent de se payer des mercenaires, de passer en fait à une forme de combat plus « moderne », organisé. Il fallait aux Princes de l’argent pour le faire. Ils avaient mis la main sur toutes les fortunes qu’ils pouvaient voler et il leur fallait donc inventer un moyen d’en trouver davantage. Ils se dirent : « si nous persuadons une partie de la population de partager avec nous, nous pourrons prendre au plus grand nombre, sans rencontrer d’opposition effective. Nous allons mettre en oeuvre quelque chose de vraiment nouveau ». Et ils inventèrent la démocratie parlementaire. Ils demandèrent aux marchands d’élire des délégués pour imposer des taxes et des droits de passage à l’ensemble de la population. Cela devait réprimer la concurrence étrangère et donc accroître les bénéfices des commerçants, en même temps que cela remplissait les coffres de la Couronne.

[…]

C’est ainsi qu’on a vu apparaître la démocratie parlementaire, la Chambre des Communes, le tiers-état. C’est à cette époque, dans les années 1290, qu’on trouve l’origine du Parlement et des États généraux. À la longue ces deux institutions devinrent indépendantes du Roi et en vinrent à assumer une fonction différente de leur raison d’être initiale, qui était d’organiser entre les commerçants et le Roi le partage du butin résultant de l’imposition des tarifs douaniers. Le résultat fut un déclin économique de la France et de l’Angleterre aux XIVe et XVe siècles. Ce furent l’Italie et l’Allemagne avec la Ligue hanséatique, qui s’enrichirent de façon spectaculaire. La Baltique et la Méditerranée furent les centres du développement.

[…]

Ainsi, au moment même où nous pouvons voir l’Angleterre et la France s’engager dans la voie de la centralisation et leurs économies dans celle du déclin, nous voyons l’Italie et l’Allemagne, totalement décentralisées, s’épanouir et s’enrichir substantiellement. C’est de cette époque, bien sûr, que nous avons retenu les noms des grandes cités de la Hanse en Allemagne, ou les familles de banquiers comme les Fugger à Augsbourg et Nuremberg, ou les Médicis en Italie. Ils devinrent célèbres alors même qu’il n’y avait pas d’État central et riches parce qu’il n’y avait pas d’État centralisé.

[…]

Quelle leçon pouvons-nous en tirer pour une éventuelle République européenne ? Celle-ci existait déjà au Moyen-Âge et pourrait désormais s’étendre jusqu’aux pays de l’Est. C’est l’époque médiévale et non l’exemple de Richelieu, Mazarin ou Colbert qui peut nous fournir les meilleurs modèles de ce qui permettrait à l’Europe de devenir plus riche et plus libre qu’elle l’a jamais été dans le passé. En d’autres termes il faut que l’Europe retrouve ses racines dans sa propre histoire et évite la double erreur de l’harmonisation et de la centralisation.

La première édition de l’anthologie est disponible en format papier dans tous les événements Students for Liberty et en version numérique sur le site Students for Liberty :

https://www.studentsforliberty.org/2018/10/08/vous-avez-dit-liberte

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