Vous, mélomane…

Connaissez-vous Cantus Formus ?

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Source https://unsplash.com/photos/oBI4NBP2Lhg

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Vous, mélomane…

Publié le 22 mai 2019
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Par Aude de Kerros.

Connaissez-vous la musique non officielle, tonale d’aujourd’hui ?

C’est sans doute la première fois dans l’histoire qu’un public qui aime la musique va à des concerts, écoute la radio, You Tube, etc. et ne connaît pas ou écoute le moins possible ses contemporains, qu’ils soient officiels ou dissidents. Les uns parce qu’ils sont inécoutables et peu mémorisables, les autres parce que, bannis de l’histoire officielle, ils n’accèdent pas à la visibilité. En ce qui concerne ces derniers, la plus grande partie du public mélomane ignore leur existence.

C’est une exception française : il est malséant d’être tonal. Depuis l’après-guerre dans les milieux politiques et intellectuels, seule la musique atonale est considérée, comme allant « dans le sens de l’Histoire ». Cette situation s’est pétrifiée quand le ministère de la Culture en 1981 s’est transformé en ministère de la Création. Comment ce diktat a-t-il été possible dans un pays qui avait accueilli simultanément tous les courants artistiques, de l’académisme aux avant-gardes très extrêmes ?

Cantus Formus

Pour illustrer cette situation il est intéressant d’évoquer une des très rares associations défendant des expressions non officielles de la création musicale : Cantus Formus. Créée en 2003 par un jeune compositeur, Nicolas Bacri, elle rassemble de nombreux interprètes et compositeurs qui ne se satisfont pas des expériences musicales menées par l’avant-garde atonale et sérielle : « l’École de Vienne », devenue institutionnelle. Son but est de présenter au public des œuvres de jeunes compositeurs qui pensent que tous les ressorts de la tonalité n’ont pas été épuisés, des œuvres des XXe et XXIe siècle d’inspiration mélodique au sein d’une conscience organique de la forme. Nicolas Bacri a voulu que ces compositeurs bannis soient joués et qu’ils aient le privilège d’entendre leur propre musique et de la partager avec un public.

Sa légitimité pour entreprendre une telle aventure résidait dans son parcours : brillante carrière, œuvre reconnue à ses débuts en raison de son adhésion à la doxa atonale, puis une évolution vers la tonalité, vécue comme la découverte d’un monde nouveau. Cette « trahison » l’a exclu des faveurs institutionnelles en France mais ne l’a pas empêché de réaliser une œuvre très complète et d’être reconnu au-delà des frontières.  

Cantus Formus a trouvé le soutien du Conservatoire CRR de la rue de Madrid qui lui a accordé l’accès à sa salle de concert pour que cette musique soit interprétée et partagée gratuitement. Depuis quinze ans ce rendez-vous pluri-annuel a permis à un public fervent et passionné de découvertes d’accéder à des œuvres jouées souvent pour la première fois. Les médias qui s’adressent au grand public mélomane parisien ne lui en ont jamais dévoilé l’existence.  

Malgré l’absence de moyens financiers, l’aventure résiste au temps et rayonne. La pénurie pécuniaire n’a cependant pas permis l’essentiel travail d’histoire, d’évaluation, de critique, si nécessaire à son épanouissement. Et pas davantage la communication directe avec un large public en attente d’une musique de l’âme et du cœur que permet désormais Internet.

On se trouve dans la situation absurde où grâce à l’argent public des fonctionnaires font vivre une musique officielle inaudible, rejetée par public et interprètes, en excluant comme illégitimes des initiatives telles que Cantus Formus, où un compositeur de renommée connaissant la création de son temps dans son essentielle diversité essaie de permettre au public de l’entendre et d’en juger.

Il paraît plus fécond pour la création que l’expertise de l’art revienne aux artistes eux-mêmes, à condition qu’il y ait concurrence entre divers courants. C’est ce que disait Jules Ferry en annonçant en 1880 aux artistes plasticiens qu’il retirait tous les représentants de l’État des jurys de l’unique Salon. Il a invité ce jour-là les artistes à prendre en main leur destin, les a encouragés à créer d’autres Salons, leur promettant la construction d’un palais somptueux pour les accueillir et faire honneur à tous. Cette formule exemplaire a fait de Paris la capitale des Arts dans le monde pour cent ans. Depuis que l’État décide ce qui est de l’art ou ne l’est pas, Paris a perdu son statut. Quoi de plus conservateur qu’un système où 200 Inspecteurs de la création supervisent la création pendant leurs 40 ans de carrière?  Résultat : un unique courant musical, apparu entre les deux guerres du siècle dernier, devenu choix politique et stratégique après 1947 et rendu obligatoire en France en 1981. Ce qu’il est toujours.

Des mécènes privés non conformistes auraient pu créer une concurrence… cela n’a pas eu lieu, mais peut encore se produire.

Le prochain concert de Cantus Formus a lieu ce samedi 25 mai à 16 heures au CRR de Paris, 14 rue de Madrid, 75008.  Entrée gratuite. Au programme : Olivier BERNARD (1925-2019), Orlando BASS (1994*), Igor SHAMO (1925-1982), Dimitri TCHESNOKOV (1982*), Yves CORNIÈRE (1934-2011), Nicolas BACRI (1961*), Olivier KASPAR (1962*), Xavier BOUCHAUD (1987*), Olivier GREIF (1950-2000) 

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  • il est malséant d’être tonal……en revanche , sortir un truc,style rap qui invite au chaos et au meurtre ce n’est pas malséant , du moins en douce France…..

  • « On se trouve dans la situation absurde où grâce à l’argent public des fonctionnaires font vivre une musique officielle inaudible »

    À vous entendre, on a l’impression que l’ircam, boulez et compagnie on pris le contrôle de la création et de l’enseignement artistique.
    Il n’en est est rien, c’est même tout l’inverse. Les conservatoires peinent à innover justement parce que l’état leur impose un cahier des charge qui fait que 99% de ce qui étudié est tonale (et ça ne semble visiblement pas intéresser les élèves qui abandonnent pour les 9/10e à l’adolescence). On y forme que des interprètes, déconnectés des technologies et esthétiques contemporaines, les classes de musiques actuelles qui sont très minoritaires s’arrêtent généralement au rock à mamie.
    L’autre budget musical énorme sont les opéras. Là encore on recycle des vieilleries tout ce qu’il y a de plus tonale.
    Les centres de création cnr ne représentent qu’une goute d’eau et sont davantage occupés à travailler sur la technologie du son et de l’image, plus que sur de l’artistique.

    Enfin le reste sont des aides au festivals, là encore la part de festivals sériel représente quoi ? Déjà est-ce que ça existe vraiment ? Perso Connaît pas.

    • j’oubliais le dernier financement public de la musique, et pas petit : l’intermittence. Quand on y réfléchit c’est certainement la manière la plus liberale de financer la culture, puisqu’on co-finance des auto-entrepreneurs. L’état ne choisi pas puisque c’est universel, in fine c’est le consommateur qui décide (malheureusement, même tonale, c’est pas toujours de très bon goût)

    • Je me suis efforcé d’aller écouter Lulu Alban Berg au Covenr garden….. je préfère cent fois il trovatore
      L’école de Vienne est contemporaine de Stavinski. Je préfère l’oiseau de feu que le pierro lunaire ou hymen de Stockhausen.

      • Stockausen c’est pas vraiment l’école de vienne ( schonberg années 20), c’est de l’électro acoustique, après guerre. Bref, tous ces Avants gardistes ont cherché à élargir les bases de la musique occidentale basés sur la musique écrite tonale. (Qui fait abstraction de beaucoup d’aspects mélodique et harmonique). Après maturité, on trouve aujourd’hui des artistes de musiques électroniques (tonale ou pas) tout à fait « audibles », qui s’en sont inspirés.

  • La musique de Boulez est à la musique classique , ce que le Roundup est à l’agriculture biologique : relisez  » Requiem pour une avant-garde  » , de Benoit Duteurtre . Moralité : le génie est en Pologne, dans les pays baltes , en Grèce , aux USA …

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Catalyseur de changement social, humanitaire et politique, la musique peut être bien plus qu’un simple divertissement. De l’ère des chants de protestation des années 1960 et 1970 aux grands concerts de charité des années 1980 ou 1990, elle se donne parfois pour ambition d’unir et d’inspirer des mouvements. Aujourd’hui encore, à travers des initiatives comme celle d'Omar Harfouch, pianiste et entrepreneur franco-libanais, la musique continue de jouer un rôle crucial dans la promotion des droits humains et des causes sociales.

 

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