Faire du socialisme sans le savoir

La droite qui se définit par opposition au socialisme est souvent aussi liberticide et dangereuse que la gauche qui s’en réclame.

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Faire du socialisme sans le savoir

Publié le 21 mai 2019
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Par Pierre Lemieux.
Un article de l’Institut économique de Montréal

Les États qui se réclament du socialisme, ou que certains identifient au socialisme, couvrent un large éventail qui va du Venezuela à la Chine en passant par les pays scandinaves. Il n’y a pas longtemps encore, le Parti socialiste était au pouvoir en France. Aux États-Unis, les politiciens qui se disent « socialistes démocratiques » invoquent le modèle de la Scandinavie.

En 2015, à la suite d’un débat avec Hillary Clinton aux primaires démocrates, le sénateur Bernie Sanders a été poliment rabroué par le Premier ministre danois, qui a déclaré que « le Danemark, loin d’être une économie socialiste planifiée, est une économie de marché ».

Question de degré

Le socialisme est donc une question de degré, mais degré de quoi ? La définition traditionnelle du socialisme (et du communisme) insistait sur la propriété collective des moyens de production. Les socialistes réalisèrent rapidement que la propriété des moyens de production n’est pas essentielle à leur contrôle : la réglementation suffit, tout en préservant éventuellement un petit peu d’efficacité.

Surtout avec l’invention de la « justice sociale », la définition du socialisme a mis plus tard l’accent sur la redistribution et l’État-providence. Mais comme Bertrand de Jouvenel l’avait déjà compris (voir son livre L’éthique de la redistribution), l’État-providence requiert réglementation et contrôle.

Il existe une autre caractérisation du socialisme, plus générale et plus utile. Il s’agit de savoir si la société est gouvernée par les choix collectifs ou par les choix privés, ces derniers étant les choix individuels et ceux des groupes intra-société auxquels les individus s’associent librement. Ici encore, c’est une question de degré, mais on peut dire qu’une société est d’autant plus socialiste que les choix privés cèdent la primauté aux choix collectifs.

Primauté des choix collectifs

Dans cette perspective, ce qui caractérise le socialisme n’est pas tellement que les décisions politiques sont prises par « les pauvres » (ou ceux qui les représentent) plutôt que par « les riches » (ou leurs représentants). La distinction importante est que le système est fondé sur la primauté des choix collectifs sur les choix privés. L’opposé du socialisme — on peut l’appeler « libéralisme », « libertarianisme », ou « capitalisme » — est fondé sur les choix privés.

Dans son fameux discours de 1819, « De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes », Benjamin Constant a exprimé cette distinction en termes de « liberté collective » et « liberté individuelle ». Le socialisme limite la liberté individuelle au nom de la liberté collective, c’est-à-dire du pouvoir de la majorité. Constant argue brillamment que la liberté collective représente une conception antique et pré-moderne de la liberté.

On voit dès lors comment le « socialisme démocratique » est à la fois socialiste et démocratique. Il est socialiste en ce que les grands choix (santé, éducation, etc.) concernant les actions individuelles sont faits au niveau collectif. Il est démocratique parce que ces choix sont théoriquement effectués par 50 % plus un des votes, au lieu de l’être par un appareil d’État moins formellement majoritaire.

« L’administration des choses »

Il faut comprendre que les grands choix collectifs impliquent le contrôle d’une cascade de petits actes individuels, et que tel choix qu’un individu ne juge pas important de garder dans son domaine privé représente une affaire cruciale pour un autre. Et, n’en déplaise à Marx, « l’administration des choses » de tout le monde revient à contrôler tout le monde.

Le commerce, qu’il soit national ou international, fournit un bon exemple de la distinction entre choix privés et choix collectifs. Appartient-il à chaque individu ou groupe privé de décider ce qu’il achètera, auprès de qui, et à quelles conditions ? Ou bien la collectivité (c’est-à-dire l’État) décidera-t-elle pour lui ? Un régime socialiste impose le second volet de l’alternative.

Notons l’ambiguïté du terme « démocratique ». La grande illusion du socialisme est qu’il peut être démocratique au sens du gouvernement de chaque individu par lui-même. En réalité, le self-government est incompatible avec la domination des choix collectifs. On en revient à Constant, à qui l’Histoire a donné raison : les choix posés par ceux qui représentent la collectivité ou s’en réclament écrasent la liberté individuelle.

Une droite liberticide

De ce point de vue, la droite qui se définit par opposition au socialisme est souvent aussi liberticide et dangereuse que la gauche qui s’en réclame. L’économiste et philosophe Friedrich Hayek, lauréat d’un prix Nobel d’économie en 1974, est souvent présenté comme un conservateur par ceux qui sont les victimes de la trompeuse opposition droite-gauche.

Pourtant, un de ses ouvrages, La Constitution de la liberté, contient une annexe intitulée « Pourquoi je ne suis pas un conservateur », qui explique comment le libéralisme s’oppose autant au conservatisme qu’au socialisme. Il observe que, comme le socialiste, le conservateur « est moins soucieux de la façon dont les pouvoirs du gouvernement devraient être limités, que du choix de qui les exercera, et… se considère autorisé à imposer aux autres par la force les valeurs qu’il révère. »

Quand les idéologues ou politiciens de droite proposent de retirer des décisions du domaine des choix privés pour les transférer au domaine des choix politiques, quand ils sont heureux d’assumer des pouvoirs qu’ils croient dangereux aux mains du parti opposé, ils font, comme pourrait dire Monsieur Jourdain, du socialisme sans le savoir.

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  • « le Parti socialiste était au pouvoir en France ».. les socialistes sont encore au pouvoir en france.. ils sont justes repeints en vert

  • excellent article ! bravo

  • La gauche a abandonné Marx pour adorer Malthus.

  • Excellent article, qui synthétise en quelques lignes l’essence et les travers du socialisme, ainsi que les erreurs de la droite conservatrice.
    Je le mets de côté et le ressortirai à l’occasion.

  • C’est réellement l’étatisme le problème, le socialisme n’étant qu’un sous-produit.
    L’étatisme c’est l’appareil de pouvoir de l’humain, sans couleur et sans odeur. Le pouvoir se suffit à lui-même.

  • En RDA on disait:

     » Ein Sozialist ohne Beziehungen ist genau so wenig wert wie ein Kapitalist ohne Geld  »

    ( Un socialiste sans relations ne vaut pas plus qu’un capitaliste sans argent )

    Et comme nos politiques, de quelque bord qu’ils soient, ne font carrière que par piston/relations, ils ne peuvent qu’être socialistes…

  • La notion de choix est en effet pertinente. Qui choisit: l’individu ou la collectivité?

    • En France: L’état . Aux commandes: les petits hommes gris …

    • Je pense que le mot collectivité sert à masquer la prise de pouvoir d’une caste, d’une oligarchie pour nous faire accepter leurs décisions.
      Lénine étant lui ,parfaitement clair, avec la notion de dictature du prolétariat exercée par le parti avec à sa tête l’élite éclairée chargée de mettre en place la politique qui va « dans le sens de l’histoire » .

  • Aujourd’hui, de l’extrême droite à l’extrême gauche, on ne nous propose plus que le collectivisme comme modèle de société.

  • j’aime bien cette explication simple du socialisme : les choix importants de société ne sont plus des choix individuels mais collectifs, d’ou le développement d’une administration lourde et coûteuse pour le pays. Avec de plus un contrôle de plus en plus serré des libertés des citoyens.
    Par ailleurs les socialistes ne sont qu’une sous famille des conservateurs et poursuivent un même but : favoriser les multinationales, endetter le pays et en faire payer l’impôt à la classe moyenne. Tous les partis se rejoignent dans cet objectif secret.

  • L’auteur finasse.
    Qu’il dise directement qu’il rejette l’idée d’un Bien commun, plutôt que d’utiliser des mots comme collectivisation, état dirigiste, …

    Sans Bien commun à gérer, les choses deviennent effectivement plus simples. Sauf que quel que soit la taille de « l’insecte libéral », il ne tient pas plus de quelques secondes face à une fourmilière…

    Même l’état de droit est un bien commun immatériel, qui finira également par tomber dans les mêmes critiques que l’article recense.

    Simplifier, c’est agréable, mais c’est s’éloigner de la réalité.

    • Puisque vous êtes amateur de réalité, définissez le bien commun.

      • Mon pauvre: Il va vous servir un truc fumeux et vague indémontrable mais surtout irréfutable (et donc pas scientifique). Une belle phrase humaniste plein de jugement de valeur qui reviendra à dire: le bien commun c’est bien.

    • A amike :
      Et c’est quoi votre définition du bien commun ?

    • Invoquer le bien commun permet de camoufler l’égoïsme individuel des gus pour s’octroyer une rente, des prébendes. Une minorité organisée en groupe de pression (chantage) pour œuvrer (CGT par exemple.)

  • Sans le fric d’un doux dingue (Friedrich Engels) ce pauvre Karl n’aurait jamais pu faire imprimer son bouquin.!

    • Il est allé mourir en Angleterre, cette terre infâme. Pas rancuniers les capitalistes auxquels il avait promis une extermination.

  • Les commentaires sont fermés.

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