Un reportage de Dern.Â
Dans le petit village alsacien de Kaysersberg se déroule un drôle de spectacle. Sur un petit air de ragtime, des jeunes et moins jeunes tout endimanchés nous ramènent cent ans en arrière au sortir de la Grande Guerre.
Vêtus de complets-vestons, de casquettes ou chapeaux et froufrous pour ces dames, les bénévoles du 13ème festival du jeu de rôle de Kaysersberg lancent avec brio la saison des fêtes historiques de l’été, avec pour thème les années 20. Familles, promeneurs occasionnels et passionnés déambulent dans les rues de l’un des plus beaux villages de France, avec ses artisans, forgerons, distilleurs d’alcools de toutes sortes, créateurs de bijoux, tonneliers, artistes… Un petit village d’antan se dessine et prend vie.
Le projet du festival de Kaysersberg est né il y a treize années, quand un passionné de jeu de rôle s’est habillé en costume médiéval pour vendre des marrons au marché de Noël. L’office du tourisme a tout de suite décelé le potentiel d’une pareille manifestation et a décidé de l’officialiser.
Culture du jeu
Le but du festival ? Faire découvrir la culture ludique à tous.
« On prend les gens, et on leur montre notre univers, on leur propose de jouer. Certains disent non, mais de plus en plus se laissent tenter. » La bonne ambiance est le maître-mot du festival. Les familles qui y viennent ne s’y trompent pas : « on vient passer quelques heures de détente en famille, explique Carole, maman du petit Lucas en train de se faire maquiller. Les enfants jouent, et nous, on suit après. » Les loisirs en famille constituent l’un des objectifs du festival, et malgré le temps un peu frais tout le monde se prête au jeu.
Les passionnés de jeu de rôle invitent les néophytes à découvrir leur hobby, et le résultat sera à la hauteur des attentes : plus de 140 parties avec près de 680 joueurs de trois à soixante-douze ans qui auront lancé les dés autour d’une table ce week end. « Le jeu de rôle est un loisir dans lequel on crée une histoire ensemble, dans un univers pré-établi, avec un ensemble de règles pour harmoniser le tout et rendre les événements cohérents, raconte David, le directeur du festival, un jeune homme brun aux cheveux longs vêtu d’une longue redingote noire. Tout y est possible, et notamment, de revivre des périodes historiques. »


Confiance restaurée
Les commerçants exposent leur marchandise dans de petites guérites décorées de tentures, comme on le voit sur les vieilles cartes postales. L’ambiance est si détendue que les artisans tirent juste un rideau lorsqu’il s’agit de déjeuner, et ferment seulement leur tente le soir, laissant tout sur place pour la nuit. « Ici ? Vous n’avez rien à craindre ! s’amuse une créatrice de bijoux médiévaux. On est entre gens biens. » Dans un pays où les chiffres du vol sont en constante hausse depuis des années, sa légèreté interpelle.
Pourquoi les fêtes médiévales et festivals ludiques fonctionnent aussi bien, et de mieux en mieux ?
« On joue aussi pour s’échapper du monde moderne, reconnaît David. Ce type de rassemblement fait office de soupape qui évite que ça explose ». Dans cette petite bulle d’espace-temps, ni l’insécurité ni la crise économique ni l’acculturation de masse n’ont encore percé, et on peut profiter de l’ambiance l’esprit libre.
Cette communauté exprime une passion collective pour la France fantasmée d’autrefois et pour ses valeurs d’esprit de village, de partage et de communauté réelle.
Mais le jeu de rôle a-t-il quelque chose à dire au monde moderne ?

Mike Mason, auteur du jeu de rôle l’Appel de Cthulhu basé sur les œuvres de Lovecraft, en est persuadé : « le jeu de rôle nous permet de nous projeter dans un autre univers, qui paradoxalement nous fait revenir à nos problématiques en tant que joueur. Dans le mythe de Cthulhu, il n’y a pas de zombies ni de vampires. On les connaît, ça ne nous fait plus peur. Non, avec Cthulhu, on explore la peur de l’inconnu dans les années 20, période de la prohibition et des années folles en Europe. L’inconnu, voilà ce qui fait peur aux gens…»
Si le jeu de rôle crée des univers dans lesquels la cohérence est la pierre d’angle, d’autres sont des reprises du monde réel offrant toute la diversité possible, allant d’un réel ultra historique à une version fantasmée voire fantasmagorique, comme le Paris des Merveilles de Pierre Pevel où l’on trouve des fées au café de Flore, ou le Providence de Lovecraft où des créatures indicibles viennent des tréfonds du cosmos hanter les rues de l’université Miskatonic. « Il y a même des jeux de rôles qui se basent sur les cardinaux Richelieu et Mazarin ! » précise David.
D’où le fait que le jeu de rôle est un loisir responsabilisant. On agit et crée une histoire avec le reste du groupe, et nos décisions influent sur la tournure que prennent les événements. S’il y a des scénarios pour tous les goûts, cela ne veut pas dire que tous les jeux sont à mettre entre toutes les mains. « De la même manière que l’on choisit un livre, explique Mike Mason, on doit choisir son jeu en toute connaissance de cause. »
Transmission culturelle
Le tout prend place dans un esprit de générosité et de partage. « Le groupe est l’unité de mesure du rôliste. Quand nous pensons à ce festival, nous ne nous attardons pas sur ce que chacun a fait, mais sur le résultat final. Regardez les maquettes réalisées par nos équipes, faites de récupération et de patience » explique Marc, cuisinier bénévole.
Que partage-t-on exactement dans un festival de jeu de rôles ?

Tout d’abord, on transmet. La transmission culturelle est une valeur clef pour David, le directeur. Les rôlistes animateurs bénévoles de l’association Forgemondes renchérissent : « ça peut être les vikings, les chevaliers, un peu moins le XVIIe siècle car les costumes sont hors de prix, et là les années 20… on a beaucoup d’historiens parmi nous, et on aime se plonger dans ces périodes de l’histoire ». Et ça parle à tout le monde : le succès du parc de loisirs le Puy du Fou témoigne à lui seul de l’engouement populaire des Français pour leur patrimoine historique.

Ensuite, on découvre. On découvre l’Histoire, au travers du regard de son personnage. Car le jeu de rôle recouvre aussi une dimension altruiste profonde : « pas l’altruisme qui met l’autre en avant, ni les autres avant soi-même. Celui qui donne une capacité à se mettre dans les yeux de la personne d’en face. »
On sort de ce festival avec l’impression persistante d’avoir visité la carte postale que d’enthousiastes bénévoles ont recréé le temps d’un week-end, pour pouvoir goûter aux plaisirs simples de la vie où le mot communauté retrouve tout son sens.

Excellente initiative qui fait vraiment plaisir.
Un grand merci pour cet article.
A cette époque où les gens ont oublié jusqu’à Jacques Tati, quel bonheur de trouver un ‘Geek’ qui se réfère à Lovecraft, merci !
Car n’oubliez pas, faibles mortels, dans sa demeure de R’lyeh, le grand Cthulhu attend en rêvant.
Nyarlathotep, Yog-Sothoth, Azathoth, Shub-Niggurath sont déjà parmi les hommes, ils préparent son réveil et le retour des Grands Anciens sur terre…
“Ph’nglui mglw’nafh Cthulhu R’lyeh wgah’nagl fhtagn.”
Iä! Cthulhu fhtagn!
Pour ceux qui aiment les costumes, militaires ou non. Une vieille connaissance à moi.
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Au temps où je pratiquais on se faisait infliger par la télévision publique une quantité astronomique de reportages sur le fait que le jeu de rôle (et son allié éternel, le “black metal”) poussait au suicide. La salariée de France Télévision (je me refuse à la qualifier de “journaliste”) la plus en pointe dans ce combat semble être tombée dans quelque oubliette de l’Histoire. Comme quoi, les chiens aboient, la caravane passe…
Ca fait trente ans que j’écoute du black metal, les jeux de rôle, non merci. J’en ai fait un une fois, je n’y ai pris aucun plaisir.
Peut-être une question d’entourage, ou de monde ? En ce qui me concerne, la séparatoin d’avec mon cercle d’amis rôlistes a été fatale. Et maintenant, la vie de famille n’aide pas…
Pour le black metal, je n’ai jamais vraiment arrêté, même si beaucoup moins qu’à une époque. Bizarrement, je n’ai jamais eu l’idée de prendre un couteau pour assassiner mon voisin ou de faire des messes noires dans mon jardin 🙂
J’ai oublié dans mon commentaire précédent de remercier l’auteur de l’article, c’est sympa de voir que la pratique du JdR et du Grandeur Nature ne s’est pas perdue, et de voir aussi que des communes l’apprécient au point d’en faire des animations. Longue vie à ce festivale à Kaysersberg !