Chômage (I) : quand l’exception française invalide Keynes

Loin d’éradiquer le chômage, les politiques dites de « relance keynésienne » tendent à l’aggraver – ainsi que la France nous en donne l’exemple parfait depuis plus de quarante ans.

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Chômage (I) : quand l’exception française invalide Keynes

Publié le 10 mai 2019
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Par Nathalie MP.

Nos ministres de Bercy Bruno Le Maire et Gérald Darmanin le répètent partout et Emmanuel Macron l’a redit avec force lors de sa conférence de presse de clôture du Grand débat : la politique économique du gouvernement est en train de porter ses fruits ! La publication des comptes publics 2018 avait eu tendance à semer le doute puisqu’on n’observait pas vraiment la baisse des dépenses, impôts et dette publique proclamée partout, mais cette fois on tient enfin une vraie preuve : le chômage a encore baissé !

En effet, selon les chiffres de la Direction des études et statistiques du ministère du Travail (DARES) publiés le 26 avril dernier, le nombre moyen de chômeurs inscrits à Pôle emploi en catégorie A au premier trimestre 2019 en France entière est tombé à 3 649 300, soit un recul d’environ 25 000 personnes par rapport au trimestre précédent. Et comme ce chiffre avait déjà reculé au quatrième trimestre 2018, on sent nettement que le plein emploi est au coin de la rue !

Mais ne nous réjouissons pas trop vite. L’analyse des chiffres au-delà de la seule catégorie A n’est plus aussi fabuleuse, comme on le voit dans le tableau ci-dessous qui récapitule les chiffres du chômage depuis 2007 selon les données du ministère du Travail.

Pour en faciliter la lecture, voici quelques précisions :

  • La catégorie A de la DARES regroupe les personnes complètement sans emploi, les catégories B et C les personnes ayant eu un travail de courte durée dans le mois et les catégories D et E les personnes non immédiatement disponibles en raison de stages, emplois aidés ou formations.
  • Du temps de François Hollande, qui avait pris l’engagement (régulièrement repoussé) d’inverser la courbe du chômage, les publications de la DARES donnaient un comptage en fin de mois des demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi. Désireux de ne pas avoir à s’expliquer perpétuellement sur le sujet comme son prédécesseur, Emmanuel Macron a fait adopter un suivi qui présente depuis 2018 des moyennes trimestrielles.
  • Les chiffres du quatrième trimestre 2018 diffèrent de ceux que j’avais indiqués dans le précédent article sur le sujet car la DARES a révisé ses chiffres de fin d’année comme elle le fait toujours.
  • La dernière ligne du tableau donne les évolutions enregistrées au premier trimestre 2019 par rapport aux chiffres du dernier trimestre 2018, en milliers de personnes.

Évolution des demandeurs d’emploi en France (hors Mayotte) depuis mai 2007
Sources : DARES, sauf 2007 : presse – Fin de mois sauf 2018 et 2019 : moy. trimestrielles.

(Milliers) Métropole France entière
Cat. A Cat. ABC Cat. D & E Cat. A Cat. ABC
Mai 2007 2 100,0 3 200,0 2 400,0 3 500,0
Mai 2012 2 922,1 4 347,1 612,9 3 163,9 4 621,0
Déc 2015 3 580,5 5 478,0 698,8 3 840,6 5 782,2
Déc 2016 3 467,1 5 463,8 761,7 3 722,5 5 764,7
Mai 2017 3 494,1 5 560,8 716,5 3 750,9 5 864,0
Déc 2017 3 451,4 5 612,3 665,7 3 709,5 5 920,6
4è T 2018 3 416,1 5 605,6 618,9 3 674,4 5 916,7
1er T 2019 3 391,9 5 603,4 621,3 3 649,3 5 914,6
Δ 1er T 19 -24,2 -2,2 2,4 -25,1 -2,1

On voit donc que le nombre de chômeurs de la catégorie A enregistre en effet un petit recul de 25100 personnes au premier trimestre 2019. Si l’on se rapporte à mai 2017, date où Emmanuel Macron fut élu, le recul cumulé est même de 101 600 personnes, soit une baisse de 2,7 % sur la période.

Malheureusement, si l’on intègre les catégories B et C, c’est-à-dire celles des personnes en recherche d’emploi qui ont eu une activité réduite, la baisse du premier trimestre 2019 n’est plus que de 2100 personnes et c’est même une hausse de plus de 50 000 personnes qu’il faut constater depuis l’élection présidentielle.

Enfin, si l’on tient compte des catégories D et E qui regroupent des personnes en recherche d’emploi mais non immédiatement disponibles en raison de stages ou de formations, le nombre de chômeurs stagne à 6,22 millions en métropole et à 6,56 millions en France entière au premier trimestre 2019.

Ajoutons que chaque trimestre, 220 000 personnes environ sortent des statistiques de la DARES pour « défaut d’actualisation » (catégories A, B et C). Il s’agit de chômeurs qui n’ont pas fait leur pointage mensuel auprès de Pôle emploi dans les temps et pour toutes sortes de raisons et qui échappent donc au comptage, mais dont beaucoup seront réintégrés quelques jours plus tard. Cela signifie qu’en toute rigueur, il faudrait ajouter systématiquement un volume d’au moins 200000 personnes au nombre de chômeurs publié.

À toutes ces raisons d’être moins optimiste que le gouvernement, s’ajoute le fait que les comparaisons internationales persistent à nous être très défavorables. 

C’est le moment de signaler aux nouveaux lecteurs de ce blog que nous autres Français sommes les heureux bénéficiaires de deux suivis du chômage :

  • Celui de la DARES dont j’ai parlé jusqu’à présent et qui consiste en un comptage de tous les chômeurs effectivement inscrits à Pôle emploi.
  • Celui de l’INSEE qui consiste en une vaste enquête trimestrielle auprès d’un échantillon représentatif de 110 000 personnes environ. Il en résulte un taux de chômage rapporté à la population active qui correspond en principe à la catégorie A de la DARES. L’INSEE évalue également un « halo autour du chômage ». Or depuis 2010 on observe une divergence significative et fâcheuse entre les communications des deux administrations.

Ajoutons que ce sont les taux de l’INSEE qui servent aux comparaisons internationales. Selon la dernière publication de cet institut, la France (toujours hors Mayotte) avait un taux de chômage de 8,8 % à la fin de l’année 2018, soit 2,5 millions de personnes – auxquelles il convenait d’ajouter un « halo » de 1,5 million de personnes.

Il s’agit du niveau le plus bas enregistré par la France depuis 2009 (voir graphe ci-dessus), et il y a tout lieu de s’en réjouir, mais la comparaison avec les autres pays de l’OCDE (à gauche) ou de l’Union européenne (à droite) reste cependant désolante, comme on peut le voir sur les deux schémas suivants :

Autrement dit, seules la Grèce, l’Espagne et l’Italie font pire que la France en matière de chômage dans l’Union européenne (UE), pays auxquels on peut ajouter la Turquie dès lors qu’on passe au suivi des 36 pays membres de l’OCDE.

En revanche, les pays auxquels il serait agréable de pouvoir se comparer avantageusement peuvent se vanter sans exagération d’être en période de plein emploi et se situent carrément 3 à 5 points en dessous de nous : l’Allemagne est à 3,3 %, les Pays-Bas à 3,6 %, le Royaume-Uni et les États-Unis à 3,9 %, la Suisse à 4,7 % et le Canada à 5,8 %.

Ce que l’on constate et qui n’est pas nouveau est que notre taux de chômage (à gauche) suit bel et bien les évolutions de la conjoncture mondiale, et notamment celles de l’Union européenne (à droite) mais il les suit avec retard et deux points au-dessus de la moyenne de l’UE et jusqu’à 5 points au-dessus nos pairs du monde développé :

Ceci ne signifie qu’une seule chose : nous pâtissons d’un chômage structurel qui nous colle à la peau quoi qu’il arrive, période de croissance ou période de repli.

Or nous abordons clairement une période de repli. Le gouvernement lui-même est passé d’une prévision de croissance de 1,7 % à 1,4 %, et c’est maintenant au tour de la Commission européenne de revoir son chiffre de croissance1 pour la France à 1,3 % en 2019, soit en dessous du niveau (1,5 %) auquel le pays peut prétendre voir son chômage baisser. Le taux de chômage attendu en France en 2019 par la Commission est du reste de 8,8 % comme à fin 2018.

Aussi, faute de s’attaquer sérieusement aux problèmes structurels qui nous encroûtent dans le chômage de masse, il est à craindre que l’objectif – oh, certes, encore très loin du compte et de plus en plus lointain ! – de revenir à un taux de 7 % à l’horizon 2025 ne soit difficilement atteignable en l’état.

Cela semble d’autant plus compromis que parmi les éléments structurels à réformer, le Code du travail a déjà subi un certain nombre de révisions très loin de constituer l’assouplissement normatif indispensable.

Une réforme de l’indemnisation du chômage est en cours, elle est même revenue entre les mains du gouvernement suite aux désaccords des partenaires sociaux, et elle sera la bienvenue si elle aboutit effectivement à rendre le travail plus attractif que le chômage.

Rien n’est moins sûr cependant, puisqu’il semblerait que l’idée de baisser l’indemnisation des cadres ne soit qu’une de ces petites manip démagogiques de surface permettant de dégager des ressources pour équilibrer les régimes sociaux (souci constant d’un État trop dépensier) et créer une absurde indemnisation des démissionnaires2 conformément à la promesse de campagne d’Emmanuel Macron. Encore un vague « toilettage » en perspective.

Salaire minimum et indemnisation du chômage, politique de grands travaux et investissements réalisés par l’État, partage du travail, relance, déficit budgétaire – toutes ces mesures théorisées par Keynes et abondamment utilisées en France pour lutter contre le chômage, relèvent en réalité d’un « monde de magicien » que l’économiste français Jacques Rueff, auteur de la formule, a combattu toute sa vie.

Ce dernier considérait au contraire que loin d’éradiquer le chômage, les politiques dites de « relance keynésienne » tendent à l’aggraver – ainsi que la France nous en donne l’exemple parfait depuis plus de quarante ans :

« Fondées sur des procédures diverses et bien intentionnées, mais souvent indirectes — telles que la réduction de la journée de travail et l’avancement de l’âge de la retraite — elles avaient presque toujours pour effet, sous prétexte de sauvegarder le pouvoir d’achat et de défendre les niveaux de vie, de créer du chômage. »

En 1976, Jacques Rueff développa tout ceci dans le journal Le Monde sous le titre « La fin de l’ère keynésienne ». Ce sera l’objet mon prochain article. À suivre !

Sur le web

  1. La Commission européenne a également revu fortement à la baisse son chiffre de croissance pour l’Allemagne (0,5 % en 2019 puis rebond à 1,5 % en 2020) mais ce pays part d’une situation tout autre que celle de la France : ses comptes publics sont sains et son taux de chômage devrait baisser à 3,1 % cette année puis à 2,7 % en 2020.
  2. Précision : la mesure a été votée mais les décrets d’application ne sont pas encore publiés. Ce devrait être chose faite au 1er juillet prochain.

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